Cinezik : Comment vous êtes-vous retrouvé sur cette production Ghibli, avec Isao Takahata en producteur artistique ?
Laurent Perez Del Mar : Via les producteurs de Prima Linea Productions (Christophe Jankovic et Valérie Schermann) avec lesquels j’avais déjà travaillé sur 3 films. Ils ont suggéré mon nom à la production pour que je puisse rentrer dans une compétition, car ils ont demandé à plusieurs compositeurs pour essayer de trouver la meilleure approche pour le film. J’ai ainsi reçu une scène sur laquelle j'ai maquetté le thème du film. C’est sur ce thème qu’ils ont décidé de travailler avec moi. J'ai ensuite reçu le film.
Quel était votre interlocuteur dans le travail ?
L.P: Le réalisateur. Quand je travaille, je suis toujours en contact avec le réalisateur. J’essaie de faire toujours en sorte que ce soit ainsi. J’étais aussi en lien avec Béatrice Mauduit (directrice de post-production). On a formé un trio constructif. Je n'ai pas changé ma façon de travailler.
Le réalisateur savait-il ce qu’il voulait, avait-il des indications précises ?
L.P : J’ai mis deux mois pour écrire 50 minutes de musique, avec beaucoup d'allers-retours. Le réalisateur m'a juste parlé dés le premier rendez-vous d'un violoncelle et d'un rythme ternaire, mais on a surtout parlé de ce qu'il voulait en terme d'émotion, de ce que l'on doit éprouver plan par plan. On s'est bien entendu car il ne me parlait pas de musique, il me fallait essayer de le traduire.
Il s’agit d’un film d’animation sans paroles, avec un gros travail sur le son… comment la musique s’est intégrée dans cette bande-son ?
L.P : J’ai travaillé cette partition en ayant en permanence à l'esprit qu’elle s'intègre parfaitement dans le son du film, avec le monteur son Sébastien Marquilly, et le mixeur du film Fabien Devillers, avec lesquels on a décidé en accord avec la production de garder toutes les pistes de musique séparées jusqu'à la toute fin du mixage pour pouvoir parfaitement intégrer la musique dans les sons du film. On a accordé les oiseaux et le vent avec la musique, pour donner une cohérence et faire en sorte que le tout fasse un ensemble bien compact et indissociable. Je suis aussi passé par des sons de bambous, que j'ai récupérés et enregistrés. Toutes les rythmiques sont faites avec des bambous, car sur l'île il y a beaucoup de bambous. Cela m’a aidé à intégrer la musique dans le film, car le but est de ne pas trop entendre rentrer ni sortir la musique.
Votre musique a un thème, mais il n’est pas trop redondant comme on peut le retrouver chez Joe Hisaishi pour Miyazaki… Votre partition reste sobre…
L.P : J’aime bien qu'il y ait une thématique forte mais sans jamais cannibaliser les images, car les réalisateurs en ont peur. On peut tout à fait mettre une thématique au début du film en n’utilisant que l'harmonie, en la mettant très loin comme un contrepoint, suggérer le thème sans qu'il soit trop évident, mais qu'on le perçoit quand même. C’est tout ce que je fais en général, on a un thème qu'on reconnait mais il n'est pas présent sur toutes les images.
Concernant le placement de la musique, là encore il y a une sobriété, par exemple des plans de paysages restent muets sans accueillir un lyrisme attendu..
L.P : On voulait vraiment que la musique soit présente à des moments où elle était nécessaire. Pour tous les moments où il y avait un doute sur le fait de la nécessité de la musique, on n’en a pas mis. Et il y a d'autres moments sur lesquels on pensait ne pas en mettre et j'ai eu des idées. Par exemple, pour la scène du tsunami, très brute, avec uniquement du bruitage, en regardant la scène j'ai fini par faire écouter quelque chose au réalisateur car la musique amène une dimension que l'on n’éprouve pas dans la scène elle-même. La nature est très brutale et violente et je voulais apporter de l'empathie, une dimension romanesque, donc j'ai pris le contre-pied. Je n'ai pas mis un musique d'action qui paraphrase. Ensuite, le réalisateur ne pouvait plus voir cette scène sans musique. Dans ce film sans dialogues, il y a un rythme narratif qui est très particulier et la musique peut influer sur ce rythme. C’est ce que l'on a essayé de faire, créer un rythme en plus de celui des images et qui ne soit pas forcément le même.
Le film s’avère assez exigeant artistiquement, était-il question de le rendre plus accessible par sa musique auprès d’un public jeune ?
L.P : Il y a eu en effet le souci de rendre le film plus accessible, par une musique certes exigeante mais pas aussi inabordable qu'une musique très contemporaine.
Vous retrouvez le cinéma d'animation après "Zarafa" (2012), "Loulou, l'incroyable secret" (2013) et "Pourquoi j'ai pas mangé mon père" (2015). Y a t-il une spécificité dans le travail musical pour ce type de film ?
L.P : Je n'ai pas abordé ce film comme un film d'animation mais comme je l'ai fait avec les autres, je le traite comme un simple film, qu’il fasse voyager, aimer, qu'il fasse peur, qu'il angoisse, de la même manière qu'un film de prise de vue réelle.
Il est habituel dans le cinéma d’animation de faire intervenir le compositeur assez tôt, alors que pour LA TORTUE ROUGE vous êtes intervenu tard…
L.P : Pour « Loulou, l'incroyable secret », j’ai écrit le thème à partir du scénario, alors que là je suis intervenu en effet très tard, car ils n’ont pas pensé à moi au début du processus, ils ont travaillé deux ans avec d'autres musiciens avant. J’ai eu la chance de pouvoir accéder à ce film !
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