JULIEN MAZAUDIER
- Publié le 08-05-2008Le Cinéma Indépendant, en marge d’Hollywood a presque toujours existé mais ce n’est qu’au début des années 60 que la fusion entre Musique et Cinéma a été déterminante. A cette époque, une contre culture menée par le mouvement hippie se développe et le Jazz, le Rock, la Pop music deviennent l’expression de toute une frange de la population en lutte contre le conformisme social.
Aux
Etats-Unis, lorsque les premières caméras légères en 16mm. sont
apparues, les réalisateurs ont pu bénéficier d’une plus grande
indépendance. Les premiers documentaires des frères Maysles ou des gens
comme DA Pennebaker, Richard Leacock s’attachent à retranscrire la
réalité brute de la société (Direct Cinema). Partant sur ce principe
d'autonomie, Film Culture (revue qui soutient l’avant-garde
cinématographique) développe un New American Cinéma, en publiant des
manifestes et en organisant des réunions pour permettre la création
d’un cinéma américain en opposition à Hollywood tant sur le plan
thématique que sur le plan esthétique… Ce mouvement connut son apogée
avec la célébrité de quelques films expérimentaux d’Andy Warhol (Sleep (1963), Eat (1963), Chelsea girls (1966)), et de son associé Paul Morrisey (la trilogie Flesh (1968), Trash (1970), Heat (1972). Ces films furent d’abord diffusés à New York puis, le succès venant dans un certains nombres de villes des Etats-Unis…
A la fin des années 60 grâce notamment à la formidable vague de
libération des mœurs emmené par Woodstock, apparaît les gros succès du
Cinéma indépendant comme Easy Rider de Denis Hopper (1968), un western moderne et psychédélique.
Sur
le plan audio-visuel, la collaboration entre Andy Warhol et le groupe
de Rock The Velvet Underground mené par Lou Reed et John Cale fut un
évènement unique. En 1965, dans le quartier New-yorkais de Greenwich
Village, au Café Bizarre, le groupe se rassemble pour assurer la partie
musicale d’Andy Warhol’s up-tight, un spectacle multimédia combinant
films expérimentaux, diapositives, jeux de lumières psychédéliques,
musique improvisée, chanson et danse.
Le phénomène de plus en plus massif de la contre-culture (Youth
Culture) a conduit ainsi Hollywood à exploiter le filon de
l’underground et à aligner son Cinéma sur cette tendance populaire…
C’est ainsi que dans les années 60, beaucoup de films produits par des
Majors furent conçus dans un esprit proche du Cinéma indépendant.
Bonnie and Clyde (1967) d'Arthur Penn, les films de Peter Bogdanovitch, The last Picture Show (1971), Paper Moon (1973), Panique à Needle Park de Jerry Schatzberg (1971), un film brut et très réaliste sur le monde des toxicomanes, Macadam Cow-Boy (1969), de John Schlesinger, rendu célèbre par la chanson d'Harry
Nilsson Everybody's talking. Un film magnifique et profond sur
l'Amérique marginale interprété Par John Voight et Dustin Hoffmann ; la
musique est signée John Barry. Après avoir travaillé à la télévision
chez CBS, Sidney Lumet se livre à une critique perspicace de la société
Américaine. Le film Serpico (1973) avec Al Pacino, traite de la police corrompue tandis qu'en 1975, Un après-midi de chien (1975) et surtout Network (1976) se livrent à une critique virulente des médias et de la politique spectacle télévisuelle .
La Fox a même financé quelques films du Cinéaste marginal Russ Meyer dont La Vallée des Plaisirs en 1970, un film classé X dés sa sortie avec une musique vite oubliable et The Seven Minutes en 1971 tout deux tournés en 35mm et Cinémascope.
Le Documentaire de Ted Demme et Richard Lagravenese, Une décennie sous
Influence réalisé en 2003, revient sur cette époque révolutionnaire où
les nouveaux cinéaste Américains indépendants redéfinissaient alors un
Nouveau Cinéma Hollywoodien : réaliste, acerbe et accessible au grand
public.
Dionysus in'69, la pièce du Performance Group filmée par Brian de Palma.
Ci-dessus, une danse de Joie en l'honneur de Dionysos
En 1969, Brian De Palma, Robert Fiore et Bruce Rubin filment à Greenwich Village Dionysus in'69.
