Témoignage de David Reyes, le compositeur, et Ecoute de la musique.
[© Texte : Cinezik] •
Ce film a été un énorme défi pour moi car j'ai dû écrire, enregistrer et mixer les 60 minutes de musique… en 8 jours !
J'ai reçu au départ une version des 30 premières minutes du film sur laquelle j'ai commencé à travaillé, puis 5 jours plus tard j'ai reçu 55 minutes du film, et enfin, le week-end précédant le mixage, j'ai eu le film en entier (il restait 20 minutes de film à mettre en musique, mais j'avais déjà préparé le terrain car la version de 55 minutes comprenait également un prémontage de la fin, ce qui me permettait de pouvoir envisager le film dans sa globalité ; j'ai ainsi pu préparer des maquettes et des esquisses, mais j'ai réellement fait tous les morceaux finaux le samedi). Je n'ai pas beaucoup dormi pendant cette période… Mais j'avoue avoir étonné tout le monde en ayant pu relever ce défi, à commencer par moi-même : je ne pensais pas être vraiment capable d'écrire autant aussi vite, et surtout dans des registres que je n'avais pratiquement jamais abordés (comme la musique de film d'action par exemple).
Vu les délais et les conditions, le film a été entièrement temp-tracké avec des grosses musiques style « Le jour d'après » ou « Lost » ; j'ai été obligé de retrouver l'esprit de ce temp-track car d'une part le film a été prévendu avec, donc les diffuseurs voulaient retrouver quelque chose qui ressemble, et d'autre part n'ayant pas le temps de vraiment dialoguer avec le metteur en scène – qui de son côté s'occupait de la fin du montage et des voix off dans le même temps que moi - le temp-track me servait de référence pour les intentions musicales.
Il a donc fallu que j'arrive :
- à m'en affranchir en le remplaçant par une musique la personnelle possible
- à écrire entièrement à l'image car c'est monté très film d'action
- à construire une logique musicale qui sert le film et les personnages
- à faire aussi gros que les grosses machines américaines de référence (ou du moins essayer)
- à faire sonner le tout bien avec des samples (car pas d'orchestre)
Car le spectateur à la fin ne saura pas que ça a été fait en 8 jours et il faut lui donner un peu de matière musicale à manger.
Je précise ici que Antas VIDALI (co-programmateur musical) m'a été d'une aide plus que précieuse pour la partie électronique (boucles rythmiques etc) et technique (samples, mix) et je le remercie chaleureusement.
J'ai articulé la musique autour de plusieurs thèmes principaux (thème du film, thème de l'alerte, thème de Susie, thème des archives, thème de la crise, thème de la survie… en tout 14 thèmes différents) que j'ai articulés sur les moments correspondants du film après avoir fait une analyse sémantique de celui-ci ; puis j'ai composé en me basant sur ces notes, en variant les orchestrations et les climats pour éviter les redites, mais aussi pour que certaines scènes se répondent le long du film et marquent ainsi l'évolution des événements ou des personnages. J'ai veillé à toujours varier les arrangements afin de ne jamais avoir deux morceaux exactement pareils (même si parfois ils se ressemblent) ; et il fallait bien entendu réadapter les durées et les points de synchronisme tout le long du film.
Le dernier jour de composition fut relativement difficile car afin de gagner du temps, j'avais tout préparé sur la version de 55 minutes, mais entre-temps il y a eu quelques modifications de montage (plans raccourcis, scènes interverties etc.) ce qui fait qu'il a fallu tout recaler, recomposer les transitions… et surtout, comme la technologie nous joue toujours des tours quand il ne faut pas, en synchronisant les anciens fichiers MIDI sur la nouvelle version Cubase a décidé d'être méchant car dès que je déplaçais quelque chose, le programme ne tenait plus compte des changements de tempi et de mesure et du coup il m'a superposé des morceaux entiers ce qui donnait une cacophonie invraisemblable ; j'ai tout rebougé piste par piste morceau par morceau, ce qui m'a fait une formation accélérée de ce logiciel que je n'oublierai jamais (et qui me fait dire que je préfère toujours de loin les vrais musiciens mais bon) et m'a surtout donné pas mal de sueurs froides.
