Après l’âge d’or du Rock’n’Roll il faudra attendre 1967, l’année de Sergent Pepper’s des Beatles pour que la Pop Musique soit enfin reconnue comme une forme d’art à part entière. Le terme désigne une branche précise de la Popular music, à savoir une musique rythmée et électrique dans laquelle va se reconnaître dans le monde entier, toute une génération de jeunes.
Avec des groupes comme Pink Floyd et la musique du film More de Barbet Shroeder (1969) ou Frank Zappa and the Mother of Inventions avec 200 Motels (1971) la musique de film devient plus recherchée. Dans les années 70, sous l’impulsion de la grande révolution culturelle de mai 68 et du festival de Woodstock, ces trois jours de Peace and Love, la musique devient un terrain d’expérimentation sans précédant. Woodstock (1970), le documentaire fleuve de Michael Wadleight sur le festival est un témoignage précieux car il ne se contente pas uniquement de filmer les musiciens mais aussi la vie de bohême du public à travers un montage particulièrement novateur. (Technique de l’écran partagé). Dès lors, le Cinéma va créer des passerelles entre musiciens pop et réalisateurs de films. Bob Dylan joue et compose la musique de Pat Garrett and Billy the Kid de Sam Peckinpah en 1973.
Plus underground, en 1969 le film Easy Rider de Dennis Hopper montre la communauté des motards hippies sur des musiques très tendances de Jimmy Hendrix ou The Byrds. La même année Jean-Luc Godard filme l’enregistrement de "Sympathy for the Devil" (compassion pour le diable) des Rolling Stones dans One+One. Un film au montage expérimental que le groupe n’a par ailleurs pas apprécié.
Blow-Up (1966) et le Swinging LondonChez les Anglais, la vague du Swinging London, véritable création collective des teenagers de l’après guerre va déstabiliser les vieux principes moraux de la vieille société. L’un des films les plus représentatifs de cette Angleterre qui swingue est The Knack (qui signifie piége à fille ou truc pour séduire) réalisé par Richard Lester en 1965. Le générique est en cela emblématique de cette mode adolescente. Filmé en noir et blanc, on y voit tout un cortège de filles sensuelles en mini-jupe, sublimé par la musique délicate de John Barry, une partition à mi-chemin entre la pop, le jazz et le classique qui superpose cuivres, percussions, rythmes yé-yé, synthé et violons.
En 1966, le cinéaste Italien Michelangelo Antonioni s’intéresse au phénomène pop en adaptant une courte nouvelle de l’écrivain Argentin Julio Cortázar. Antonioni utilise des actrices emblématiques de cette époque telle que Vanessa Redgrave, Sarah Miles et Jane Birkin. Interprété par David Hemmings dans le rôle principal, le film Blow-up se base sur la carrière de David Bailey, le brillant photographe londonien très connus des pop-fans pour ces portraits des Rolling Stone. Dans un Parc, il prend furtivement en photo un couple. Lorsqu’il développe le film il croit apercevoir dans le fond de l’image un cadavre. Lorsqu’il revient sur les lieux le corps a disparu…
Le titre "Blow-up", qui signifie exploser est aussi un terme utilisé dans le Pop Art qui caractérise l’explosion des formes et des couleurs.
Le pianiste de Miles Davis, Herbie Hancock compose la musique. Le réalisateur la voulait très discrète. Le style musical n’est pas orienté vers la pop mais plutôt vers le Jazz Blue Note ou le cool-jazz. On trouve néanmoins des instruments électriques tels que le mélodica, la guitare et la basse.
Même s’il s’intéresse aux thèmes actuels comme la photo de mode et la marijuana, le cinéaste cherche plutôt l’épure et l’abstraction. Lorsque David Hemming photographie les modèles derrière des panneaux de verres, il rejette le titre prévu à l’origine "Bring Down the Birds", un morceau à la rythmique très Swinging London et le remplace par une musique pop assez démodée.