Une libre adaptation des Bacchantes d'Euripide Interprétée par la
troupe new-yorkaise de théâtre Performance Group et mis en scène par
Richard Schechner. Un messager raconte le démembrement du corps de
Pentheus par des femmes qui iront jusqu'à le dévorer. Le spectacle,
véritable performance dans l'esprit libéral des 70's jongle entre texte
écrit, musique, chant et improvisation. Le public est assis autour de
la scène à même le sol.
Filmé en continu par deux caméras 16mm, Brian de Palma inaugure sa
fameuse technique du split-screen en divisant le cadre en deux écrans
pour mieux représenter l'interaction entre le public et les comédiens ;
un procédé déjà utilisé par Andy Warhol dans Chelsea Girls.
Le film est monté dans l'esprit du Cinéma Vérité ; un découpage minimal
afin de mieux restituer la continuité du temps théâtral. Le clou
musical de la pièce est la scène de débauche collective des fêtes
dionysiaques. Pendant 12mn, musique, chant et danse culminent dans une
véritable débauche jubilatoire où tout le monde finit à poil, les uns
sur les autres. On pense à la performance de Carolee Schneemann Meat
Joy , crée en 1964. Les spectateurs se mêlent à la fête et on ne sait
plus trop où sont les véritables comédiens.Tambours africains,
clochettes, gongs et tambourins battent la cadence sur une mélodie
incantatoire jouée à la flûte traversière. Comme le dit lui-même De
Palma aux journalistes qui lui ont consacré un ouvrage (Brian De Palma - Entretiens avec Samuel Blumenfeld et Laurent Vachaud . Editions Calmann-lévy) : "C'étaient les années soixante messieurs! Croyez-moi, vous avez vraiment raté quelque chose."
Concernant la Soul-Music, elle trouve son équivalent visuel en 1970, avec le Cinéma de Blaxploitation amorcé par le cinéaste noir Melvin Van Peebles dans Sweetback Badaass Song qui signe sa propre musique avec l’un des membres du groupe Earth Wind and Fire. Ce film expérimental sans compromis atteind un succès immédiat car il montre pour la première fois le vrai visage de la communauté noire. Cette idée sera évidemment tout de suite récupérée par les Majors Hollywoodiennes qui flairant le bon coup s’empressent de montrer des héros noirs complètement stéréotypés avec Coupes afro et costumes à pat d’eph dans Shaft (1971), Black gun, Slaughter, Hit man (1972).
Au début des années 60, sous l'influence du Néo-Réalisme italien, le même phénomène se déploie en France avec le mouvement de la Nouvelle Vague mais fut plus intellectuel. Des Cinéastes comme Jean Luc Godard et son montage sonore patchwork dans Pierrot le Fou (1965), Alain Resnais avec la musique sérielle de Hans Werner Henze, Muriel ou le Temps d'un Retour (1963), Philippe Garel, avec des chansons composées et interprétées par Nico, La Cicatrice Intérieure (1972), Pierre Kast et la musique électroacoustique de Bernard Parmegiani, Les Soleils de l'île de Pâques (1971) jettent les bases d'une nouvelle conception entre son et Image en s'associant parfois avec des compositeurs issus de la Musique Contemporaine, ou de l'underground.
Dans les années 70, certains compositeurs français connotés classiques
se sont mêmes aventurés avec bonheur sur le terrain de l’avant-gardisme
comme Georges Delerue avec Quelque part Quelqu’un (1972), Pierre Jansen, Le Boucher (1970) et Philippe Sarde, Le Locataire (1976)… Certains réalisateurs se sont aussi penchés sur la scène rock indépendante. L’italien, Michelangelo Antonioni avec Blow Up (1966), Zabriskie Point,
sur une musique de Pink Floyd (1970) et l’Anglais Ken Russell qui,
passionné de musique classique changea complètement d’optique en 1975
en transcrivant pour l’écran l’opéra Rock (c’est un mot qui fait très
mal !) des Who, le déjanté Tommy. Il réalisera l’année suivante Lisztomania, une transcription des musiciens pop dans l’univers décadent des compositeurs du passé…
Surfant sur la vague de l’érotisme plusieurs Réalisateurs/Compositeurs
se sont essayés au genre avec plus ou moins de bonheur... Dusan
Makavejev et Manos Hadjidakis dans Sweet Movie (1973), Alain Robbe-Grillet et Michel Fano, Glissements progressifs du plaisir (1974), Miklós Jancsó et Francesco de Masi, Vices privés, vertus publiques (1975), Mario Mercier et Eric de Marsan, La Papesse (1975), Barbet Shroeder et Carlos d’Alessio, Maîtresse (1976),
Walerian Borowczyk fait une utilisation insolite des sonates pour clavecin de Domenico Scarlatti dans La Bête (1975). On peut également noter les sonorités singulières des tambours magiques
traditionnels Cinghalais dans La Bonzesse, le film érotique de François Jouffa.
