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Après quatre jours intenses à Madrid (dont deux de festival), voici enfin venu le moment de faire le point sur cette première manifestation madrilène autour de la musique de film, qui s'annonçait grandiose : un concert de Harry Gregson-Williams, un autre de Trevor Jones, des conférences de compositeurs américains prestigieux comme Hans Zimmer ou Christopher Young, et de quelques espagnols influents comme Roque Banos et Lucio Godoy... bref, de quoi alimenter pour quelques mois la soif du béophile avide de rencontres avec ses maîtres, et l'occasion rêvée pour quelques rédacteurs bénévoles d'un petit site internet français de les interviewer. Nous ramenons donc à cette occasion pas moins de sept interviews de compositeurs et musiciens présents sur le festival, et pas des moindres : mais pour vous garder le suspense, vous ne les découvrirez qu'au fur et à mesure de ces prochaines semaines.
En attendant, voici d'ores et déjà le compte-rendu des conférences et concerts auxquels nous avons assisté (avec beaucoup de plaisir), en espérant pouvoir vous transmettre une partie de l'immense enthousiasme que nous avons vécu pendant ces jours à Madrid.
La conférence qui suit celle de Christopher Young concerne alors le duo Hans Zimmer / Harry Gregson-Williams. Les deux complices paraissent relativement détendus, même si Gregson-Williams semble légèrement plus distant que Zimmer (qui, soit dit en passant, a pris pas mal d’embonpoint !). Assis tout deux dans des fauteuils aux côtés de l’un des organisateurs du festival, ils répondent aux diverses questions du public. Zimmer et Gregson-Williams parlent alors de leurs collaborateurs (Lisbeth Scott, Martin Tillman, etc.) et précisent au passage que tout ceux qui travaillent avec eux sont aussi des amis (c’est la "Media-Ventures family" pourrait-on dire). Puis, Harry Gregson-Williams se souvient de ses débuts lorsqu’il rendit visite pour la première fois à Hans Zimmer dans son studio à l’époque où il commençait déjà à écrire des musiques de film. Il se souvient du plaisir que semblait prendre Zimmer au moment où il composait ses œuvres, ce qui l’a finalement décidé à écrire à son tour des musiques de film pour le compte de Media-Ventures. Pour eux, tout n’est qu’un processus de collaboration, sans aucun doute le mot qui est revenu le plus fréquemment durant cette conférence. Il y a ainsi la collaboration entre le compositeur, le réalisateur, l’équipe du film, les producteurs, etc.
Harry évoque alors sa formation classique (à l’inverse de Hans, en partie autodidacte) et souligne la différence de points de vue musicaux entre les différents compositeurs, une différence propice aux échanges et aux débats selon les deux compères. Gregson-Williams en profite ainsi pour nous parler brièvement de sa participation à THE PRINCE OF EGYPT de Zimmer, pour lequel il a écrit un morceau à partir des mélodies de Hans. Pour lui, c’est toujours une collaboration, dans laquelle il apprécie échanger des idées, confronter différents points de vue et s’inspirer des autres. Hans prend le relais en évoquant à son tour sa façon de composer, travaillant la plupart du temps à l’instinct, à partir de démos réalisées sur des synthétiseurs ou ordinateurs. Il se souvient qu’à ses débuts, la communication avec les réalisateurs n’était guère aisée et qu’il était loin de posséder la maîtrise d’une collaboration idéale comme celle de John Williams avec Steven Spielberg (exemple qu’il cite lui même). Puis, c’est l’occasion pour les deux compositeurs de parler de leurs différents projets. Ainsi, Gregson-Williams évoque sa participation au western SERAPHIM FALLS de David Von Ancken (un genre tout nouveau pour le musicien !) et au nouveau film d’animation de chez Dreamworks, FLUSHED AWAY, tandis que Zimmer parle de sa partition pour PIRATES DES CARAÏBES 2, autre gros projet pour le compositeur teuton.
Le duo répond ensuite à une question qui concerne les genres de films qu’ils préfèrent mettre en musique (action, comédie, drame, etc.). Harry Gregson-Williams précise tout d’abord qu’il apprécie écrire la musique de film d’animation et qu’il aime bien varier les genres et multiplier les défis. De son côté, Hans Zimmer explique qu’il aime bien à peu près tout, que ce soit les comédies, les films d’action ou les films d’animation. Il essaie de faire des choses différentes à chaque fois quand il en a l’occasion. Harry Gregson-Williams prend ensuite le relais et parle de sa collaboration avec Ridley Scott sur KINGDOM OF HEAVEN, collaboration qu’il met en parallèle avec celle de Tony Scott, le frère du célèbre réalisateur anglais, ce qui nous vaut au passage une petite touche d’humour au sujet de l’attitude très contrastée des deux frangins (selon Harry, Tony serait un type très direct tandis que Ridley serait beaucoup plus gentleman et retenu, du genre : "Voulez-vous un cigare ?"). Il conclut en parlant de sa participation prochaine à THE CHRONICLES OF NARNIA : PRINCE CASPIAN, toujours réalisé par Andrew Adamson.
