L’avantage ou l’inconvénient - c’est selon – avec Quentin Tarantino, c’est qu’il n’est pas difficile de le faire parler. L’homme paraît branché en permanence sur 100 000 volts et envoie un débit de mots incroyable. Passionnant pour ses auditeurs. Reposant pour son intervieweur (le journaliste Michel Ciment - de la revue Positif - qui pour l’occasion n’a pas eu beaucoup de questions à poser). Périlleux pour le traducteur (obligé de ne traduire qu’une phrase sur deux et de faire l’impasse sur les « fuck » toutes les trente secondes ! Mais tout cela fait parti du personnage Tarantino.
Venu faire un aller-retour express Los Angeles/Cannes pour l’occasion, le réalisateur est apparu détendu dans sa veste en cuir noir. A peine est-il sur scène que déjà il se lance pendant de longues minutes sur les raisons qui l’ont poussées à se trouver plongé dans le 7ème Art. Evoquant tour à tour son passé dans un vidéoclub où il ne cessait de découvrir, voir et revoir des films, Tarantino s’est très vite bâti une culture cinématographique énorme.
Pour lui, « faire un film, seul, par ses propres moyens est la meilleure leçon de cinéma qui puisse exister ». Il est autodidacte pour ce qui est de l’écriture et la réalisation d’un film. Son estime pour les écoles de cinéma est mince... Tarantino s’est fait tout seul. Contre vents et marées, il est resté dans ses objectifs initiaux qui consistaient à faire de chaque scène une expérimentation. Il a d’abord commencé par des courts-métrages. Son premier film en 16 mm fut My best friend’s birthday.
En se rendant à différents festivals pour présenter ses courts-métrages, Tarantino a très vite compris ce qui l’attendrait plus tard. « J’ai très vite su qu’on adorerait ou que l’on détesterait mes films, que ce serait forcément ces deux extrêmes ». Ce constat est né au festival Sundance où, alors que son film venait de se faire huer par la salle, Terry Gilliam est venu le voir après la séance pour lui confier qu’il avait adoré sa créativité. Cette rencontre a permis à celui qui se considère comme « un romancier qui réalise et non pas un réalisateur » de ne plus se fier aux critiques.
Le cinéma de Tarantino est une marque de fabrique désormais. Un cinéma référencé, entrecoupé de plans longs, de dialogues très écrits, des répliques cultes où humour et tension se conjuguent. « C’est tout ce que j’aime faire » se justifie-t-il en souriant.
Je ne fais pas confiance aux compositeurs de musiques de films :
Plusieurs scènes des films de Quentin Tarantino ont été projetées puis expliquées par le réalisateur lui-même. La scène d’ouverture de Reservoir Dog avec le plan circulaire, comme l’utilisait De Palma. La scène du cheeseburger de Pulp Fiction. Ou encore la scène de Kill Bill au cours de laquelle Uma Thurman se bat dans une maison au moment où une petit fille rentre chez elle. L’opportunité pour Michel Ciment d’interroger son invité sur son rapport à la musique dans chacun de ses films. Et les propos de Tarantino ne sont pas tendres avec les compositeurs. Il explique : « Je n’utilise jamais de musique originale, je ne fais absolument pas confiance aux compositeurs ! Vous croyez vraiment que je vais confier mon film à un mec qui va le massacrer avec sa musique ! La musique est trop importante pour que je prenne ce risque là ! J’aimerais être Clint Eastwood qui compose lui-même les scores de ses films, mais j’en suis incapable ! » Au moins, les choses sont claires pour ce collectionneur de CDs et vinyles à la culture musicale impressionnante. « Petit, poursuit-il, j’écoutais pendant longtemps les musiques de films en essayant de me souvenir d’où elle provenait ».
Il ne dissocie pas ses films de leurs musiques, ce qui explique que de nombreuses scènes de ses longs-métrages ressemblent à des chorégraphies. Il utilise de nombreuses musiques rétro ou pop comme support et ces choix sont déterminés dès l’écriture du scénario. Il lui arrive aussi régulièrement d’emprunter des extraits de BO de précédents films. « Il m’arrive souvent d’utiliser des compositions de Lalo Schifrin, Ennio Morricone ou John Barry. Je prends leur musique sans m’occuper d’eux !
Pendant cette Leçon de cinéma, Tarantino s’est montré généreux et particulièrement démonstratif. Il repartait quelques heures plus tard à L.A., car il est actuellement en pleine écriture de son nouveau projet sur la seconde guerre mondiale. Nouveau sujet. Nouveau pari. Tarantino n’a pas peur de surprendre, c’est même plutôt ce qu’il recherche. Avec le goût du risque comme moteur, le réalisateur du « Boulevard de la mort » sait que chaque film qu’il met en scène apporte son lot de nouveaux adeptes. A l’image d’une Salle Debussy entièrement conquise hier par le génie Tarantino... Ce n’est pas du sang qui coule dans les veines de cet homme-là, ce sont des kilomètres de pellicules de films et de cinéma.
Interview B.O : Uèle Lamore (Les Femmes au balcon, de Noémie Merlant)