Ensuite, une fois arrivé en mixage, je me suis rendu compte que la musique posait certains problèmes car il y avait trop de basses (surtout dans les percussions électroniques) ce qui fait que quand on l'écoute seule, c'est très joli, mais dès qu'on la mixe avec l'ambiance sonore très chargée du film, elle passe pour sourde (puisque les percussions étant fortes, on est obligés de tout baisser et comme j'avais amené un mix stéréo de la musique il était impossible de travailler individuellement sur les éléments qui la composent).
En écoute projection ou DVD sur une bonne installation, ça passe (elle manque juste un peu d'éclat, est un peu écrasée), mais en mixage télé, non seulement on n'entend pas les basses, mais en plus, elles font saturer le reste des éléments sonores, particulièrement les voix – puisque ça rajoute inutilement du niveau dans les graves.
Comme de son côté, le réalisateur n'a pas eu le temps de fignoler certaines choses dans la bande son – car le film n'a bénéficié que d'une semaine de mixage alors que c'est une véritable fiction qui nécessitait trois semaines – il réussit en dernière minute à obtenir quelques jours de mixage supplémentaires après la projection presse, histoire de peaufiner le tout avant le passage télé.
Du coup, ça me permet de demander à Antas de me sortir des mix des éléments séparés (cuivres, cordes, percussions, piano etc.) afin de pouvoir retravailler le mixage musique en même temps que la bande son du film, histoire de régler ce problème de basses et de faire mieux ressortir les éléments nécessaires.
Par contre, le DVD devait être terminé avant la projection presse pour des problèmes de délai ; ce qui veut dire que le premier mixage a servi au DVD ; puis un autre mixage a été fait pour la projection de presse, et une semaine après la projection, le mixage supplémentaire a permis de fournir la version définitive pour la diffusion télévisée.
Suite à la projection de presse d'ailleurs, le film subira quelques petites modifications – la version DVD est donc un peu plus longue que la version télé finale (et il y a notamment de la musique en plus, avis aux amateurs). Mais le « Director's cut » est bien la version télévisuelle.
A part ces déboires de mixage – qui m'auront pris beaucoup plus de temps que la composition en elle-même, mais qui m'auront appris différentes choses - je me suis rendu compte qu'en télévision, personne ne fait vraiment attention à la musique. C'est, me semble-t-il, une autre approche qu'au cinéma où son rôle est vu comme plus essentiel. Dans les chaînes de télévision j'ai l'impression que beaucoup ne l'entendent pas ou tout au plus y voient un élément décoratif (ce qui, à mon sens, peut expliquer la pauvreté de beaucoup de compositions télévisuelles). Partant de là, c'est une frustration à laquelle je devrai m'habituer.
Cela dit, « La grande inondation » a heureusement été portée par des gens qui accordent une véritable valeur à la musique, qui y sont attentifs et l'ont envisagée comme une véritable musique de film : Bruno Victor-Pujebet en particulier (dont j'ai eu beaucoup de chance que les goûts musicaux coïncident avec les miens, et dont la confiance et l'enthousiasme m'ont véritablement porté) et les producteurs de Bonne Pioche, qui m'ont lancé ce pari fou mais m'ont également témoigné une grande confiance. Je leur dois ma première expérience sur un long-métrage et c'est à eux que je dois ma véritable entrée dans le métier, et je les en remercie du fond du cœur.
J'avoue être assez fier de la musique, d'abord pour la quantité (il y a au final 54 minutes dans le film sur les 58 composées) et le challenge que ça a été d'écrire tout ça en si peu de temps, mais surtout parce que je me reconnais dedans, d'un point de vue mélodique, harmonique et de construction. Et puis quelque part elle trahit un peu mon rêve de musique hollywoodienne, je ne m'en cache pas… Même si le défi a été ultra hard, j'ai beaucoup de chance avec ce film !
PS : Ah oui info rigolote : le film "Paris 2011 la Grande Inondation" s'appelle pour la version américaine "PAris 2010 The great flood". Parce que 2011 ça leur faisait penser à 11 septembre, et donc ils ne veulent pas et ont demandé à changer le titre !
Paris 1910. La Seine envahit les deux tiers de la ville et noie le zouave du pont de l\'Alma jusqu\'au cou. La crue ne tarde pas à semer la panique dans le quotidien de milliers de parisiens qui doivent circuler sur des artères majeures telles que les boulevards Haussmann et Saint Germain...en barque. Musique de David Reyes
Produit par Bonne Pioche
Durée : 75 minutes
Première diffusion : Canal + samedi 16 décembre 20h50
Sortie DVD : 18 décembre 2006
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)