Propos recueillis en 2006 par Sylvain Rivaud.
- Publié le 01-11-2006Cinezik : Tout d'abord, pouvez-vous nous expliquer comment Paul Verhoeven a décidé de vous engager sur BLACK BOOK ?
Anne Dudley : Paul avait entendu plusieurs de mes musiques, notamment Tristan & Isolde et American History X. Nous nous sommes rencontrés à Londres et avons eu une discussion fascinante sur la musique - et tous les genres de musique. Nous avons parlé de nos compositeurs classiques préférés et de nos compositeurs de cinéma favoris. Il nous paraissait clair que dès ce moment-là, la collaboration semblait bien engagée.
Cinezik : Vous souvenez-vous de quels compositeurs (classique et de cinéma) avez-vous parlé en particulier ?
Anne Dudley : En l'occurrence, Paul a évoqué le Requiem allemand de Brahms et les « Four Last Songs » de Richard Strauss. Nous avons également parlé avec beaucoup de complicité de Jerry Goldsmith.
Cinezik : Pourriez-vous nous dire ce qui a plu à Paul Verhoeven dans vos précédentes musiques ?
Anne Dudley : Il a particulièrement admiré l'orchestration et les transitions entre les différents modes.
Cinezik : Aviez-vous vu SOLDIER OF ORANGE, le précédent film de Verhoeven sur l'occupation en Hollande ?
Anne Dudley : Ah bon, sur la Seconde Guerre mondiale en Hollande ? Non, je ne l'ai pas vu.
Cinezik : Quelle a été votre approche du film de guerre ? Avez-vous eu recours à des instruments particuliers, un « son » décidé à l'avance avec le cinéaste ?
Anne Dudley : Paul voulait le son traditionnel d'un orchestre symphonique, tout en restant dans le contexte du film. Il m'a fait écouter quelques pièces classiques qu'il avait trouvées (les morceaux de Brahms et de Strauss que j'ai évoqués plus haut), et qui, dans la couleur et l'orchestration, pouvaient me donner des pistes à explorer.
Cinezik : Quelles ont été les demandes de Paul Verhoeven sur ce film ?
Anne Dudley : Il sentait que le caractère de l'héroïne, Rachel, était crucial pour le film. Son esprit, ses pensées et son désir de survivre dominent toute l'histoire du complot. Nous avons voulu un thème qui reflétait sa résilience.
Cinezik : Vous parlez de résilience, comment pourriez-vous décrire le personnage de Rachel ?
Anne Dudley : Le caractère de Rachel est autoritaire, elle est parfois séduisante et parfois impitoyable.
Cinezik : Comment s'est déroulée votre collaboration avec Paul Verhoeven ? Il est réputé très exigeant et parfois même désagréable...
Anne Dudley : Cela m'étonne ! Entre nous, ça a toujours été comme entre atomes crochus. Il adore la musique et nous nous sommes vus à de nombreuses occasions pour que je lui joue mes idées au piano, ou quelques démos un peu plus élaborées. Nous avons pu avoir des discussions ouvertes et franches. Et pendant les sessions d'enregistrement, il était très enthousiaste et très encourageant, et grâce à lui, il y avait une bonne ambiance au studio. Pas de question d'égo ici !
Cinezik : Pensez-vous que le fait que vous soyez une femme compositrice est un élément important dans cette collaboration où une femme est le personnage principal ?
Anne Dudley : Je n'en ai aucune idée, mais il se peut que j'aie pu créer une certaine empathie avec le personnage de Rachel.
Cinezik : Les musiques des films de Paul Verhoeven sont à la fois subtiles et radicales jusqu'à la provocation (à prendre au second degré). Pensez-vous que votre partition pour BLACK BOOK possède plusieurs niveaux de lecture ?
Anne Dudley : La musique de Jerry Goldsmith pour des films de Paul tels que Basic Instinct ou Hollow Man est bourrée de subtilités, à bien des niveaux. Dans ce film, il y a naturellement des thèmes musicaux qui se développent - en de nombreuses variations - et qui progressent, comme le drame à l'image. En outre, quelques petits motifs reviennent à l'occasion.
Cinezik : Pour prendre l'exemple des musiques de FLESH & BLOOD, ROBOCOP ou STARSHIP TROOPERS, la musique de Basil Poledouris n'évoque pas la psychologie des personnages mais crée plutôt un second degré. Alors qu'au contraire, Jerry Goldsmith que vous citez a une approche plus psychologique dans BASIC INSTINCT ou HOLLOW MAN en effet. Je suppose que votre approche dans BLACK BOOK va aussi dans ce sens. Votre partition est très sombre, parfois torturée. Qu'est-ce qui vous a inspiré sur ce film ? La psychologie du personnage de Rachel, ou plutôt l'ambiance visuelle ?
Anne Dudley : C'est un mélange des deux - j'ai été inspirée par l'instinct de Rachel pour sa survie mais j'ai été également fascinée par la période historique - notamment vers la fin de la guerre, quand la Hollande est dans un état désespéré, alors que tout le monde sait que les nazis vont être clairement défaits mais que la brutalité continue.
Cinezik : Est-ce que le titre du morceau « Sleeping with the Enemy » dans l'album est une référence au film du même nom mis en musique par Jerry Goldsmith ?
Anne Dudley : En fait, non ! Mais cela aurait pu !
Cinezik : Etes-vous intervenue sur l'élaboration du disque édité par Milan Music ?
Anne Dudley : La musique a été mixée spécialement en stéréo pour l'album (au contraire du mixage 5.1 pour le cinéma). J'en ai également fait des remontages pour créer des morceaux plus longs dans l'album que dans le film. Enfin, j'ai séquencé la musique pour mettre les morceaux dans un ordre (je l'espère !) qui rend l'écoute plus agréable - et j'ai conçu les titres.
Cinezik : Pensez-vous que Paul Verhoeven fera appel de nouveau à vous pour un prochain projet ? (Ndlr : ce qu'il fera sur "Elle" et "Benedetta")
Anne Dudley : Je l'espère ! D'autant plus que ses commentaires sur l'album ont été très sympathiques et réconfortants.
Cinezik : Vous êtes annoncée sur le prochain film de Tony Kaye, LAKE OF FIRE, après une première collaboration sur l'excellent AMERICAN HISTORY X. Quel genre de relation entretenez-vous avec Tony Kaye ?
Anne Dudley : Tony est quelqu'un de très intéressant, un homme extrêmement créatif, original, provocateur et intransigeant. Mais il a également un sens merveilleux du travail en équipe et du travail avec des personnes de confiance. C'est ce qui en fait une collaboration idéale.
Propos recueillis en 2006 par Sylvain Rivaud.
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