Certains musiciens, issus de la Pop Music ont aussi collaborés à divers films érotiques. Pierre Bachelet avec Emmanuelle (1974), Michel Colombier, Les Onze mille Verge (1975), Laurent Voulzy, Candice Candy (1975), Mort Schumann, Sex o’clock-USA (1976)...
Il faut également mentionner le cas du Cinéma bis, autre genre bien
particulier lui aussi. Par définition le Bis, s'inspire de films à gros
succès en reproduisant la même trame narrative mais avec des moyens
beaucoup plus limités et une certaine ironie. Le cinéaste Américain Ed
Wood peut passer pour un des pionniers du genre. Son film de
science-fiction Plan 9 from Outer Space (1959) a la fameuse réputation d'être l'un des pires films jamais réalisés.
Dans le genre Péplums, on trouve par exemple toute la série abominable des Macistes.
il y a aussi le polar, le cinéma érotique, le film d'horreur avec tout
le bestiaire fascinants de créatures abominables (Vampire, loup-garou,
monstre des mers, homme à deux têtes, insectes géants, canard
extra-terrestre...) En Italie on trouve notamment le Western spaghetti
et le giallo (thriller fantastique). En Inde, les comédies musicales de
Bollywood...
Dans le Cinéma Bis, le mariage entre Son et Image est souvent intéressant car la musique a souvent une fonction contrapuntique, décalée par rapport à l’histoire ; de plus la pauvreté du son et de l’instrumentation donne souvent lieu à des aspects cocasses… par exemple, la musique du film Ré-Animator (1985) de Richard Band est un décalque simpliste du thème principal de Psychose repris au synthétiseur… Cela fait aussi partie évidemment du charme du film !
Russ Meyer ou Jess Franco utilisent souvent dans leurs films une
musique fringante en phase totale avec la musique des 70’S. Le
free-jazz, la pop music, le raggae, le funk... créant des sonorités
parfois assez inattendues. Dans les scènes érotiques de MegaVixens (1970), Russ Meyer superpose aux cris de jouissances des actrices, du
jazz rétro, des fanfares, de la pop ringarde et même le Tristan et
Isolde de Wagner… Un joyeux délire !
Dans Vampyros Lesbos (1969), Jess Franco s’amuse avec les couleurs de l’orchestre en introduisant une sitare indienne au sein d’un Jazz-Band…
Dans
les années 70, profitant du regain d’intérêt populaire pour le cinéma
comique iconoclaste, l’Italie fut un pays très cultivateur du genre bis.
Ennio Morricone, Stelvio Cipriani, Riz Ortolani, Pino Donaggio se sont
souvent amusés à parodier avec talents les grands thèmes classiques ou
à utiliser une musique hors de propos. Riz Ortolani a souvent eu
recours au procédé du contrepoint. Dans des scènes d’horreur pure, là
où il faudrait ajouter un climat de tension et de folie à la Bernard
Herrmann, il utilise des sonorités douces ou mélancoliques. Le
générique du film d’horreur Cannibal Holocaust (1980) démarre sur une musique charmante avec des violons, à mi-chemin
entre la pop et le classique…. De Morricone, on se souvient notamment
de son arrangement burlesque de La Chevauchée des Walkyries dans le Western spaghetti Mon Nom est Personne (1973) ou de sa petite musique guillerette qui accompagne le film d’épouvante de Lucio Fulci Le Venin de la Peur et celui de Dario Argento, Le Chat à Neuf Queues en 1971.
Aprés Mario Bava, signalons qu' Argento fut l'un des réalisateurs les
plus importants du Giallo. Sa collaboration avec le groupe pop, The
Goblin sur Profondo Rosso (1975) et Suspiria (1977) reste mémorable...