Pour retranscrire un concert Il n’utilise pas non plus les icônes de la pop mais s’adresse à un groupe plus underground comme les Yardbirds qui interprètent "Stroll on". A la fin du morceau, on voit Jeff Beck et Jimmy Page monter le volume et casser le matériel à la manière des Who. Dans la séquence, l’audience reste figé sur place pendant le concert, sans réaction, ce qui ne se produit jamais dans les concerts des Yardbirds où la foule est toujours animée et danse.
"Quand j’ai vu le film, dit Jim Mc Carthy, le batteur du groupe, je l’ai trouvé assez étrange mais il retranscrit parfaitement bien l’ambiance londonienne des années 60. "
Si le film reste un témoignage intéressant sur cette époque, son style glacé peut paraître aujourd’hui fort démodé. Comme le souligne avec humour François Forestier dans son livre l’Anthologie des 101 Nanards. (Edition Denoël) : "Antonioni filme une boîte de nuit à la mode : c’est ringard. Antonioni tourne sa caméra vers le groupe le plus débile du Rock sixties, Les Yardbirds : c’est ultra-ringard. Le maestro scrute des surfaces blanches, des mannequins coiffés par Vidal Sassoon et vêtus en néo-Courrèges : on se croirait chez "Dim-Dam Dom" [Note : "Dim Dam Dom" était un magazine télé français sur la mode "branchée" des sixties.]
Plus que musicale, la pop est aussi une esthétique de l’image très inspirée par la B.D et le Pop Art… Un style cartoonesque que l’on peut déjà retrouver dans la contribution cinématographique des Beatles. Quatre Garçons dans le vent (1964), Help (1965) de Richard Lester et surtout leur dessin animé musical filmé par George Dunning, Yellow Submarine (1968) sur des dessins originaux d’Heinz Edelmann de grande qualité.
En 1965, Juliette des Esprits est le premier long métrage en couleur de Fellini. Les couleurs éclatantes du technicolor évoquent la riche palette des films Le Magicien d’Oz (1939) ou Les Parapluies de Cherbourg(1964). Les costumes Flowers Powers, les coiffures excentriques, l’architecture baroque et le décor bariolé crée par Giero Gherandi en fait un produit typique de la veine psychédélique.
Les jeux de lumières arc-en-ciel de la maison de Susie annoncent l’esthétique baroque de Mario Bava (Operazione Paura - 1966) et celle de Dario Argento (Suspiria - 1977). Les personnages sont parfois filmés derrière des aplats de couleurs rouge ou bleu comme dans certaines sérigraphies d’Andy Warhol.
Fellini était à l’époque très influencé par le music-hall et la BD, particulièrement Bartier, Flash Gordon etJodelle de Peellaert, il renonce à la tradition romanesque de ses précédents films. Le rêve et la réalité s’interpénètrent en un véritable kaléidoscope… Ce foisonnement se retrouve également dans la partition légère et raffinée de Nino Rota qui privilégie un petit orchestre de chambre dans des petits motifs gazouillants, ironiques et joyeusement rythmés, entre la pop et le Charleston. L’orgue électrique est très en avant ainsi que les percussions, le piano, la basse électrique et les cuivres. On trouve même dans la scène onirique finale quelques expérimentations électroniques. Il y a aussi de savoureux pastiches de musique orientale, des chœurs féminins d’opérettes et de la musique de cirque. La partition est même parfois étrangement inquiétante, à la limite du fantastique dans la superbe séquence du théâtre des Bonnes Sœurs.
Dans Toby Dammit, un court-métrage des Histoires Extraordinaires d’après les contes d’Edgar Allan Poe, l’acteur anglais Toby Dammit, joué par Terence Stamp vient à Rome pour tourner un western catholique. L’acteur habillé comme une pop star, visage pâle, les yeux cerclés de noir est très porté sur la boisson. Il est tourmenté par les apparitions fantomatiques d’une mystérieuse fillette qui se révèle être le Diable. Aux questions que lui pose la présentatrice Tv, il répond avec une indifférence détachée. "Prenez vous du LSD ou d’autre drogues ? " "Toutes les drogues… " répond-il. "Pourquoi ? " "Pour redevenir normal ".
