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Tom DiCillo  

Tom DiCillo

Chef opérateur pour Jim Jarmush puis réalisateur de "Johnny Suede", "Ca tourne à Manhattan", ou encore de "Delirious", il nous livre en 2010 un documentaire sur le mythique groupe de rock The Doors avec WHEN YOU'RE STRANGE.

Filmo

Liste non exhaustive, apparaissent les films présents dans notre base :

 When You're Strange (2010)
- - BO : The Doors


Interview de Tom DiCillo
A propos de WHEN YOU'RE STRANGE
Docu sur les DOORS

Voir la Vidéo de l'interview en bas de page

Cinezik : Vous étiez jeune au moment des Doors, quel souvenir en aviez-vous au moment de faire ce film ?

Tom DiCillo :
 Le premier souvenir que j'ai de The Doors date de ma quatorzième année. Je me dirige vers un parc, dans un voiture avec quelqu'un de plus vieux que moi, il m'emmène à une soirée dansante. J'avais vidé une bouteille de shampoing et l'avais remplie avec le scotch de mon père que j'avais volé. C'était ma boisson pour la soirée. En buvant ça, je réalise que ça a un goût de savon, même si je commence à être saoul. Le morceau qui passe à la radio à ce moment là, c'est "Light my fire", la version instrumentale et complète. Ma première impression fut : "oh mon Dieu, je n'arrive pas à y croire, cette chanson est extraordinaire, elle dure plus longtemps que deux minutes, c'est une expérience folle". Boire du scotch qui sent le shampoing et écouter la version longue de "Light my Fire" fut mon départ avec The Doors. Je ne savais pas très bien ce qui m'avait touché chez eux. Je savais seulement que la musique que j'écoutais habituellement était différente, ça semblait tellement loin des autres groupes de cette époque. Il y avait quelque chose d'intime, comme s'ils ne parlaient qu'à moi. Ce n'est qu'en réalisant ce film que j'ai finalement compris quel était ce sentiment.

La première chose importante selon moi, c'est à quel point ils étaient quatre musiciens vraiment talentueux. Ils venaient d'horizons très différents. Robby Krieger jouait de la guitare acoustique, flamenco, et il avait donc une pratique incroyable de différents styles de musiques. Il jouait aussi de la musique de Moyen-Orient, ce qui est assez complexe mais nécessite une grande sensibilité. John Densmore jouait de la musique espagnole, de la batterie jazz, très intense. Ray Manzarek jouait de la musique classique au clavier et avait également un passé très jazz. Vous mettez ces trois-là avec un type qui n'avait jamais chanté avant, mais qui a écrit les paroles les plus incroyables que personne n'avaient jamais entendues... Vous obtenez quelque chose de très bon. Je pense qu'il y a d'autres groupes de cette période qui donnent l'impression d'avoir écrit leurs chansons aujourd'hui. Je crois que quasiment toutes les chansons de The Doors auraient pu être écrites hier. Pourquoi ? C'est un peu comme les Rolling Stones, dont on peut très bien comparer leurs chansons. Leur musique est si personnelle pour les gens, qu'elle créé un film privé pour vous, le votre. Et il n'y a rien de plus personnel ou de plus puissant que quelque chose qui vous touche comme ça.

Comment vous a-t-on proposé ce projet d'un film sur THE DOORS ?

T.D :
Tout ce qu'on m'a dit c'est : "on a de l'argent, on pense faire un film sur The Doors, est-ce que tu veux le réaliser ?" J'ai dit oui, immédiatement. La première chose que j'ai dite c'est : "je veux faire ce film de la même manière que mes autres films. Je ne veux personne qui me force à faire ceci ou cela, je veux découvrir ce film". J'ai eu le sentiment d'être très chanceux d'avoir été choisi pour tourner ce film.

Ce n'est pas du cinéma fait par The Doors, mais sur The Doors. Par respect pour eux, j'ai beaucoup lu et appris ce que je pouvais. Ils m'ont dit "ah, ça ne s'est pas passé comme ça" ou comme souvent, "c'est bien, c'est une bonne façon de dire ce qui s'est passé". Ils me corrigeaient si j'étais complètement à côté de la plaque, mais la plupart du temps, ils me laissaient tranquille.

C'est votre premier documentaire, quel a été ce travail ?

T.D : 
C'était nouveau, mais j'ai appréhendé ce travail comme je le fais d'habitude pour mes autres films. J'ai filmé et ensuite je me suis dit : bon, qu'est ce je vais faire avec ? Le plus gros challenge fut de trouver la forme qu'allait prendre le film, qu'est qui allait être dedans, quel était mon point du vue ? C'était la chose la plus difficile à déterminer parce qu'il y a une foule de choses qui ont été dites à propos de The Doors. Des choses sûrement plus intelligentes que ce que j'ai pu dire, mais pour moi, la seule façon de faire fonctionner ce projet était d'apporter quelque chose de très sincère, venant de moi, de la même manière que pour mes autres films.

Le point de vue fut en premier lieu le choix de ne pas réaliser d'interviews, de n'utiliser que les vidéos d'archives, car une fois que l'on pénètre dans ce type d'atmosphère, on y reste, on ne peut plus en sortir. C'est comme si les gens pouvaient vivre avec The Doors, pour la première fois. Comme si ça se produisait maintenant. Mais le point le plus important ensuite fut ma tentative de les présenter de la façon la plus réaliste que j'ai pu. Sans les juger, sans les romancer, et de donner au public la sensation de ce que ça aurait pu être de vivre avec eux à cette époque.