Vient alors la question provoc’ la plus gratuite de toute la conférence, lorsqu’un espagnol se lève et s’adresse à Hans Zimmer en lui expliquant qu’Ennio Morricone aurait soi-disant sévèrement critiqué Media-Ventures et l’industrialisation de leurs musiques dans une récente interview. Apparemment, la question n’a pas été correctement formulée puisqu’il a fallut que ce soit un traducteur qui prenne le relais pour s’adresser quasiment en tête à tête à Hans, micro coupé, comme si le public ne devait pas entendre ce qu’il se dit. On flaire alors l’embrouille. Puis, Zimmer répond d’une façon très calme et réfléchie en expliquant qu’il connaît bien Ennio Morricone et qu’il admire son travail, et qu’il sait pertinemment qu’ils ont deux façons de travailler totalement différentes. Par exemple, Morricone dit qu’il est indispensable pour un compositeur de savoir orchestrer soi-même ses propres musiques. Hans a un profond respect pour le maestro italien duquel il admire son génie et sa maîtrise technique, mais que ce qui compte avant tout pour lui, c’est la qualité des mélodies et des musiques, peu importe la méthode de composition. En tout cas, Hans a répondu avec tact à cette question totalement gratuite, visiblement ouvert au débat. Une dernière intervention du public permet de rappeler en conclusion que Hans Zimmer a beaucoup aidé les jeunes compositeurs grâce à l’édition de ses librairies de samples (Hans Zimmer Guitars Vol 1 et 2 chez Spectrasonics).
La conférence se termine très simplement. Malgré quelques remarques intéressantes de la part des deux complices, cette conférence paraît alors bien terne en comparaison de la glorieuse intervention de Christopher Young quelques heures avant. Les deux compositeurs étaient plantés dans leurs canapés et ne semblaient pas vouloir en bouger ni même faire entendre de la musique. Christopher Young, Roque Baños et Trevor Jones ont tous fait entendre quelque chose (que ce soit en projection ou au piano), mais le duo Zimmer / Gregson-Williams est resté bien statique et extrêmement monotone. On se serait attendu à plus d’animation et de vivacité de la part des deux compères qui, bien que détendus et ouvert aux plaisanteries (surtout entre eux deux), semblaient s’ennuyer un petit peu durant cette conférence. Du coup, on en ressort alors avec une impression très mitigée, d’avoir assisté à une conférence sympathique mais somme toute plate, monotone et peu vivante. Dommage qu’il n’y ait pas eu plus d’initiatives de la part du duo, qui s’est uniquement contenté de répondre à des questions.
Une heure après la conférence de Roque Baños et Lucio Godoy, ce fut au tour de l’inénarrable Christopher Young de nous présenter ce qui pourrait s’apparenter à un véritable one-man show à l’américaine. Young, visiblement très heureux d’être ici (il n’a cessé de répéter à quel point rencontrer ses fans ici en Espagne était le plus beau moment de sa vie), a véritablement été l’attraction majeure de cette série de conférences, tant le personnage dégageait une force, une conviction et un enthousiasme à toute épreuve. Vif et mobile, Young se déplaçait spontanément d’un bout à l’autre de l’estrade, multipliant les grands gestes des mains, monopolisant les regards et l’attention d’un public visiblement médusé par un tel personnage. De la séduction, il y en avait assurément entre Young et son public ce jour là. Le maestro entame son discours en se remémorant ses débuts lorsqu’il eut un déclic en découvrant Bernard Herrmann au cinéma. Pour lui, faire de la musique de film est devenu très vite une passion, une manière de créer une connexion particulière avec le monde et la musique. Comme il le rappelle, la plupart des compositeurs affirment qu’écrire de la musique est un acte quasi vital pour eux, et Young fait partie de ceux-là, assurément.
