Cinezik : En France, on vous connaît surtout pour votre collaboration avec Alex de la Iglesia, comment travaillez-vous avec lui ?
Roque Banos : C'est une question assez difficile et complexe ! D'abord, c'est quelqu'un qui adore la musique, et c'est même un grand fan de musique de film ! C'est quelqu'un d'extrêmement passionné qui transmet facilement son enthousiasme à faire du cinéma ! C'est un très bon ami et je prends grand plaisir à travailler avec lui. A chacune de nos collaborations, nous parlons beaucoup du film en amont : il me donne toujours le script avant le tournage pour que je puisse commencer à réfléchir à la musique le plus tôt possible.
Vos musiques pour Alex de la Iglesia reflètent plusieurs influences : Danny Elfman par exemple pour le générique d'ouverture de MES CHERS VOISINS, ou les musiques de western d'Ennio Morricone pour 800 BALLES... Comment vous situez-vous par rapport à ces références ?
Malgré le fait qu'ils aient leur style propre, ils ont eux-mêmes leurs propres influences. D'habitude, on ne parle pas des musiques d'autres compositeurs avec le réalisateur : on évoque le climat du film, l'ambiance qu'il désire pour son film. Avec Alex c'est parfois différent : nous parlons beaucoup de ces références car ses films sont eux-mêmes bourré de clins d'oeil. Ceci étant dit, pour MES CHERS VOISIN je n'ai pas pensé à Danny Elfman : je me suis simplement assis devant le piano et j'ai improvisé cet ostinato qu'on entend au début du film. J'ai essayé de composer une mélodie un peu folle, farfelue, avec une certaine idée de « spirale », avec en tête l'image du serpent qui se mord la queue.
J'ai écouté beaucoup de musique depuis mon enfance, beaucoup de genres, de styles, tout en évitant d'écouter trop de musique de film, sinon on risque facilement de copier. En tant que compositeur, on essaie toujours d'écrire quelque chose de nouveau, de jamais entendu. Mais bien sûr, c'est presque toujours impossible ! La musique de film est un genre très spécifique : il faut créer une ambiance, transmettre un état d'esprit au public, et finalement peu importe si on pense à d'autres compositeurs.
Vous avez également collaboré de nombreuses fois avec Santiago Segura notamment sur la série de comédies parodiques TORRENTE (trois films à ce jour). Quel est votre meilleur souvenir de votre travail avec lui ?
Avec Santiago, c'est un peu la même chose qu'avec Alex : on est très amis, on a évolué dans le monde du cinéma ensemble, en même temps. Nous avons à peu près les mêmes goûts en musique. Lui aussi sait très précisément ce qu'il veut pour ses films. C'est un homme très passionné, très sérieux dans son travail de comédie. Je m'épanouis vraiment dans cette collaboration parce que nous parlons vraiment très facilement ensemble, et c'est quelque chose de j'apprécie beaucoup.
Quel est le genre de films que vous préférez mettre en musique ?
Je ne sais pas... n'importe quel genre qui me permette de faire du bon travail ! Dans certains types de films, très dialogués, la musique n'est pas très importante, mais dans d'autres, c'est presque un autre personnage. C'est ce type de film que je recherche.
Vous avez mis en musique un film sur la vie de Goya : quelle a été votre approche pour évoquer musicalement la peinture, l'acte de peindre ?
Avec la musique, j'ai essayé de dépeindre ce qu'il pensait, plutôt que ce qu'il peignait. Pour cette scène où on le voit créer ces peintures sombres, noires, ces figures étranges, la musique reflète toute cette folie qui encombrait probablement son esprit. Il y a un thème très simple pour ce film, de trois ou quatre notes, très répétitif, qui revient tout au long du score, qui évoque son intériorité.
Vous avez écrit un morceau fabuleux pour la scène du rêve dans ce film...
Oui, un morceau pour grand orchestre. Mais tout a été construit avec ce simple thème. Il commence par ces plans sur les gens dans la rue, qui affrontent les soldats, puis illustre leur mort. Tout ce morceau est construit à partir du même thème unique entendu lors de la scène avec les peintures noires.
Dans LE 7 ème JOUR de Carlos Saura, vous avez réadapté le morceau de guitare « Sevillana para Carlos » tiré de votre musique pour le film SALOMÉ. Qui a fait ce choix ?
C'était un choix de Carlos. Il me l'a imposé ! J'ai dit : « Non, je préfère composer autre chose » mais il m'a répondu « Non ! Je veux ce morceau ! ». Je l'ai donc simplement réarrangé, pour le rendre un peu plus « populaire ». Il a finalement suggéré de le réutiliser plusieurs fois dans le film.
Pour le coup c'est devenu un thème vraiment populaire !
Quand j'ai composé ce thème pour le film SALOMÉ et que Carlos l'a entendu pour la première fois, il m'a dit la plus belle chose qu'on m'a jamais dite. C'est un homme âgé, il a 74 ans : quand il a entendu ce thème, il m'a dit que cette musique résumait sa vie.
Votre studio est parsemé de photos de jazzmen et il y a un magnifique saxophone accroché au mur... Vous avez composé un score très jazzy pour une comédie...
Oui, EL ROBO MAS GRANDE JAMAS CONTADO de Daniel Monzón.
Toujours pour Alex de la Iglesia, il y a THE OXFORD MURDERS...
La nouveauté c'est qu'il m'a demandé de participer au tournage du film dans le rôle d'un chef d'orchestre : le film est adapté d'un roman très célèbre de Guillermo Martinez, et à la fin de l'histoire, il y a un concert symphonique où surviennent de nombreux crimes.
On retrouve donc le schéma du film d'Hitchcock, L'HOMME QUI EN SAVAIT TROP, où Bernard Herrmann dirige l'orchestre qui apparaît à l'écran lors de la scène finale !
Oui c'est exactement ça !
Êtes-vous attiré par Hollywood ?
Oui, bien sûr ! Mais il y a un problème : j'ai ma famille ici. Mais enfants sont encore jeunes, je ne peux pas partir. Pour la comédie musicale à New York dont je vous ai parlé, on m'a proposé de venir y passer six mois pour tout préparer : j'ai dit « non, je veux bien venir une semaine pour parler du projet, puis vous proposer des démos à distance, mais je ne peux pas partir six mois ! ». Heureusement ils ont accepté ! Mais pour l'avenir, sait-on jamais. Je ne veux pas fermer de portes. J'ai dîné hier soir avec Hans Zimmer : c'est un type génial. J'ai également beaucoup sympathisé avec Christopher Young. C'est un mec fantastique ! Ils m'ont dit : « viens, viens à L.A. ! » (rires). J'ai également été très impressionné par Trevor Jones, c'est quelqu'un d'adorable.
On peut voir quelques disques de James Horner sur votre bureau (APOLLO 13, TITANIC)... Vous êtes un fan ?
Oh, non, seulement quelques unes de ses musiques. Mais j'adore ALIENS : quel grand score !
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