Avant de faire du cinéma, votre musique était déjà très cinématographique au point que des réalisateurs l'ont souvent utilisée dans leurs films...
René Aubry : Je fais des musiques qui racontent des histoires, des chansons sans paroles. J'ai remarqué que beaucoup de réalisateurs aimaient monter sur mes musiques. C'est une étape temporaire et on demande au compositeur qui vient après de les remplacer.
Quelle est la place du numérique dans votre travail que l'on peut déceler dans vos premières B.O des années 90 ?
R.A : Dans les années 90, c'était le début des samplers, j'ai beaucoup mélangé. Je suis autodidacte (je n'ai pas fait le conservatoire), donc je n'écris pas la musique, je la fabrique avec mes mains. Je pratique la guitare, la mandoline, le banjo, tout ce qui est à cordes, et autour j'habille avec ce qui se présente, comme à l'époque le dernier Yamaha. C'était la période où Gabriel Yared employait aussi des sonorités électroniques. J'aimais beaucoup ces mélanges.
Comment avez-vous rencontré Lorenzo Mattotti ?
R.A : Avec Lorenzo, c'est une histoire d'amitié. On se connaît depuis 25 ans, on a fait beaucoup de choses ensemble. On était ensemble dans un jury à Clermont Ferrand en 94. Ensuite, étant dessinateur et illustrateur, je lui ai commandé ma première pochette d'albums.
Et maintenant vous signez la musique de sa première réalisation, LA FAMEUSE INVASION DES OURS EN SICILE, quel a été votre premier contact avec ce film ?
R.A : On avait déjà travaillé ensemble sur un court métrage de la même production, PEUR DU NOIR, un film collectif commandé à des gens issus de la BD. Et un jour il me parle d'une adaptation du livre de Dino Buzzati que je me suis empressé de lire avant d'avoir le scénario.
Pour ce récit italien, on retrouve dans votre partition la mandoline... il y a aussi des scènes de cirque...
R.A : J'adore cet instrument alors j'en mets un peu partout. Il y avait aussi l'idée de Lorenzo de rendre le film un peu burlesque. Il voulait ce mélange de gravité et de choses chatoyantes que l'on retrouve dans le cirque. Il y a aussi la scène des fantômes où ils sont censés avoir peur, et en fait ça se termine par un bal complètement fou. Parfois la musique flirte avec le tango.
Nous sommes en Italie, et on pense à Rota, Morricone... notamment par la place de la mélodie...
R.A : Mes références sont François de Roubaix, Ennio Morricone... J'aime bien la musique atmosphérique, j'aimerais bien avoir l'occasion d'en faire plus, mais chasser le naturel il revient au galop, les mélodies c'est quand même mon truc.
Il y a un thème principal assez dansant...
R.A : Le thème a la forme d'une tarentelle puis il est décliné dans pas mal de scènes. J'aime bien faire ça plutôt que de s'éparpiller. C'est bien d'avoir une couleur tout au long du film. J'essaie d'être éclectique tout en ayant une certaine unité.
A quel moment êtes-vous intervenu ?
R.A : J'ai donné des musiques à Lorenzo après avoir lu le livre, j'ai commencé à mettre sur papier quelques mélodies justement. Il y a eu quand même pas mal de choses qui lui ont plu dès le départ.
Et ensuite dans quelle mesure vous deviez vous adapter au rythme du film ?
R.A : Comme pour les productions animées anglaises sur lesquelles je travaille depuis une dizaine d'années ("Le Gruffalo"), avec Lorenzo c'est quand même eux qui décident du rythme avec le monteur qui coupe quelques images, donc il faut se réadapter. C'est ma frustration, les interventions musicales sont plutôt courtes au cinéma, alors que quand je fais un spectacle, j'ai du temps, je peux faire un morceau qui dure 6-7 minutes. Dans la musique de film tout est plus concentré. Et après il y a le mixage, les ambiances se rajoutent. Après ça m'échappe un peu.
Que pensez-vous de la fonction d'illustration et de soutien de la musique de film ?
R.A : Ma théorie est que la musique doit être un personnage en plus, pas quelque chose qui est là pour souligner. Avec Lorenzo, on a vraiment pris le parti pris de ne pas faire du tout de la musique à l'américaine. J'adore les grosses productions américaines hollywoodiennes, les musiciens sont fantastiques, mais c'est toujours un petit peu systématique.
Aussi, une de vos musiques a été utilisée par Marco Bellochio dans LE TRAITRE (en compétition, Cannes 2019)...
R.A : C'est une musique que j'ai écrite pour un spectacle de Philippe Genty ( "Après la pluie"). C'était une musique temporaire sur laquelle ils ont fait leur montage et je m'excuse auprès de Nicola Piovani mais ils n'ont pas pu la remplacer.
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