Dans ce film, les couleurs sont poussées à l’extrême. La lumière est complètement artificielle. Fellini opte pour l’étrangeté et le surnaturel en utilisant des filtres orangés dans l’aéroport ; la vision de Rome est particulièrement halluciné, avec des nuages roses à la tombée de la nuit. Les flashs incessants des journalistes et les spots lumineux qui éclairent la voiture conduisant l’acteur au studio participent à ce chaos visuel. Fellini s’explique sur ses choix esthétiques : "Celui qui rêve peut voir un pré rouge, un cheval vert, un ciel jaune et ce ne sont pas des absurdités. Ce sont des images trempées du sentiment qui les inspire".
La réalité se transforme ainsi en vision onirique. L' univers mental et dérangé de Toby Dammit. La musique de Nino Rota cultive cette même veine, partagée entre deux réalités. Celle du "cauchemar" de Dammit et de sa rencontre avec le Diable, illustrée par un motif très beau, calme et mélancolique de quelques notes jouées au piano. Les motifs pops dansant, volontairement défraîchis que l'on entend dans le Show Tv, nous ramène à une réalité plus conventionelle. Assez inhabituel chez lui, Fellini utilise une chanson pop moderne, Rubyd’Heinz Roemheld interprétée par Ray Charles pour représenter l’état d’absence dans lequel sombre peu à peu le personnage.
Pour tourner Satyricon, l’adaptation "très libre" de Pétrone, Fellini s’essaye au LSD, "sous contrôle médical" précise t-il ! "Tu vois des couleur incroyables, qui te semblent bien vivantes, les couleurs deviennent palpables. Tu peux toucher le violet, le bleu et d’autres couleurs qui n’existent pas dans la réalité. Tu es infiniment heureux ! Et tu peux voler plus haut que dans tes rêves, un sentiment de toute puissance. Pour un artiste c’est une expérience obligatoire."
Extrait tiré du livre de Bernardino Zapponi, Mon Fellini. Edition de Fallois.
Le film est imprégné de cet esprit de libération hérité du mouvement psychédélique underground. La narration est non linéaire, on passe d’un lieu à l' autre sans lien apparent, un peu comme dans un rêve. Les couleurs très expressives participent à la démesure de la mise en scène. La ville d’Encolpius est bleue ciel, le monde du riche Trimalchion est rouge sang (séquence du banquet), celui du Maître a des teintes arc-en-ciel, bleu clair, vert pomme, pourpre et rose.
La musique composée par Nino Rota, Ilhan Mimaroghu, Tod Dockstader et Andrew Rudin est très audacieuse. Mélange de chants de guerre, chant funèbres, mélopée, hurlements. Musique d’Afrique, de l’Inde, du Japon et de Chine… Rythmes incantatoires, sons superposés, désorganisés, angoissés… la couleur orchestrale est très riche, lyre, cythare, cloches tubulaires, trompe, flûte, gamelan, pipeaux essoufflés, sons électroniques, avec une dominance des percussions, tambours, gong, crotales, battement de mains en contrepoint avec l’action. Par exemple, durant la séquence du mariage homosexuel sur le navire romain, on peut entendre du gamelan Balinais… La Bande Originale emprunte aussi de nombreux thèmes aux musiques folkloriques du monde. Le Chant du Monde (Nonesuch), l’Anthologie de la Musique noire Africaine (Arvon Music).
Aux Etats-Unis, la première représentation de Satyricon eut lieu au Madison-Square Garden de New-York après un concert de Rock. Il fut projeté devant un public de 10 000 hippies, pour la plupart sous l’empire de la drogue.