Il enchaîne ensuite sur ses premiers pas à Los Angeles et son apprentissage auprès du légendaire David Raskin, ce qui nous valut au passage une petite anecdote au sujet de la première fois où Young fit entendre une de ses compositions à Raskin : le vieux maître n’appréciait pas ce qu’il venait de faire mais il l’exhortait à continuer et à persévérer, jusqu’à ce qu’il lui fasse entendre la fois d’après une nouvelle composition qui lui plut cette fois-ci. Le message semble alors direct : Young était en train d’expliquer clairement que pour réussir dans ce métier, il faut travailler sans relâche et s’améliorer sans cesse, tout en conservant une foi inébranlable en nos convictions personnelles et artistiques. Puis, le compositeur nous fournit sa vision du métier en trois points précis : A – décrocher le contrat sur le film, B – écrire la musique et C – enregistrer la musique pour la monter ensuite dans le film, trois points incontournables selon lui, et ce quelque soit le film sur lequel on travaille. Young en profite pour nous rappeler que pour réussir dans ce métier, il faut avoir du talent et être en bon terme avec les réalisateurs et les producteurs.
Après avoir évoqué sa participation (remarquable) à THE HURRICANE de Norman Jewison (sur lequel Young remplaça l’un de ses compositeurs fétiches, le grand Jerry Goldsmith !), Young évoque le rôle émotionnel de la musique au cinéma et enchaîne sur la vision de la séquence du train dans SPIDER-MAN 2 de Sam Raimi. Young commence par rappeler le contexte : écrite par Danny Elfman, la musique de SPIDER-MAN 2 fut partiellement rejetée pour certaines scènes où Raimi fit appel à Christopher Young et John Debney. La partie de Young concernait ainsi la séquence du train, projetée durant la conférence avec un splendide morceau d’action tonitruant à souhait mixé à fond sans les dialogues et les bruitages, histoire de s’immerger davantage dans cet univers musical passionnant. Le public est visiblement conquis par cette première vision. Young nous rappelle au passage tout le bien qu’il pense de Sam Raimi et son enthousiasme à l’idée d’écrire la musique de SPIDER-MAN 3, son prochain grand projet. On enchaîne ensuite sur la projection exclusive du générique de début de GHOST RIDER, nouveau film de super héros pour lequel Young vient de terminer d’écrire et d’enregistrer la musique, et qui devrait sortir chez nous d’ici quelques mois. Le réalisateur de GHOST RIDER voulait un score énorme servi par un gros orchestre, et Young est évidemment allé en ce sens, s’offrant même les services de Aaron North, guitariste du groupe Nine Inch Nails, qui participe à la musique du film. L’impact de la musique dans cette séquence est particulièrement spectaculaire, avec chœurs, orchestre massif, guitare et percussions mises en avant. Le morceau se conclut alors sur l’exposition d’un thème principal ample et vigoureux probablement associé dans le film au héros incarné par Nicolas Cage. Aucun doute possible : nous venions tous de nous prendre une sacré claque à la première écoute de la nouvelle partition de Chris Young qui pourrait bien être l’un des chef-d’œuvres hollywoodiens de cette fin d’année 2006 !
La conférence se termine finalement sur l’écoute du "End Titles" de BLESS THE CHILD durant lequel Young semble particulièrement ému et transporté par sa propre musique, à l’instar d’un public complètement conquis. Young conclu la conférence en rappelant que la musique de film est une chose merveilleuse pour lui et qu’il considère avoir énormément de chance d’être dans ce métier et de vivre de sa passion. Ce festival aura été pour lui un grand moment de sa vie, un fait qu’il exprimera quelques secondes après en s’agenouillant et en remerciant vigoureusement son public et ses fans – rappelant un certain Roberto Benigni aux oscars 1997 ! Christopher Young, un homme exceptionnel et une conférence exceptionnelle, un véritable one-man show que personne n’oubliera de sitôt ! Une grande leçon de passion et d’humanité ! Sans aucun doute l’un des moments forts de ce festival !
