coulais,bernard-jm,adieux_a_la_reine,oncle_charles, - Rencontre Bruno Coulais (LES ADIEUX A LA REINE) et Jean-Michel Bernard (L'ONCLE CHARLES) Rencontre Bruno Coulais (LES ADIEUX A LA REINE) et Jean-Michel Bernard (L'ONCLE CHARLES)

coulais,bernard-jm,adieux_a_la_reine,oncle_charles, - Rencontre Bruno Coulais (LES ADIEUX A LA REINE) et Jean-Michel Bernard (L'ONCLE CHARLES)

INTERVIEW RÉALISÉE À PARIS LE 16 MARS 2012 PAR BENOIT BASIRICO - Publié le 20-03-2012




Bruno Coulais retrouve Benoit Jacquot pour LES ADIEUX A LA REINE après VILLA AMALIA et AU FOND DES BOIS tandis que Jean-Michel Bernard fait la connaissance d'Etienne Chatiliez pour L'ONCLE CHARLES. La sortie de leur film respectif la même semaine est l'occasion de réunir les deux compositeurs qui se connaissent et s'apprécient par ailleurs. 

Cinezik : Bruno, vous retrouvez Benoit Jacquot pour la troisième fois au cinéma, dans quelle direction êtes-vous cette fois-ci allé pour ce drame situé lors de la révolution française ?

Bruno Coulais : Avec LES ADIEUX A LA REINE, on continue notre chemin commun avec Benoît. C'est une musique particulière. On discute beaucoup de la musique avant le tournage, et j'écris souvent des musiques avant même qu'il ait commencé. C'était le cas pour une longue séquence des ADIEUX A LA REINE. C'est le prolongement du travail qu'on avait fait sur AU FOND DES BOIS, même si la musique est d'une autre nature. Il m'a demandé de lui faire des "vagues". La formule me plaisait. C'est la musique de la rumeur, dans ces couloirs très angoissants de Versailles où les gens errent, perdus, naufragés. La musique, c'est un peu le naufrage, l'angoisse, la fin d'un monde. Il y a des enchaînements de musiques qui durent à peu près quinze à vingt minutes, ce qui est assez rare au cinéma. L'idée était de mettre la musique dans une sorte de tunnel qui donne du rythme et de l'affolement au film. C'est un point de vue de metteur en scène. Cela devient comme une chorégraphie, un ballet qui accompagne les acteurs, notamment dans ces couloirs très angoissants de Versailles.

C'est beaucoup plus facile et commode pour moi de faire des musiques angoissantes comme celle-ci que des musiques de comédies. J'aimerais d'ailleurs faire un film d'horreur. Je trouve même que LES ADIEUX A LA REINE est un film de vampires, c'est un film incroyable, on a peur. C'est amusant avec la musique de jouer cela aussi.

En parlant de comédie, L'ONCLE CHARLES en est une. Jean-Michel, de quelle nature est cette musique pour le film d'Etienne Chatiliez ?

Jean-Michel Bernard : La première musique que j'ai écrite est celle de l'introduction qui est très particulière car elle n'a rien à voir avec la suite du film. Etienne voulait une musique qui soit presque un thriller pour donner une idée complètement différente de ce à quoi on va arriver.
Il a monté le film sur cette musique de 1min30 puisqu'il est reparti entre temps re-tourner des séquences en Nouvelle Zélande et je n'ai rien eu à changer, ce qui est rare.

Cette musique d'introduction est improbable, inattendue, avec ces voix tribales...

J-M.B : La première idée que j'ai eu était justement de reprendre ces chants tribaux qui sont très marqués, très violents, et que j'ai mélangé avec des choeurs un peu plus classiques. Il y a donc un chant traditionnel haka chanté par des néo-zélandais mélangé avec des choeurs classiques qui font davantage des onomatopées. Ca ressemble un peu à ce que peut faire Bruno parfois avec ses corses. (rires)

Comment s'organise la partition et ses thèmes ?

J-M.B : Il y a trois parties distinctes. Il y a ce bloc de début de film très à part que l'on ne retrouve pas après, puis une partie avec un Score un peu plus traditionnel, illustratif, plus habituel. Et puis il y a toute la partie "bretonnisante", appelée la "Bretonnerie" par Etienne lui-même avec un thème breton que j'ai décliné tout au long du film. J'avais tenté plusieurs choses et comme l'action se passait en Bretagne on pouvait aller dans cette direction-là. C'était une idée assez bonne d'Etienne, et surtout cette idée le faisait rire. Et si ça le fait rire, ça lui va.

Bruno, vous aviez un peu travaillé avec Etienne Chatiliez sur AGATHE CLERY...

B.C : J'adore Etienne, le metteur en scène et le personnage. Il était venu un jour écouter une maquette et je l'avais prévenu "c'est une maquette, ça va être atroce", et il m'avait fait cette réflexion : "oui, c'est un peu comme visiter un appartement un jour de pluie".
Mais j'ai fait très peu de choses, notamment le générique, pas une musique complète comme toi Jean-Michel.