Ce documentaire est construit selon un récit, comme dans une fiction...

T.D :
 C'est une histoire sombre, une tragédie américaine. Mais c'est évidement pour ça que je voulais le faire, pour montrer l'autre facette de Jim et du groupe. Quand j'ai vu ces vidéos de lui riant de lui-même, jouant avec les enfants dans le désert, ou laissant cette fille jouer avec ses cheveux, je me suis dit que c'était incroyable de le voir comme un être vivant, de façon bien plus intime que dans le côté rock'n roll. Je pense que cette image est largement due à ce qu'il a crée. C'était une belle création mais je pense qu'en fin de compte, ça l'a transformé en monstre. C'est fascinant de voir cette autre facette de lui et je crois que les gens sont également fascinés de voir qu'il n'était pas juste un connard alcoolique.

Et comment avez-vous utilisé la musique des Doors ?

T.D :
Je crois que ce que je fais, c'est simplement utiliser les chansons ! Regardons ces mecs jouer leur musique ! Je ne voulais pas avoir que trois secondes d'un morceau... ça peut ennuyer certaines personnes, mais il faut les forcer à prendre leur temps. Si on aime vraiment The Doors, on les regarde jouer le temps qu'il faut.
On s'est toutefois un peu réapproprié quelques images pour accompagner le rythme du film.

Vous avez aussi composé vous-même de la musique pour ce film ?

T.D :
Oui, je joue du synthétiseur et de la guitare. J'appelle ça de la musique fortuite, car à un certain moment dans le film, le public peut se retrouver submergé par la musique de The Doors. On est obligé de faire une pause. C'est alors que ma musique peut "nettoyer" les oreilles. On se dit ok, on fait une pause et boum ! on y retourne. La musique du groupe est très intense...

La plus longue partition que j'ai jamais écrite pour l'un de mes films, c'est celui-là, pour le film sur les Doors, le plus long morceau dure à peu près quatre minutes. Mais la plupart du temps, je compose juste de petits morceaux, ou des chansons. J'ai par exemple écrit toutes les chansons de "Johnny Suede", mon premier film. Dans le film "Delirious", j'ai écrit la chanson que Alison Lohman interprète, j'étais très fier de cette chanson.

Il n'y a rien de plus puissant que la musique dans les films. Une des choses les plus hallucinantes qui me soit arrivée avec ce film c'est lorsque je l'ai montré pour la première fois à Ray Manzarek. Il a vu une séquence que j'ai monté sur "Riders on the Storm", pour laquelle j'ai utilisé des images du Viêt Nam en illustration. Et il m'a dit : "Wahou, je n'avais jamais pensé à ça. Mais regarde comme ça va parfaitement bien ensemble !" En tant que réalisateur, pouvoir intégrer cette incroyable vidéo, et de plus ou moins parvenir à la faire coller à "Riders on the Storm", c'est un rêve !

Quel regard portez-vous sur la musique de film en général ?

T.D :
D'après moi, on abuse énormément de la musique au cinéma. On l'utilise pour manipuler. J'essaye de l'utiliser pour "élever" une scène. Dès lors que, lorsqu'on regarde une séquence sans musique qui fonctionne, si on en ajoute, tout s'élève à un niveau supérieur. Je déteste les musiques trop violentes car honnêtement, elles se ressemblent toutes dans les films.

Mon compositeur préféré est Ennio Morricone, mais je pense que Danny Elfman a aussi une excellente sensibilité avec le cinéma.

Je pense que composer au cinéma n'est pas le travail de plusieurs personnes mais d'une seule. Je n'arrive pas à voir comment un groupe pourrait trouver un son pour un film, pour moi, c'est un travail de solitaire.

Dans les années 70, il y avait plus de mystères autour des groupes. Aujourd'hui, il y a plus de voyeurisme avec une profusion d'images...

T.D :
En effet, c'est plus difficile de trouver du mystère...

Et dans votre film, pensez-vous avoir préservé du mystère en refusant volontairement de clarifier certaines zones d'ombre ?

T.D :
C'est une bonne question... Je pense qu'un film est une porte à ouvrir, une enquête à mener. Je ne pense pas que ce film soit une histoire définitive sur les Doors, comme une bible. C'est un peu comme Jim que personne ne peut vraiment expliquer. Tout ce que j'ai essayé de faire, c'est transmettre ce que j'ai pu sur lui, grâce aux supports matériels dont je disposais. Je ne suis peut-être parvenu qu'à toucher la surface de ce qu'il était. Mais je crois par contre que j'ai fait plus que la plupart des gens avant moi. Pour moi, la création de chaque chose est un mystère. Ce film tente de s'approcher aussi près que possible du mystère de la musique des Doors. Mais pour moi, rien ne peut l'expliquer.

Interview réalisée à Paris le 2 juin 2010 par Benoit Basirico
Retranscription et Traduction : Cécile Chandran

Pour en savoir plus :
Hors série du magazine TROIS COULEURS (MK2)
Numéro Spécial sur The Doors
"ROCK, SEXE & POESIE"

© Photo en médaillon : Cinezik, Benoit Basirico

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