Le concert d’Harry Gregson-Williams au Teatro Monumental de Madrid était sans aucun doute l’un des grands évènements du Festival Soncinemad. L’éternel complice de Hans Zimmer n’avait encore jamais vraiment eu l’occasion de jouer sa musique en concert. C’est maintenant chose faite. Le Chamartin Symphonic Orchestra & Talia Choir, crée en Espagne dans les années 1993, est essentiellement composé de jeunes musiciens, tous particulièrement dévoués à leur tâche. Effectivement, malgré un manque flagrant d’expérience et de technique durant certaines interprétations des œuvres jouées ce soir-là, les musiciens ont malgré tout manifesté une vive passion pour la musique d’Harry Gregson-Williams. Ce qu’ils n’avaient pas forcément en technique, les musiciens le compensaient très nettement en interprétation, nous offrant pour la plupart des performances remarquables, vivantes et passionnées. Ceci étant dit, pour être plus précis, le véritable bémol venait en réalité du pupitre des cuivres, qui a multiplié les couacs tout au long du concert, seul véritable point négatif dans ce concert extrêmement remarquable. Signalons avant de commencer le nombre total d’interprètes, assez saisissant : 160 musiciens au total, avec l’orchestre et les chœurs. N’oublions pas non plus la présence très remarquée ce soir là des habituels solistes de la bande à Zimmer : Martin Tillman et son violoncelle électrique, Hugh Marsh et son violon électrique, la célèbre chanteuse Lisbeth Scott ainsi que Chris Bleth, spécialiste du duduk et des flûtes ethniques. Que du beau monde, en somme !
La première partie du concert était dirigée par Silvia Sanz Torre, jeune chef d’orchestre dynamique qui avait visiblement un très bon contact avec ses musiciens. Le programme débuta avec le thème de CHICKEN RUN, sans aucun doute l’une des meilleures BO écrites par Harry Gregson-Williams (en compagnie de John Powell, qui ne faisait pas partie des invités du Festival) pour le film d’animation des studios Aardman produit par Dreamworks. L’orchestre se lance alors dans un prologue brillant et fébrile, dominé par les cuivres, les cordes, les vents et les percussions. Puis, les piccolos entament alors joyeusement le thème sur un rythme de marche hérité du fameux THE GREAT ESCAPE d’Elmer Bernstein (CHICKEN RUN n’est d'autre qu’une parodie de ce film). Les chœurs enchaînent en sifflant et s’emparent de leur kazoos pour nous offrir une performance teintée d’humour et de jovialité. Les applaudissements ne se font pas attendre, ce premier morceau (malgré un couac des cuivres et un passage quasiment entièrement décalé vers la fin de la pièce) cassant littéralement la baraque comme on dit habituellement ! On aurait ensuite dû entendre la musique de ANTZ (Fourmiz) mais il a finalement été décidé de ne pas jouer le morceau (probablement à la dernière minute). Du coup, on est passé directement à SPY GAME, l’un des piliers musicaux de ce concert et un grand moment d’émotion, avec la présence d’un choeur dramatique poignant et de solistes remarquables. Force est de constater qu’une fois encore, la musique de SPY GAME conserve une beauté intrinsèque qui en fait l’une des œuvres maîtresses du compositeur (et l’une des BO les plus appréciées par les fans du compositeur). On continue ensuite avec la musique plus légère et sautillante de THE TIGGER MOVIE (Les aventures de Tigrou), sympathique et agréable sans être forcément le moment le plus inoubliable du concert (les quelques pains des cuivres n’arrangeant rien à l’affaire). En revanche, la première partie du concert se conclut sur une série de morceaux tirés de KINGDOM OF HEAVEN, sans aucun doute l’un des moments forts de ce concert. L’orchestre, les chœurs et les différents solistes nous plongèrent pendant plus de quinze minutes dans un autre univers, mélangeant sonorités médiévales, orientales et orchestrales avec des moments d’émotion spectaculaire. Les musiques des scènes de bataille étaient interprétées ici avec virtuosité (un travail remarquable de la part de ces jeunes musiciens) tandis que le chœur chanta avec passion les différentes variantes du thème principal ou les parties de style "choral" de Bach. Seule ombre au tableau : le superbe "Ibelin" était absent de la sélection. A la fin de cette première partie, le public se leva spontanément, la salle étant très vite envahie par un tonnerre d’applaudissements. Avec le climax que représente KINGDOM OF HEAVEN, judicieusement placé dans le programme, les fans d’Harry Gregson-Williams étaient déjà aux anges !
