Cinezik : MOBILE ÉTOILE est un film musical, la musique y joue un véritable rôle central, encore plus que dans les films de Denis Decourt chez qui votre musique est aussi très présente à l'image...
Jérôme Lemonnier : Il s'agit davantage d'un travail de compositeur que celui de compositeur de musique à l'image, puisque mon implication a eu lieu avant le tournage. Et après le tournage, je n'ai même pas retravaillé mes partitions en fonction des images, ce que tous les compositeurs de films font en général, même lorsque la musique peut être faite en amont pour des raisons de narration, comme ce fut le cas avec Denis Dercourt. Ici, j'ai abordé la musique comme une commande cadrée par un scénario et par un storyboard que Raphaël m'avait apporté sous forme de planches de dessin. Tout son scénario était mis en dessin. Il m'a emmené avec lui dans son histoire, l'histoire de la musique française entre 1880 et 1920.
Le travail était de revisiter l'esprit de ces mélodies, car c'est une période qui met vraiment la mélodie en valeur. J'ai ainsi écrit 7 chansons, plus la chanson titre « Mobile étoile » que j'ai réarrangée. Elle est l'œuvre du compositeur Fernand Halphen qui a vécu à cette époque. Je connaissais déjà ces compositeurs que j'avais étudiés lorsque j'étais au conservatoire où j'ai appris à écrire dans le style de Fauré, Debussy, Ravel... C'était l'occasion de renouer avec ces auteurs.
Raphael Nadjari : La musique est en effet très centrale. Elle a un thème, que l'on a développé ensemble avec Jérôme, avec les traductions de l'hébreu, c'est un thème en lien avec l'émancipation, la fin des culpabilités, et qui traverse en sous-couche le film. C'était donc un élément essentiel. De plus, Jérôme connaissait très bien la musique française. On a donc réussi à se connecter à l'époque, sa musique s'est déployée. On l'a considéré comme un compositeur à part entière.
Jérôme, aviez-vous carte blanche pour votre partition malgré les références ?
J.L : La contrainte de l'image n'existant pas, c'est plutôt le cadre esthétique défini ensemble qui a été la contrainte. A partir de là, c'est une confiance réciproque qui a été nourrie par beaucoup d'échanges et de conversations musicales.
R.N : On lui a laissé le champ libre, comme si on allait interpréter du Bach ou du Ravel. Dès le storyboard, je savais où la musique s'intègrerait, mais on ne savait pas encore tout à fait comment. Au fur et à mesure du travail, j'ai compris beaucoup de choses en traversant les différents lieux de tournage tels les conservatoires, les lieux de spectacles ou les salons. On a ensuite disposé la musique à partir de cela.
Quel a été le travail avec les comédiens qui interprètent à l'image votre musique ?
J.L : J'ai travaillé avec Géraldine Pailhas en amont du tournage et pour des raisons géographiques et d'emploi du temps je n'ai pas participé au tournage. J'ai remis les manuscrits à Raphaël et aux comédiens et chanteurs canadiens. Ils en ont pris possession, l'ont travaillé. Certains étaient déjà chanteurs professionnels. Et d'autres, comme Géraldine et Luc Picard se sont fait coacher par des professeurs de piano et de chant.
R.N : La jeune Eléonore Lagacé, chanteuse dans la vie, est devenue comédienne. Géraldine est devenue musicienne. C'est une vraie passation.
Et pour Luc qui n'était pas pianiste, on a travaillé avec la pantomime et des doublures. Il y a aussi une magie de témoigner de tout ce qu'on a traversé lors des préparatifs. C'est le travail que l'on a mis en avant à partir de cette musique écrite en amont et interprétée sur le plateau.
Jérôme, vous avez sorti l'album « Piano Works » qui reprend vos pièces pour piano écrites pour les films de Denis Dercourt. On retrouve dans MOBILE ÉTOILE ces petites formes musicales que vous affectionnez...
J.L : Ce qui sonne avec un grand orchestre doit pouvoir aussi sonner dans des formations très réduites, à commencer par le piano, ou avec simplement trois musiciens. D'un point de vue émotionnel, c'est tout à fait remarquable.
Quelle est la part de religieux dans votre partition ?
J.L : C'est la rencontre entre des textes sacrés (puisque la plupart des textes ont été adaptés et traduits depuis la Bible hébraïque) et une musique non-religieuse, au contraire très sensuelle, très impressionniste. Mais la façon d'écrire cette musique emprunte beaucoup au religieux, à son côté solennel. Par le jeu des émotions et des personnages, cette musique ancienne résonne encore aujourd'hui. Il y a une modernité, une justesse et une sincérité que l'on retrouve, qui est la vraie valeur du film.
R.N : Il a fallu pour cela que Jérôme lâche prise sur sa musique, qu'il la laisse exister vraiment, laisse les musiciens s'en emparer, les laisse chercher eux-mêmes comment l'interpréter.
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