Le compositeur Reinhold Heil signe la musique de cette série allemande de Anna et Jörg Winger.
[© Texte : Cinezik] •
Tracklist (de la BO en CD ou Digital)
Un ami travaillant dans l'édition musicale, à Berlin, a joué les intermédiaires entre la production de la série et moi. Il cherchait une musique contemporaine de l'intrigue mais aussi quelque chose qui évoque les conditions de vie en Europe centrale dans les années 80. Ils cherchaient également quelqu'un ayant l'expérience de films très médiatiques. Comme j'avais vécu à Berlin durant toute cette période, et travaillé pour pas mal de grosses productions, je paraissais correspondre au profil recherché. J'étais un peu anxieux, car RTL n'est pas réputé pour la finesse de ses productions dramatiques, mais après avoir reçu les premiers éléments de scénario, je me suis vite passionné. Et j'ai pu apprécier la qualité du scénario, de la mise en scène, de la réalisation, du jeu des acteurs, et le formidable professionnalisme de chacun. L'Allemagne a parcouru un sacré chemin depuis que les Studios Babelsberg ont rouvert après la réunification en 1990. On trouve là une véritable expertise. Et puis il y a eu l'extraordinaire scénario d'Anna Winger, qui, en outre, a bénéficié de l'apport de son mari Jörg, qui avait traversé toute cette époque. Quand j'ai vu la scène d'ouverture du premier épisode, j'ai été scotché. J'avais connu la même chose dans ma propre vie, c'était complètement authentique. Il me fallait absolument participer à ce projet.
J'ai travaillé à Los Angeles et les réalisateurs étaient à Berlin. Cet éloignement n'est plus aujourd'hui un problème avec les réseaux de communication dont nous disposons. (Skype, Facetime, débits colossaux des bandes passantes pour transférer les sons). Mais il y avait beaucoup trop de personnes impliquées. Les créateurs de la série, Anna and Jörg Winger, m'ont rendu visite à Los Angeles au tout début du projet et nous avons pu développer de très bonnes relations. Le réalisateur des cinq premiers épisodes, Edward Berger, était au studio de montage à Berlin et nous n'avons pas pu avoir la même qualité de relation. Il y avait aussi un producteur exécutif réseau, Ulrike Leibfired, qui doublonnait avec le producteur exécutif plateau Nico Hoffman et enfin le directeur de la musique de RTL. Cela constituait un groupe trop important pour communiquer avec Facetime, aussi a-t-il été décidé que je limiterais mes échanges aux seuls Jörg Winger et Ulrike Leibfried. Ils collecteraient les notes de tout le monde et me les transmettraient. Cette procédure a été assez longue à se mettre en place tandis que j'essayais trouver le ton juste pour la BO. Mais dès que nous avons pu travailler en groupe restreint, cela a commencé à fonctionner facilement. Jörg et Uli sont de très bons réalisateurs et des personnes adorables ; j'ai beaucoup aimé travailler avec eux. J'espère qu'il y aura d'autres saisons pour cette série afin que nous puissions appliquer d'emblée les procédures ainsi capitalisées. C'est l'une des différences majeures entre Hollywood et l'Europe. Quand je compose une BO pour une série télé à Hollywood, je travaille toujours avec le producteur exécutif, en Europe, c'est avec le réalisateur. Ici nous avons un peu appliqué les méthodes hollywoodiennes à une série allemande. Mais c'est la voix d'Edward que j'ai finalement écoutée et j'espère que nous pourrons intensifier nos relations dans le futur, je suis content de travailler avec un réalisateur !
Ce qui est agréable avec le format habituel d'une série télé c'est que vous travaillez vraiment pour six heures de film, aussi les thèmes musicaux peuvent-ils être développés et étendus tout au long des épisodes exactement comme pour un long métrage. Si je devais me restreindre à l'exiguïté de mon studio personnel à un violoncelliste solo pour la ligne mélodique d'appoint et à une seule partie de guitare, je pouvais en revanche apporter à la BO le même soin et les mêmes développements que pour un grand film. La production ne voulait pas d'une musique copiant le style des années 80. Il n'y avait pas de raison à cela du moment que le décor et les costumes recréaient impeccablement l'atmosphère des deux côtés du rideau de fer, avec une attention extraordinaire au moindre détail. Musicalement, la période est évoquée grâce à quelques tubes de 1983, au moins un par épisode. J'ai donc écrit la musique que je pensais susceptible de propulser une intrigue qui tient à la fois du thriller d'espionnage, du rite de passage à l'âge adulte, et du drame familial. Il n'y a que de très brefs aperçus des années 80 dans ma BO, et la production a agréé ce choix. Il fallait aussi évoquer la menace imminente d'un conflit nucléaire, ce qui supposait une musique sombre, obscure... style qui me vient assez aisément. Il faudrait peut-être que j'analyse pourquoi...
Il n'y a pas eu beaucoup de musique à enregistrer. J'ai tout réalisé électroniquement, sauf les parties écrites pour mon piano Bechstein, mon Hammond B3, un peu de guitare et de violoncelle. Donc pas de grandes partitions à écrire et à orchestrer, ni de grandes sessions à organiser aux USA ou via Internet en Europe. Si votre BO idéale consiste en une interprétation de Wagner, Debussy, Stravinsky ou Holst, cet album n'est pas pour vous. Mais tenez le pour dit : j'adore ces
compositeurs, et j'adore également John Williams ; pour rien au monde je ne me priverais d'aller voir Star Wars au Mann's Chinese Theatre avec mes enfants pour Noël. Il n'y a rien d'idéologique dans mon choix. Je suis simplement heureux de vivre une période de l'histoire de la musique de film où tout est possible.
Première diffusion sur Canal+ à partir du 11 janvier 2016
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