Philippe Sarde retrouve Bertrand Tavernier 16 ans après LA FILLE DE D'ARTAGNAN.
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Je ne voulais surtout pas d'une fausse musique XVIème siècle. Et même si Philippe Sarde s'est inspiré dans deux titres de compositeurs de l'époque comme Roland de Lassus, nous souhaitions que l'orchestration et les harmonies de la musique soient très modernes, en utilisant beaucoup de percussions. Du coup, il a travaillé avec une formation originale composée de trois musiciens baroques, quatre trombones, sept contrebasses et violoncelles, et cinq percussionnistes - mais pas de violons.
Avec Claude Sautet, Bertrand Tavernier s'impose comme l'un des cinéastes décisifs de mon parcours (je déteste le mot «carrière»). Je l'ai connu comme attaché de presse de mon premier film, LES CHOSES DE LA VIE. Il avait vingt-huit ans, moi vingt. Je le vois toujours comme un grand frère bienveillant, cinéphile et mélomane, passionné et tumultueux. Avec Philippe Noiret, c'est moi qui ait convaincu le producteur Raymond Danon de financer son premier long métrage, L'HORLOGER DE SAINT-PAUL. À partir de là, notre collaboration a été régulière mais intermittente : sept films jusqu'à LA FILLE DE D'ARTAGNAN, en 1994. Malgré cette éclipse de seize ans, notre fraternité est restée intacte. Elle n'était pas perdue, simplement en sommeil, comme un volcan. Deux éléments l'ont réveillée : d'abord, ma participation à l'hommage rendu à Bertrand par l'Institut Lumière, fin 2008. Puis mon implication dans le montage de la version européenne de DANS LA BRUME ÉLECTRIQUE. Ces rendez-vous successifs nous ont donné l'envie de renouer avec les grandes heures de notre aventure partagée.
C'est alors qu'est arrivée LA PRINCESSE DE MONTPENSIER. Bertrand était conscient que le film devait posséder une certaine dimension musicale, un souffle, une grandeur. Sans l'exprimer complètement, il voulait aussi avoir à ses côtés un sherpa, un compagnon de route pour le suivi du film à ses différentes étapes. Au printemps 2009, le projet a été retardé, relancé, annulé, réactivé etc. C'était une période de flottement, d'attente. Bertrand continuait d'avoir envie de travailler avec moi, tout en étant lucide sur ma réputation sulfureuse auprès de certains décideurs : «Sarde est cher et ingérable ! C'est un fou furieux... Il a disjoncté et rendu les armes !» À l'arrivée, son enthousiasme et son opiniâtreté ont convaincu Eric Heumann, le producteur du film. D'emblée, pour marquer mon territoire, j'ai enregistré la messe du mariage, avant même le premier tour de manivelle. Puis, pendant le tournage, j'ai visionné avec Eric l'intégralité des rushes dans ma salle de projection. Je pouvais ainsi donner à Bertrand, au téléphone, mes impressions sur les comédiens, la lumière, le cadrage. Au fur et à mesure, le film s'est forgé, il m'est apparu avec de plus en plus de clarté. Restait à cerner son identité musicale... Un jour, j'ai déclaré à Bertrand : «Oublie un instant l'époque, la violence, les guerres de religions. Le cœur de LA PRINCESSE, c'est un grand sujet lyrique, une parabole sur la passion. Tu as tourné un film d'amour à cinq personnages mais avant tout, tu m'entends, un film d'amour !» Tavernier était d'accord, d'autant que ma lecture du film est simple : à mon sens, le grand amour de la princesse, c'est Chabannes.
Mon idée, c'était de déployer un grand thème qui cimenterait l'histoire d'amour, qui aille chercher le lyrisme très loin, très haut dans l'aigu. Un thème ambivalent, qui fonctionne aussi bien dans le sens Marie-Guise que Chabannes-Marie. Pour Chabannes, j'ai écrit un thème propre, en forme de portrait, au caractère plus retenu, plus religieux aussi. Or, ces deux thèmes, celui de la Princesse et de Chabannes, ont exactement le même traitement instrumental : viole de gambe, flûte à bec et cornet à bouquin, en avant de l'orchestre. C'est une manière invisible de lier et relier le destin des deux personnages. Vous connaissez mon credo : je ne suis pas compositeur mais scénariste musical.