Il s'agit d'une musique pour une comédie, mais qui ne joue pas la comédie, qui se prend même au sérieux...

J-M.B : La musique dans une comédie comme celle-ci doit avoir un côté très sérieux, le côté "bretonnisant" est finalement quelque chose de très sérieux.

B.C : C'est ce qui est drôle, quand il y a un décalage. C'est comme ces acteurs, comme Cary Grant par exemple, il n'essaie pas d'être drôle, mais c'est la situation qui est drôle. Il n'y a rien de pire que la musique comique, "pouet pouet".

J-M.B : Quand on voit Eddy Mitchell sur le port de Saint-Nazaire qui parle de sa jeunesse, c'est sûr que si tu as une musique comique, elle annulerait complètement l'effet.

B.C : J'ai écouté les thèmes de Jean-Michel, et il y avait un thème qui était très bien qui n'a pas été mis dans le film si je comprend bien...

J-M.B : Il a été utilisé dans les "trailers".

B.C : C'était bien, avec un quinte mineure, majeur sept.

Au delà du fait que vous ayez chacun un film à l'affiche la même semaine, vous vous connaissez bien. D'où vous vient cette affinité musicale et personnelle ?

J-M.B : Bruno est mon maître absolu. J'ai une admiration sans bornes pour ce garçon. Je le dis à chaque fois, pas la peine de rougir Bruno (rires). Mais ce n'est pas seulement musicalement, c'est humainement, c'est un ensemble de choses. Pour moi les deux sont forcément liés.

B.C : J'ai découvert Jean-Michel avec LA SCIENCE DES REVES, qui est une musique que j'adore vraiment. Puis après nous nous sommes rencontrés un peu par hasard, et maintenant nous nous fréquentons beaucoup et c'est un vrai plaisir.

J-M.B : C'est vrai.

B.C : Jean-Michel est un incroyable musicien, d'ailleurs on dit de lui - avec mon ami Marc Chantreau - qu'il est presque trop doué, il est incroyablement doué. Il a une formation très solide, c'est un vrai musicien, c'est ce que j'aime chez lui. Et ce serait épatant qu'il fasse aussi des musiques de films plus dramatiques, plus sombres, parce que je crois que pour l'instant il n'a pas encore fait découvrir toute sa palette, qui est très riche.

J-M.B : LA SCIENCE DES REVES me correspondait bien et c'était réussi aussi parce que cela correspondait à mon caractère. C'est vrai que quand tu passes de LA SCIENCE DES REVES à CASH par exemple, c'est différent, mais c'est pour ça que l'on fait ce métier aussi, on remet tout à zéro. Bruno, quand il passe des ADIEUX A LA REINE au MARSUPILAMI, c'est le grand écart quand même.

B.C : Et c'est cela que j'aime. J'adore travailler sur des univers très différents.

Bruno, de quelle nature est votre partition pour SUR LA PISTE DU MARSUPILAMI d'Alain Chabat (en salle le 4 avril prochain) ?

B.C : Il y a plusieurs niveaux dans la musique du MARSUPILAMI. Il y a l'émotion car c'est un petit personnage très émouvant et puis il y a son élasticité, sa rapidité, sa mobilité. Parfois il y a dans le film des musiques très rythmiques.

Vous disiez qu'il était pour vous plus commode de faire des musiques angoissantes, LE MARSUPILAMI était donc difficile à faire ?

B.C : La comédie, c'est quand même ce qu'il y a de plus dur pour le musicien.

J-M.B : Ce qui nous intéresse, c'est d'entendre la note que l'on n'attend pas. La plupart du temps, on entend ce que l'on attend. C'est un peu dommage. Je persiste à dire qu'une bonne musique c'est aussi un bon réalisateur, car il y a aussi les idées du réalisateur qui sont à prendre en compte. Quand tu travailles avec Gondry, c'est sûr qu'il y a aussi ses idées. C'est un travail commun. La réussite d'un film et d'une bonne musique, c'est le panachage des deux. Je pense que Bruno dira la même chose. Tu parlais de Benoît Jacquot tout à l'heure. C'est un grand metteur en scène et une grande personnalité, et quand il fait AU FOND DES BOIS ou LES ADIEUX A LA REINE c'est la même chose, il a une vraie vision. Alors après tu peux tomber sur un metteur en scène qui n'a pas trop d'idées. Le pire, c'est d'avoir la musique habillée pour l'hiver, avec les "music supervisor", ce contre quoi on lutte tous.

B.C : C'est le prêt-à-porter du cinéma.

Quels sont les réalisateurs avec lesquels il est le plus facile de travailler ?

B.C : Ce sont ceux qui nous font confiance. Si je sens qu'il y a des doutes, des remises en question permanentes, je perds mes moyens. J'ai besoin que le metteur en scène me laisse une liberté, qui est quand même dépendante du film, évidement, et une confiance. Il peut ne rien connaître à la musique, mais si sa demande de liberté est grande, c'est le rêve.