La seconde partie du concert, dirigée cette fois-ci par Harry Gregson-Williams en personne (que l’on sentit très tendu tout au long de la soirée), débuta alors sur le brillantissime SINBAD THE LEGEND OF THE SEVEN SEAS, dont on regrettera l’absence du fameux thème principal (un ou deux morceaux de plus auraient été la bienvenue, mais le compositeur a choisi de ne faire jouer que le morceau final du film). Hélas, les cuivres ont encore fait entendre quelques couacs regrettables vers la fin du morceau, trop court et un peu frustrant, alors qu’il s’agit sans aucun doute là aussi de l’une des meilleures BO du compositeur anglais ! On continue dans un registre plus intime et doux avec THE MAGIC OF MARCIANO, petite partition moins connue d’Harry Gregson-Williams écrite pour un petit film indépendant avec Nastassja Kinski et Robert Forster. Visiblement, le compositeur était fier de pouvoir jouer ce soir là cette musique méconnue qui n’a d’ailleurs jamais été éditée officiellement, une musique placée sous le signe de l’émotion et de la tendresse. D’émotion, il était justement question pour la suite du programme puisque l’orchestre entama alors la musique pour les deux films de SHREK, autre grand classique du compositeur (le premier opus ayant été écrit là aussi en compagnie de John Powell). Cette suite de morceau tiré de SHREK et SHREK 2 était placée sous le signe de la magie et de l’émerveillement. Le chœur, féerique à souhait, semblait touché par la grâce, comme la plupart des musiciens qui ont interprétés ces morceaux quasiment à la perfection ! Puis, on termina finalement cette seconde partie avec le très attendu THE CHRONICLES OF NARNIA : THE LION, THE WITCH & THE WARDROBE, autre grand moment du concert réunissant orchestre, choeurs et solistes (Chris Bleth nous ayant offert au passage un superbe solo de duduk pour l’un des morceaux du score). Entendre jouer en live la musique de la bataille finale fut assurément l’un des moments les plus épiques et les plus puissants du concert donné ce soir là au Teatro Monumental de Madrid. Le programme se termina finalement sur une pièce plus tendre et mineure du compositeur, BRIDGET JONES 2, idéal pour apaiser les esprits.
Les applaudissements envahirent alors très rapidement la salle. Le bis ne se fit alors pas attendre et l’orchestre entama comme on aurait pu s’y attendre une reprise de CHICKEN RUN, toujours interprété avec autant de brillance, de dynamisme et d’humour sous la direction de Silvia Sanz Torre, mais hélas avec toujours le même passage décalé vers la fin du morceau (un problème au cours de l’apprentissage de la pièce probablement ?). Néanmoins, on termina malgré tout sur une très bonne impression, la sensation d’avoir assisté à un concert monumental, épique et émouvant à la fois, traversé de moments puissants et de parties plus intimes et retenues. Avec une sélection juste et équilibrée, Harry Gregson-Williams a démontré ce soir là l’étendue de ses talents de compositeur, et, que l’on apprécie ou non sa musique, difficile de ne pas se laisser entraîner par la fougue de CHICKEN RUN, l’émotion de SPY GAME ou la grandeur de KINGDOM OF HEAVEN. Harry Gregson-Williams a réussit à transposer sa musique de l’écran pour la salle de concert avec brio, les musiciens ayant véritablement fait honneur à ses œuvres (par la suite, Gregson-Williams a tenu à signaler dans l’interview qu’il a accordé à Cinezik.org que les musiciens ont travaillé dur au cours des répétitions pour pouvoir nous livrer une performance remarquable ce soir-là). Il restera donc de ce concert la sensation d’avoir voyagé dans une série d’univers, revisitant l’âme des films concernés par le programme à travers une série d’émotion parfois très contrastées, mais toujours intimement liées à ce qui était véritablement au cœur de ce festival : la musique de film !
C'est la nouvelle voix d'Hollywood, celle que tous les compositeurs s'arrachent pour faire sublimer l'émotion de leurs musiques de film. En moins de six ans de carrière dans le cinéma, elle a déjà collaboré avec les compositeurs les plus prestigieux, et sur les plus grands films : avec John Williams sur MUNICH, ou John Debney sur LA PASSION DU CHRIST, avec Hans Zimmer sur LE DERNIER SAMOURAÏ, ou James Newton Howard sur DINOSAURE et KING KONG, elle était présente au festival de Madrid à l'occasion du concert de Harry Gregson-Williams, pour qui elle a interprété les soli vocaux de SINBAD, SHREK, KINGDOM OF HEAVEN et NARNIA. Rencontre express en plein festival.
C'était un plaisir de vous entendre hier soir au concert de Harry Gregson-Williams !
J'adore Harry et sa musique, et j'adore travailler avec lui. Nous travaillons ensemble depuis plusieurs années et c'est une collaboration agréable et très facile. Il est très respectueux, très à l'écoute et attentif à l'émotion de la musique. C'est toujours un honneur de travailler avec lui.
Vous avez collaboré avec beaucoup de compositeurs à Hollywood : quel est votre meilleur souvenir de ces diverses expériences ?