Aujourd’hui le grand public peut difficilement apprécier à sa juste valeur toute la diversité de la musique de film. Il ne connaît plus, ou presque que celle imposée par les Majors de Hollywood. Dans ces disques, la musique du compositeur devient de plus en plus anecdotique. Les Bandes Originales, tels un véritable Juke-box regroupent des morceaux préexistants, souvent sans rapport avec l’histoire mais qui de par leur popularité permettent tout simplement de mieux exploiter le film… Comme le cinéma Hollywoodien occupent entre 85 et 90% du marché Mondial il définit une production très concentrée voire monopolisante…De plus, les films nationalistes, singuliers, et originaux tendent peu à peu à s’effacer puisque de nombreux pays n’hésitent pas à copier ce système de production, misant davantage sur la sempiternelle surabondance de moyens plutôt que sur une véritable construction scénaristique originale.
On retrouve ainsi de par le monde, un cinéma Hollywoodien aussi bien en Inde qu’en France, à Taiwan ou en Alaska… Les films qui tentent de sortir de ce système en proposant un style audio-visuel différent sont désormais rares…Difficile également de sortir la Bande Originale d’un film tourné dans des contrées aussi retirées du monde occidental que l’Afghanistan ou le Chili et qui, même avec de bonnes intentions essaye de développer une forme stylistique riche et novatrice…Hollywood serait-il devenu le nouvel opium du peuple ?
Melvin Van Peebles, le Cinéaste indépendant du film Sweetback’s Baadassssss song, émet une réflexion très lucide sur les motivations qui poussent le public à aller voir les films :
"Un
des problèmes majeurs auquel est confronté un réalisateur noir (en
fait, un problème pour tous les réalisateurs indépendants qui veulent
produire leur propre long métrage, mais un problème encore plus
important pour les Frères) est qu’Hollywood vernit ses productions avec
une telle débauche de moyens qu’on ne peut pas échapper à la
surenchère. Tout est là. Si je fais un film en noir et blanc avec un
pauvre son, même si j’ai tous les ingrédients d’une histoire
révolutionnaire que personne n’aurait imaginée voir un jour, les Frères
sortiront et se diront : « Merde, les Noirs ne font jamais bien les
choses. On a vu tellement de films en couleurs et en 35mm. , comment
osent-ils débarquer avec un truc aussi maigre ? » Ne réalisant pas bien
sûr, que le prix de la liberté va souvent de pair avec la pauvreté des
moyens". (Extrait du livre de Melvin Van Peebles Sweetback’s Baadassssss song)
Le Public d’aujourd’hui serait-il devenu Sourd ?
En rebondissant sur cette citation, on pourrait se poser la même question avec la Musique au Cinéma…Pour les producteurs de Hollywood, la musique dans les films doit s’adresser avant tout à un public de masse… on lui enlève donc sa part de singularité en ne gardant que l’aspect le plus accessible… Cette tendance a naturellement toujours existée dans l’histoire de la musique de film et n’est pas à remettre en cause. Les Comédies musicales produites dans les années 40 étaient calqués sur le même modèle. Ce qui pose réellement problème aujourd’hui et qui n’était pas aussi affirmée dans le passé, c’est que Hollywood est devenu le principal acteur dominant de toute la distribution cinématographique. Elle laisse ainsi peu de places aux productions indépendantes…
L’ensemble des grands médias participent également à ce phénomène en délaissant l’aspect Underground de la B.O, préférant miser sur des films plus populaires. Hors cette idéologie élitiste provoque un curieux effet boule de neige… Si les gens s’intéressent d’abord au cinéma Hollywoodien c’est aussi parce qu’il ne connaissent que celui là… les films en marge, on ne les montre pas parce que, apparemment ça n’intéresse pas le grand public… et le public ne s’y intéresse pas parce qu’on ne lui en parle pas… Il y a ainsi tout un pan de la musique de film qui est malheureusement tombé dans les oubliettes par manque de considération, de curiosité et qui reste à (re)découvrir. Cette rubrique s’adresse donc avant tout aux gens qui croient qu’une bonne musique de Film est une musique célèbre ou récompensée… Preuve que non et que nous allons tenter superbement de démontrer…
JULIEN MAZAUDIER
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)