Orchestralement parlant, j'ai choisi une formation proche du XVIème, mais avec une écriture d'aujourd'hui. L'outil est d'époque, le langage actuel. Ce n'est pas une combinaison importante, simplement vingt-cinq musiciens qui, dans le grand studio d'Abbey Road, sonnent comme cinquante : des cordes (sans violon, pour éviter l'excès de lyrisme), des trombones,
plus les trois instruments baroques cités plus haut. Sans oublier quatre pupitres de percussions : le goût de Tavernier pour les rythmes heurtés, remplis de syncopes et contretemps, est l'un des fils rouges de notre collaboration. Réécoutez plutôt COUP DE TORCHON ou L.627... Même démarche d'économie avec les chanteurs : ils sont six. C'est un chœur de chambre, pas une chorale. Au générique de fin, ils synthétisent les voix des personnages du film. Chaque morceau a été enregistré à l'image : on voyait aussitôt l'effet chimique que la musique produisait à l'écran, notamment sur les séquences de trajets. Comme dans LE JUGE ET L'ASSASSIN : des personnages qui traversent des espaces naturels grandioses, avec cette idée d'errance géographique et mentale. Dans LA PRINCESSE, tous les voyages ont un sens, une fonction dramatique. Enfin, en clin d'œil à Bertrand, j'ai injecté une pulsion de jazz à deux séquences, la leçon de Chabannes et l'arrivée au camp, avec des pizzicati de basse en hommage à notre ami Ron Carter. Je suis déjà nostalgique de cet enregistrement : avec Tavernier, on a ressuscité l'euphorie de nos grands virées londoniennes, avec néanmoins une rigueur accrue. Nous disposions uniquement de cinq séances pour mettre en boîte une heure de musique. C'était un marathon. Pression énorme, pas question de perdre une seconde. Pour l'orchestration, j'étais formidablement secondé par Nic Raine, ancien lieutenant de John Barry. C'est un technicien chevronné qui a su magnifiquement comprendre mes intentions, comme Peter Knight à l'époque de COUP DE TORCHON.
Aujourd'hui, devant le résultat mixé, je suis convaincu que LA PRINCESSE DE MONTPENSIER est une œuvre essentielle... et certainement le film le plus opératique de Bertrand. C'est une aventure qui m'a sorti de mon spleen, qui me redonne confiance dans le cinéma... et envie de continuer mon métier, tout simplement. Et puis, c'était émouvant de me retrouver derrière une table de montage avec Bertrand. En dix-sept ans, il a forcément changé, évolué. Moi aussi, en travaillant avec de nouveaux cinéastes comme Bruno Podalydès ou Alexandra Leclère. Bertrand, lui, est devenu plus sensible, moins impatient, parfois plus fragile aussi. En prenant de l'âge, certains metteurs en scène n'en finissent plus de tourner sans relâche le même film. D'autres, comme Tavernier, n'hésitent pas à se mettre en danger, à explorer des territoires inconnus. C'est presque une question de survie. En l'occurrence, LA PRINCESSE est le film de sa confrontation avec une nouvelle génération de comédiens. En cela, sa courbe professionnelle m'évoque celle de John Huston, pour son culot, son appétit du risque.
Que dire en conclusion ? Avec Bertrand, nous avons un ami commun, un grand cinéaste new-yorkais. Il s'appelle Jerry Schatzberg et je lui ai écrit la partition de L'AMI RETROUVÉ. Pour moi, c'est peut-être le meilleur sous-titre à LA PRINCESSE DE MONTPENSIER : Bertrand Tavernier ou l'ami retrouvé.
Réalisé par Bertrand Tavernier
Sortie au cinéma: 03-11-2010 (France) - Reprise en salle : 15-02-2023
Avec Mélanie Thierry, Gaspard Ulliel, Grégoire Leprince-Ringuet
Long-métrage français.
Genre Comédie dramatique
En Compétition - Festival de Cannes 2010
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