J'en ai beaucoup ! Avec Harry, par exemple, j'ai d'excellents souvenirs de NARNIA, pour lequel nous avons écrit une chanson, pour la scène où les enfants entrent dans le monde de Narnia. Harry m'a appelé et m'a dit : "On a besoin de toi pour une chanson ! La production en a besoin pour dans quelques heures !". J'ai dit : "Ok" ! Je crois que je suis simplement arrivée et on a répété une fois. Il m'a dit que c'était fantastique ! J'ai écouté une fois la musique et elle s'était déjà inscrite dans ma tête. Je l'ai ensuite enregistré et on a envoyé la chanson la nuit même au réalisateur, qui a dit : "C'est très bien, on adore, mais ce ne sera pas dans le film !". Finalement la chanson est sur le CD, elle s'appelle "Where". Mais ce que je retient surtout de cette expérience c'est le côté simple avec lequel nous avons travaillé, c'était facile et agréable.
Une autre expérience marquante était celle avec John Williams, pour MUNICH. Je l'ai rencontré pour la première fois lors d'une réunion où il m'a dit qu'il avait écrit un morceau spécialement pour moi. J'ai dit : "Ah bon ? Vraiment ?". Plus tard, il m'a donné la partition et je l'ai chanté avec lui au piano. Après que nous ayons fini, il était très calme, il n'a pas levé les yeux, il fixait encore les touches du piano. J'ai pense : "Oh oh, il n'a pas aimé". J'étais prête à partir lorsqu'il a levé la tête : il pleurait. Il a dit : "Je ne sais pas comment vous faites avec votre voix, mais c'est phénoménal, vous m'avez bouleversé". Quand nous avons été aux sessions d'enregistrement pour MUNICH, quelques jours plus tard, Steven Spielberg était là, avec John évidemment. Nous avons enregistré avec l'orchestre, et après le morceau, John pleurait encore et en se retournant vers Steven, j'ai vu que Steven pleurait aussi ! J'ai une photo de ce moment sur mon site web...
Un autre moment fort de ces expériences était LA PASSION DU CHRIST avec John Debney : dès qu'il a eu l'opportunité d'être engagé sur ce film, il m'a appelé pour que nous fassions quelques démos. J'ai donc enregistré avec lui un superbe morceau et nous l'avons envoyé à Mel Gibson. John m'a appelé quelques jours pour tard : "J'ai le job ! Mel Gibson a écouté la musique sur les images et il en a pleuré !". Tout cela fait aussi partie des moments qui m'ont le plus touché, de savoir à quel point ma voix remue les gens.
Vous avez aussi collaboré avec Danny Elfman sur SLEEPY HOLLOW : sur quelle partie du film, précisément ?
Vous allez rire, mais je ne sais pas vraiment ! Je n'ai pas vu ce film en entier, pas plus d'ailleurs que pas mal d'autres sur lesquels je chante ! Sauf MUNICH, évidemment...
La biographie qu'on peut lire sur le programme du festival mentionne aussi BATMAN BEGINS : avez-vous travaillé sur ce film ?
Non. En fait, Hans Zimmer et James Newton Howard m'ont appelé pour me demander de travailler avec eux sur ce projet, mais je n'étais pas disponible. En revanche, j'ai travaillé avec James sur plusieurs autres film, comme KING KONG. J'adore aussi James, c'est un type formidable, sa musique est incroyable, et d'une certaine manière, c'est très facile aussi de travailler avec lui : les sessions sont très agréables. J'aime bien les sessions agréable ! (rires). Le dernier jour où nous avons enregistré pour KING KONG, je suis arrivée après que l'orchestre ait terminé, et James était épuisé. J'ai regardé la scène deux ou trois fois (il s'agissait de la scène de rencontre entre la fille et King Kong), et nous avons enregistré. James Newton Howard travaille avec le même ingérieur du son depuis quelques années, James Hill, et celui-ci m'a confié, après notre enregistrement (qui a duré à peine quelques minutes) : "C'était vraiment ce que James voulait".
Quels sont vos projets ?
J'en ai beaucoup ! Récemment, je viens de terminer un nouvel album solo, et j'ai quelques concerts pour un festival de cinéma à Londres cet été. Puis je vais commencer un documentaire avec John Debney. Et bien sûr, la suite de NARNIA avec Harry en 2008 ! Mais le reste de cette année, de juillet à décembre, est surtout consacrée aux concerts, car j'adore ça.
