Cinezik : La comédie LE RETOUR DU HÉROS repose sur une imposture, Jean Dujardin interprète le capitaine Neuville qui s'invente des exploits de guerre alors qu'il est lâche, fourbe et sans scrupules. La musique est comme cela, elle est héroïque et en même temps on sent que ce n'est pas très sérieux...
Mathieu Lamboley : L'idée était de mettre des notes sur l'intention du réalisateur par rapport au personnage principal. Le réalisateur Laurent Tirard avait déjà une idée précise de ce qu'il voulait. Il avait des références de westerns donc cette couleur est présente. Et j'ai eu envie de mélanger cela avec un style baroque, dans l'écriture et le choix des instruments comme le clavecin, ce qui apporte un côté décalé intéressant.
Comment s'est faite la rencontre avec Laurent Tirard ? Pour ce type de comédie, aujourd'hui les productions organisent des castings de compositeurs... Est-ce que cela s'est fait ainsi pour ce film ?
M.L : Sur mes précédents films, il m'est arrivé de passer par ce genre de casting. Là ce n'était pas du tout le cas, c'est lié au hasard. Laurent avait entendu ce que j'avais fait sur "Libre et assoupi" (2014), puis on s'est croisé par hasard juste en face de mon studio et on a discuté dans un café. Il venait de sortir son film "Un homme à la hauteur". Je lui ai demandé de m'envoyer le scénario de son nouveau film. Il pensait à ce moment-là à d'autres compositeurs, mais il m'a quand même envoyé le scénario. Il m'a tout de suite parlé de cette couleur western. Cela m'a inspiré pour lui proposer un thème. Il est venu dans mon studio, je lui ai joué plusieurs thèmes au piano, et il en a retenu un, que j'ai ensuite orchestré dans le style qu'il voulait.
Dans cette indication de musique de western, est-ce qu'il vous a donné une référence précise (un titre, un compositeur) ?
M.L : Évidemment, on a évoqué Ennio Morricone, qui est la référence ultime en la matière. Pour moi ce compositeur a un univers tellement marqué et fort qu'on ne peut pas passer à côté de tout ce qu'il a inventé en terme d'orchestration. C'est plus de l'ordre du clin d'oeil, avec les cloches tubulaires, le melodica, les voix lyriques... des empreintes caractéristiques de la musique western que j'ai mélangées avec mon apport baroque. C'est anachronique pour un film qui se situe en 1809, une période où nous sommes plus dans le romantisme que dans le baroque. Je trouvais intéressant d'associer ce style flamboyant avec celui épuré de Morricone.
Quel rapport avez-vous en tant que compositeur avec le pastiche ?
M.L : En musique de film, quand on donne des références, l'idée est d'aller dans le sens du film, il faut répondre à cela, mais sans tomber dans la copie intégrale. Il arrive aussi qu'il y ait des "temp tracks", des musiques temporaires mises pendant le montage, et parfois on demande au compositeur de les copier. Cela m'est arrivé sur beaucoup de films. Mais là en l'occurrence, puisque je suis intervenu en amont, il n'y avait pas de musiques pré-établies sur des scènes. Donc la référence était orale de la part du réalisateur. Mon idée était donc d'y répondre, tout en ajoutant ma touche personnelle. J'ai par exemple utilisé le sifflet qui correspond à la référence, mais je l'ai mélangé avec les touches classiques du quatuor, du piano forte et du clavecin.
Et pour éviter le pastiche total, il y a un souci d'unité par l'utilisation d'un thème qui revient...
M.L : En effet ce pastiche de Morricone est associé à un thème qui revient tout au long du film avec différentes variations et orchestrations. Soit le thème est intime avec juste un piano, ou c'est un quatuor, certaines fois le même thème s'exprime de manière plus romantique, et d'autres passages plus héroïques avec l'orchestre complet.
Vous êtes un habitué de la comédie (Lolo, Toute première fois, Libre et assoupi, Daddy Cool, Bonne pomme, Boule et Bill 2...), quel est votre rapport à ce genre ?
M.L : C'est un exercice qui n'est pas évident, car dans les comédies la plupart du temps il y a beaucoup de dialogues, donc la musique doit exister mais être aussi discrète, d'apporter des petites touches rigolotes. Il faut aussi éviter de tomber dans le Mickeymousing, de ponctuer le moindre gag. Pour un compositeur, il peut y avoir des côtés frustrants dans les musiques de comédie. On est juste là pour soutenir un discours comique. Mais sur LE RETOUR DU HÉROS, c'est la première fois qu'un réalisateur me laisse une place si importante en ayant le souci d'une vraie identité musicale, où le compositeur participe en tant qu'auteur du film.
La musique du RETOUR DU HÉROS apporte un hors-champs, elle fait exister la bataille qui n'a pas été filmée. On voit le soldat en revenir, et la musique est là pour mettre en scène cette bataille que l'on ne voit pas. La musique correspond à ce que le réalisateur n'a pas filmé...
M.L : La musique est un personnage en tant que tel. Elle évoque le passé du Capitaine Neuville. Elle évoque l'ironie. Je me suis même laissé aller pour certaines scènes à des danses folkloriques. On n'était pas juste dans un accompagnement. J'ai eu la chance de pouvoir développer un thème lyrique.
On entend aussi dans la partition des chœurs. La musique est par moment véritablement symphonique. Quel rapport avez-vous avec cette écriture classique ? Vous avez travaillé sur ce film avec Emmanuel d'Orlando, était-ce pour l'orchestration ?
M.L : J'étais au Conservatoire en piano et en écriture, donc ce genre de musique est mon bagage. Il m'arrive dans certains films d'écrire des chansons, des touches plus modernes qui m'appartiennent aussi. Mais cela m'a fait plaisir de pouvoir enfin ici m'exprimer pleinement dans une musique orchestrale classique qui me caractérise plus. L'orchestrateur me concernant est là pour des questions techniques, il n'est d'ailleurs pas crédité en tant qu'orchestrateur dans le film. Je compose des maquettes sur ordinateur très précises, puis je demande pour gagner du temps à un copiste de me sortir les partitions. Ensuite il m'arrive de reprendre les partitions pour retoucher à l'orchestration. Je suis assez maniaque, quand je me rends compte d'erreurs je réécris derrière pour ajouter des lignes et des couleurs.
Evoquons pour terminer votre prochaine partition pour un documentaire sur Jacques Mayol qui sort le 30 mai, L'HOMME DAUPHIN, SUR LES TRACES DE JACQUES MAYOL, qui retrace son parcours, évoque "Le Grand Bleu"... Est-ce que Eric Serra était une référence pour ce film ?
M.L : Pas du tout (Rires). Je me suis inspiré de l'univers aquatique. Il y a donc quelques ambiant au synthé, avec un thème principal (pour tous les films j'en propose un). Il y a beaucoup de morceaux qui reposent sur le principe de battements de cœur qui ralentissent, car c'est ce qui se produit quand on descend en apnée au fond de l'eau.
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)