par Quentin Billard
- Publié le 01-01-2008Si 'Dolores Claiborne' ne constitue pas l'exemple le plus brillant de ce que sait écrire Elfman lorsqu'il se donne à fond sur la musique d'un film, cette BO n'en demeure pas moins symptomatique d'une musique atmosphérique sombre qui sied merveilleusement bien au film de Taylor Hackford, l'objectif de Danny Elfman étant de faire ressortir ce climat dépressif et déprimant et de plonger le spectateur/auditeur dans un malaise constant doublé d'une atmosphère psychologique oppressante assez saisissante. Pour ce faire, le compositeur a choisit de se concentrer sur son écriture orchestrale et plus particulièrement le pupitre des cordes sombres avec un piano soliste plus intime, les autres instruments ressortant essentiellement dans les moments les plus violents du film. On trouve un thème principal entendu dès le début du score, mais comme souvent chez Elfman, il reste très peu marquant et difficilement perceptible à la première écoute, un motif de cinq notes qui suggère brillamment le côté dramatique de l'histoire mais aussi le côté sombre et déprimant de la musique.
Elfman a composé beaucoup de musique sur les deux heures de film (au moins une centaine de minutes de musique), la musique donnant véritablement l'impression d'être entendue en continu de façon quasi non-stop dans le film. Ceci renforce encore mieux l'atmosphère pesante du film et lui donne un côté quelque peu plus lourd. Atmosphère...voilà bien un mot qui convient parfaitement au score de 'Dolores Claiborne'! La musique décrit la situation déprimante entre Dolores et sa fille Séléna avec qui elle n'a que des rapports conflictuels et distants. Le score décrit aussi la sombre histoire dans laquelle se retrouve embarquée Dolores accusée du meurtre de sa gouvernante Vera Donovan (une riche bourgeoise tyrannique qui l'emploie comme une domestique) bien après l'accusation non fondée du meurtre de son mari Joe (David Strathairn), un homme violent ravagé par l'alcool. L'idée d'isolement ressort aussi bien dans la musique que dans le film, Dolores passant toute l'histoire sur cette île qu'elle n'a jamais quitté -et qui pourrait aussi évoquer de manière métaphorique la situation dans laquelle Dolores se retrouve prisonnière.
La musique demeure très répétitive et monotone, ayant quelque fois tendance à traîner en longueur. Mais c'est évidemment loin d'être un défaut puisque le but d'Elfman était justement de faire ressentir cet isolement, cette tension psychologique, cette atmosphère déprimante afin de mieux faire ressortir la situation difficile de Dolores face à tous ses problèmes. En revanche, la partie purement 'thriller' du film demeure plus captivante et accrocheuse à la première écoute. On peut par exemple citer la séquence où Joe frappe Dolores dans le dos après une remarque désobligeante, illustré dans un véritable sursaut orchestral horrifique qu'Elfman réserve dans les moments violents du film. Autre exemple, la séquence où Dolores casse par vengeance une assiette sur la tête de Joe est aussi illustrée de la même façon par le compositeur. Ces sursauts orchestraux violents et terrifiants sont ici très marquants car ils rompent violemment avec le climat plat et dépressif du reste de la musique possédant et de son côté atmosphérique qui rappellera par moment les travaux similaires de Christopher Young sur certains thrillers hollywoodiens. La musique d'Elfman atteint un climax de terreur avec la poursuite entre Dolores et Joe avant qu'il ne tombe dans ce trou durant la scène de l'éclipse. Elfman soulève ici son orchestre de manière féroce: cordes, cuivres, percussions (dominées par les timbales) etc. Ces 'chocs' musicaux violents affirment le talent d'Elfman à évoquer la terreur dans la musique, ayant toujours eu pourtant un côté souvent plus ironique et distancé vis-à-vis de ce sujet (voir la majorité des films de Tim Burton).
Avec 'Dolores Claiborne', on retrouve aussi des marques de fabrique de Danny Elfman. C'est le cas par exemple de l'emploi de violons solistes au sein de l'orchestre à cordes, donnant une couleur particulière mélangeant les cordes solistes avec la synthèse orchestrale des cordes, une couleur instrumentale assez propre à Elfman. Autre signature: dans le 'End Credits' reprenant au passage le thème principal qui se fait discret tout au long du film, là où Elfman utilise un choeur qui semble évoquer l'idée de la paix retrouvée dans la vie de Dolores après sa réconciliation avec sa fille et le dénouement positif de son procès en petite commission, une idée qu'Elfman souligne dès le final avec une harmonie tout à coup moins pesante, moins dissonante, moins sombre, malgré la présence d'éléments encore sombres et ambigus dans la musique. Le choeur résonne à la fois de manière paisible et mélancolique, peut être pour refléter ainsi l'esprit du film de Taylor Hackford. On ne manquera pas de rapprocher ce morceau avec une pièce tout à fait similaire, le splendide 'Betrayal' pour 'Mission: Impossible' qu'Elfman composera un an après 'Dolores Claiborne'. En tout cas, le 'End Credits' est particulièrement excellent car il reprend toute les idées du film: le côté atmosphérique, dense et déprimant, l'aspect terrifiant avec un passage de course poursuite brutale pour finalement revenir sur une dernière reprise du thème. Quoiqu'il en soit, on retrouve des combinaisons instrumentales chères à Danny Elfman, avec des orchestrations et une écriture orchestrale souvent particulièrement dense, typique du compositeur, cette densité n'étant qu'un reflet de l'intensité dramatique et psychologique du film.
Que dire de plus si ce n'est que 'Dolores Claiborne' n'est pas une musique facile d'accès. Cela rappelle par moment le style de 'Extreme Measures' ou même celui de 'The Dark Half' de Christopher Young sur un principe atmosphérique très similaire (et où Young utilisait aussi un choeur pour le End Credits). 'Dolores Claiborne' est sur plus d'un point un score majeur de Danny Elfman, car, avec cette partition, le compositeur opérait un changement de style radical dès 1995, une partition charnière qui allait l'amener très vite vers des oeuvres plus introverties, plus sombres, plus difficiles et plus conventionnelles. 'Dolores Claiborne', c'est tout cela à la fois. C'est aussi l'un des premiers scores où le compositeur dévoile son penchant pour les thèmes difficile à mémoriser, qui traverse la partition de manière inaperçue voire inconsciente. Danny Elfman possède aussi son propre style fait de cordes lourdes, d'un piano plus intime et d'un orchestre qui n'hésite pas à se lancer à fond dans les moments les plus sombres du film, des éléments qu'il synthétise parfaitement dans cette oeuvre sombre et intense. Au final, 'Dolores Claiborne' apparaît comme une partition orchestrale atmosphérique, monotone, froide et déprimante, qui risque fort de décevoir les nostalgiques du Danny Elfman de la fin des années 80. Voilà en tout cas l'une des partitions majeures du Elfman des années 90 qui, sans signer ici un de ses chef-d'oeuvres, nous rappelle qu'il possède un goût très prononcé pour les ambiances sombres et pesantes!
par Quentin Billard
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