Compositeur majeur des années 80 et 90, le britannique Trevor Jones a marqué le cinéma contemporain avec des thèmes lyriques amples et majestueux, à l'image de ceux qu'il a composés pour LE DERNIER DES MOHICANS de Michael Mann, pour DARK CRYSTAL de Jim Henson, ou pour CLIFFANGER avec Stallone. Il était l'invité d'honneur du premier festival SONCINEMAD de Madrid en 2006, où il a donné un concert qui fut enregistré puis édité début 2007 par son propre label.
Trevor Jones : Nous n'avons pas eu beaucoup de temps pour répéter, car l'orchestre était très occupé. De même, j'étais moi-même à Londres auparavant et je ne pouvais pas venir plus tôt à Madrid. Les répétitions n'ont pas été faciles parce que c'était aussi pour eux leur premier festival, ils n'avaient jamais joué de musique de film. J'aurais bien aimé venir plus tôt, mais vous voyez, j'avais un meeting très important avec la reine d'Angletterre, et il était difficile de décliner l'invitation de Sa Majesté pour une répétition à Madrid ! Donc malheureusement, nous n'avons eu que deux répétitions, pour un programme chargé et avec des musiques parfois difficiles. J'aurais aimé avoir davantage de temps, mais finalement j'ai été assez prétrifié par leur interprétation, ce sont quand même des professionnels. C'était très énergique, vraiment superbe. L'enthousiasme de l'orchestre s'est ressenti dans la musique. Il y avait quelques morceaux que je n'avaient pas entendu depuis près de vingt ans ! Je ne réécoute jamais mes vieux travaux : quand j'ai fini un film, je passe au suivant. C'était donc plutôt agréable d'écouter cette musique après tout ce temps, c'était intéressant pour moi. En regardant les partitions je me suis fait la remarque : "Oh, je devrait changer ça ! Je devrais recomposer ce morceau !". J'aimerais bien avoir le temps de réécrire certains de mes morceaux... J'ai quand même passé de bons moments avec cet orchestre, qui comporte vraiment des musiciens formidables. J'ai eu de la chance, parce que peu d'orchestres peuvent rendre l'essence de cette musique complexe en aussi peu de temps. J'ai été très agréablement impressionné. Et puis, les gens ont aimé...
Vos rencontres sur ce festival ?
J'y ai retrouvé bien sûr mon ami Christopher Young, qui est un très grand compositeur. Mais c'est aussi quelqu'un d'exceptionnel. La plupart des compositeurs de musique de film sont sympathiques : dans ce milieu, c'est une qualité indispensable, et il faut avoir de la personnalité. Mais nous ne nous rencontrons jamais, à part comme ici en festival, ce qui est assez spécial et plutôt rare. C'est bien d'avoir ce genre d'occasion de se retrouver et de parler ensemble, d'évoquer les films sur lesquels on travaille... On travaille tous séparément, avec des réalisateurs différents, et on n'a jamais l'occasion de créer des liens, ou de s'organiser des dîners, puisque chacun travaille tout le temps quand l'autre est disponible, et vice-versa...
Trevor Jones était à nouveau invité cette année à la seconde édition du festival SONCINEMAD à Madrid. Sa conférence s'est déroulée au complexe de cinéma Kinepolis le samedi 30 juin 2007 entre 13h20 et 14h40. Comme l'an dernier, le compositeur s'est présenté de façon très décontractée, visiblement assez content d'être ici à nouveau.
Jones débuta sa conférence en résumant son passé, de sa naissance à Cape Town en Afrique du sud le 23 mars 1949, ses premières expériences de cinéma à l'âge de 5 ans où il regarda pas mal de séries B en tout genre, jusqu'à ce qu'arrive le moment où il commença à faire particulièrement attention aux musiques entendues dans les films. Selon Trevor Jones, l'émotion des films est pour lui étroitement liée aux musiques qui les accompagnent. La musique nous transporte – selon les dires du compositeur – dans d'autres univers comme par magie. Rappelons que ce goût pour le cinéma était sans aucun doute pour le compositeur un moyen d'échapper aux ravages de l'apartheid qui sévissaient à cette époque en Afrique du sud. C'est cette passion grandissante pour la musique de film qui a éveillé chez lui sa vocation. A l'âge de 17 ans, Jones rejoint le Royal Academy of Music de Londres où il y étudie le piano et la direction d'orchestre. Il travaille alors comme critique de musique classique pour pouvoir financer ses études, et ce pendant près de 6 ans. Cette expérience fut particulièrement enrichissante pour lui, puisqu'elle lui permit d'étudier de nombreux compositeurs classiques tels que Beethoven, Bach, Mendelssohn, les romantiques français, etc. Il étudia aussi les musiques ethniques, le folk, le jazz, etc. Trevor Jones insista alors ce jour là sur l'importance de l'éclectisme de sa formation musicale.