J-M.B : Il vaut mieux en effet travailler avec des gens qui nous font confiance et sont prêts à entendre des propositions qui ne sont pas celles auxquelles ils avaient pensé dans un premier temps ou auxquelles le monteur avait pensé, car les monteurs sont très influents dans le choix de la musique souvent.

Est-ce que le fait d'avoir de l'ancienneté et une expérience améliore les conditions ?

J-M.B : Au bout du dixième long-métrage, tu es peut -être un peu plus confortable, tu as un vision un peu plus globale des choses. Mais c'est difficile car parfois tu fais une musique et même avec un réalisateur qui te valide tout, ça ne plaît pas au producteur. Cela arrive parfois, que ce soit pour Bruno malgré tout ce qu'il a fait, ou que ce soit pour des compositeurs hollywoodiens extrêmement connus, ça n'empêche pas qu'il se font jeter des Score entiers, quelque-soit le nom qu'ils ont.

B.C : La pression, c'est ce qu'il y a de pire. Et l'expérience ne joue pas, la pression reste toujours la même. J'ai toujours l'impression de recommencer. Il s'agit d'une pression que l'on se donne à soi-même. Puisqu'il faut que la musique plaise au metteur en scène, au producteur, qu'elle fonctionne avec le film, j'ai l'impression que plus ça va, plus la pression augmente. Et concernant les musiques refusées, ça arrive. Cela m'est arrivé sur ANTHONY ZIMMER. C'est une musique que j'aime bien d'ailleurs, il faudrait que je l'écoute de nouveau. Mais il paraît qu'elle était trop froide. D'ailleurs, j'attends d'en avoir plusieurs pour faire un album de mes musiques rejetées.

J-M.B : Je pourrais éventuellement t'en donner quelques-unes.

B.C : Voilà, on va faire cela en commun.

Que pensez-vous des casting où plusieurs compositeurs sont en lice pour un film ?

B.C : C'est horrible !

J-M.B : C'est insensé, parfois tu te retrouves avec dix ou quinze compositeurs. Je crois qu'au bout d'un moment il faut refuser.

B.C : Si ce métier devient comme cela... Ca me fait penser aux pires années de la publicité, où l'on mettait en concurrence des musiciens. La musique, c'est un choix de metteur en scène, il faut que le metteur en scène se dise "Jean -Michel Bernard, ou un autre, c'est le musicien qu'il me faut pour ma musique, pour mon film, point".
Faire une maquette pour être choisi parmi d'autres, c'est comme les commissions. On finit par choisir la chose la plus moyenne.

J-M.B : On amène un langage inconnu la plupart du temps, parce que les réalisateurs comme Benoît Jacquot ou autres, qui connaissent la musique, il n'y en a pas beaucoup. Les autres se fixent par rapport à ta liste IMDB avec tout ce que tu as fait, c'est pour cela que pour les jeunes aujourd'hui c'est difficile.

Que pensez-vous des conditions avec lesquelles votre métier évolue aujourd'hui ?

B.C : Les budgets pour la musique sur les films, c'est indigne d'après tout ce que j'entends. Il faut au moins aider le compositeur à travailler décemment. Moi je ne me plains pas, j'ai beaucoup de chance, mais de temps en temps je discute avec de jeunes compositeurs et ils me racontent dans quelles conditions ils enregistrent leur musique. Pour la télévision par exemple, c'est scandaleux !

J-M.B : Aujourd'hui, j'ai des copains qui enregistrent des choses par webcam avec des orchestres à Bratislava ou en Macédoine.

B.C : Ce serait bien que l'on trouve un système pour travailler avec les musiciens français de façon plus confortable car quand on essaie de travailler à Londres, on se rend compte que les orchestres sont "archi-bookés", ils travaillent sans arrêt mais ils ne sont pas moins chers. Il faudrait trouver un système pour travailler avec des orchestres et des musiciens français plus confortablement.

J-M.B : On a quand même un peu de chance avec Eric Garandeau qui donne un coup de fouet inespéré depuis qu'il est à la tête du CNC. D'ailleurs, cette année je vais faire partie de la commission d'aide aux court-métrages qui est vraiment le laboratoire parfait pour les jeunes talents.

B.C : La SACEM aussi s'intéresse à la musique de film et aide. Mais je pense que c'est aussi des habitudes de production, sur un budget de film ce serait convenable d'avoir un budget cohérent pour la musique, ce qui n'est pas le cas. Ca coute cher un film, et faire de la musique avec des bouts de chandelles est périlleux.

Que pensez-vous de l'édition de vos musiques en disque ?

J-M.B : Je pense qu'une sortie de B.O. en physique pour chaque film est une aberration totale. Ca ne sert à rien, à part s'il y a beaucoup de musiques de source, des chansons ou alors un vrai score continu, ça peut se comprendre. Mais si c'est pour avoir des bouts de musique, c'est ridicule. A la limite, il vaut mieux le sortir en digital, et après les gens choisissent, mais ça ne veut rien dire sinon, si c'est pour en vendre cinq...

 

 

INTERVIEW RÉALISÉE À PARIS LE 16 MARS 2012 PAR BENOIT BASIRICO

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