Selon le compositeur, la musique de film représente l'art musical le plus passionnant et le plus riche du 20ème siècle. C'est un art qui dépasse selon lui l'intellect, qui a le pouvoir de toucher directement le cœur du public. Trevor Jones s'exprima alors avec une certaine fougue, captivant l'attention de la salle visiblement très accaparé par les paroles passionnées du compositeur. Ce dernier insista alors sur l'importance de l'émotion dans la musique de film, un élément clé selon lui qui permet de faire le lien entre cinéma et musique. Jones ouvre une parenthèse en faisant à nouveau référence à sa formation éclectique : selon lui, plus l'on en sait, et plus on a les capacités pour faire ce métier. Jones nous rappelle au passage qu'écrire de la musique de film, c'est savoir maîtriser différents éléments (l'émotion, les instruments, les sons, etc.). Le compositeur fit aussi brièvement allusion à ses débuts avec John Boorman sur EXCALIBUR en 1981, qui fut sa première grande expérience déterminante dans le cinéma américain, celle qui lui permit d'accéder à la consécration. Curieusement, le compositeur n'insista pas davantage sur le reste de sa carrière ce jour là, visiblement plus enclin à extrapoler par rapport à des sujets satellites qui lui tenaient plus à cœur.
Trevor Jones s'installa ensuite devant son piano et commença à interpréter quelques morceaux en rapport à la musique classique. La virtuosité de son jeu pianistique séduisit d'emblée le public. Agissant toujours avec un goût certain pour la pédagogie, Jones transforma la conférence en master class lorsqu'il montra au public comment créer selon lui une ligne mélodique à partir d'une échelle de notes descendante avec tout le processus créatif qui s'en suit : variation, harmonisation, orchestration, etc. Peu de temps après, le compositeur extrapola rapidement sur un tout autre sujet, plus en rapport avec ses préoccupations politiques/sociales. Il expliqua ainsi son goût pour les films historiques auxquels il a participé, tels que le film japonais Aegis (film évoquant les dangers de la bombe atomique durant la seconde guerre mondiale, qui fut pour lui une grande expérience dont il a retiré une certaine fierté), Mississipi Burning (qui dénonça une partie noire de l'histoire des USA), et In the Name of Father (en rapport avec des évènements dramatiques en Irlande), etc. Trevor Jones explique qu'il aime faire la musique des films qui amènent une certaine vision du monde, une vision capable d'affecter les gens de façon durable. C'est d'ailleurs pour ce genre de chose qu'il espère pouvoir continuer à faire ce métier encore longtemps.
La dernière partie de la conférence se conclut avec la vision d'une séquence de l'un de ses films : The Mighty, drame poignant réalisé en 1998 par Peter Chelsom narrant l'amitié entre deux jeunes garçons souffrant d'un handicap et qui décident de s'unir pour vivre une série d'aventures imaginaires peuplées de chevaliers et de héros intrépides. Trevor Jones nous proposa alors pour finir d'analyser ensemble la façon dont une musique peut apporter une émotion véritable et magique aux images d'un film. Le compositeur nous proposa alors de visionner la scène du climax émotionnel du film, lorsque l'un des deux jeunes garçons décède. La séquence intitulée "The Empty Book" fut alors montrée une première fois sans musique et en noir et blanc dans une copie de travail incluant le time code et les dialogues. Puis, la même séquence fut à nouveau montrée dans sa copie finale, en couleur avec la musique, les dialogues et la piste son. La comparaison fut tout bonnement magique et grandiose ! Le choix de cette séquence était particulièrement astucieux et stratégique de la part du compositeur, puisqu'il s'agit probablement de l'un des morceaux les plus bouleversants que Trevor Jones ait écrit de toute sa carrière. Grâce à cette analyse, le public a pu plus que jamais prendre conscience du réel impact de la musique sur les images, apportant un tempo nouveau au rythme de la scène. Comme le dit lui même Jones pour finir : « les compositeurs vendent de l'émotion ».
La conférence se termina avec quelques questions posées au compositeur auxquelles ce dernier répondit rapidement. Comme l'été dernier, Trevor Jones mena une conférence longue mais brillante et passionnée, durant laquelle le compositeur exprima à plus d'une reprise sa fascination et son amour pour la musique de film, une passion qu'il communiqua sans grande difficulté au public !
Interview B.O : Uèle Lamore (Les Femmes au balcon, de Noémie Merlant)