La fin des années 60 est une période particulièrement riche dans l’élargissement du répertoire musical français. Plusieurs compositeurs tentent le mélange entre le classique, l’avant-garde et la pop musique anglo-saxonne. En 1968 Serge Gainsbourg travaille avec l’arrangeur anglais Arthur Greenslade sur la chanson "Initials B.B" et enregistre à Londres l'année suivante "Je t'aime moi non plus". André Popp lui aussi mêle variété française et pop anglaise sur des titres comme "L’amour est bleu" chanté en 1968 par Claudine Longet ou "Years may come, years may go" (1973). C’est aussi l’époque des disques conceptuels comme La Messe pour le Temps Présent de Pierre Henry et Michel Colombier (1969), La Mort d’Orion de Gérard Manset (1970), l’Histoire de Melody Nelson de Serge Gainsbourg (1971), l’Enfant Assassin des Mouches de Jean-Claude Vannier (1972)
Dans le livret de son disque Capot Pointu, Michel Colombier résume bien cette préoccupation esthétique du métissage des genres :
"Je ne suis pas complètement un homme de jazz, ni de rock, ni de classique mais un peu tout à la fois […] Cela vient en grande partie de mon père : pour lui, il existait un mur de Berlin entre la vraie musique, en clair le répertoire classique, et le reste, qu’il méprisait. Moi, au contraire, j’ai toujours essayé de créer des passerelles, d’organiser des fusions entre toutes les musiques qui m’ont touché et nourri. "
En 1967, Serge Gainsbourg s’associe avec Michel Colombier pour mettre en musique la comédie musicale pop Anna, un téléfilm de Pierre Koralnik rarement diffusé. Interprétés par Anna Karina, Jean Claude Brialy, la chanteuse Marianne Faithful et Gainsbourg lui-même, la musique jongle sans cesse entre la chanson pop, le twist et le classique. Très influencé par le rock américain et anglo-saxon des années 60, Gainsbourg écrit une série de thèmes "dans le vent" comme "Roller girls" ou "Pistolet Jo", des chansons légèrements kitchs qui paraissent aujourd'hui assez éculées. On retiendra surtout le tube "Sous le soleil exactement" chantée par Anna Karina et quelques duos savoureux dont le magnifique "De plus en plus, de moins en moins" qu' Anna interprète avec Jean-Claude Brialy,
Pierre Koralnik retravaillera avec Serge Gainsbourg en 1970 sur le thriller excentrique Cannabis. Un film dont la superbe B.O "située entre Belà Bartok et Jimi Hendrix", dixit Gainsbourg, est co-composé avec Jean Claude-Vannier.
En 1973, dans le dessin animé de René Laloux, La planète Sauvage composée par le jazzman Alain Gorraguer, la musique est un savant mélange de pop, de jazz et de rythmes funk, soutenus par une voix féminine de toute beauté. Illustré magnifiquement par Roland Topor, le film met en scène une réflexion sur l'intelligence, la société, la politique et finalement sur la nature même de l'humanité, de façon agréable et ludique. La musique de Gorraguer bien mise en avant dans le film apporte une touche de modernité qui même aujourd'hui étonne encore par la richesse de sa palette sonore.
Certains réalisateurs restent néanmoins farouchement hostiles à ces nouvelles tendances. Par exemple, lorsque Eric Demarsan proposa à Jean-Pierre Melville de faire une musique à la Pink Floyd pour le film l’Armée des Ombres (1969), le réalisateur le traita de fou ! (cf. Livret du CD l’Armée des Ombres).
En 1970, à la surprise générale, Gérard Oury fit appel au musicien pop Michel Polnareff pour mettre en musique, La Folie des Grandeurs, une comédie librement inspirée de la nouvelle Ruy Blas de Victor Hugo. Un film tourné en Espagne dont l’action se situe au XVIème siecle. Pour autant, le compositeur ne cherche pas à faire une musique qui colle à la période. Des thèmes classiques, comme "Le thème d’amour", joué par des instruments d’époques (Clavecin, piano, guitare, flûte, cordes et hautbois) voisinent avec des rythmiques plus modernes et farouchement anachroniques.
Ce qui est formidable c’est que la bande son n’est jamais en porte à faux avec le film, elle apporte au contraire une exubérance particulièrement jouissive aux scènes d’actions. Dès le générique d'ouverture, Polnareff démarre en trombe avec une composition énergique. Une véritable parodie des Westerns Spaghettis d' Ennio Morricone qui serait revue par The Shadows... L'orchestration entremêle batterie, guitare électrique, chœurs féminins et cuivres sur un rythme sauvage non dénué d'humour..
Dans ses films, Jacques Tati recherchait une fraîcheur et une simplicité musicale qui était complètement à l’opposé des grandes orchestrations traditionnelles de l’époque. Pour cela, il a souvent travaillé avec des compositeurs non professionnels ou issus de la chanson comme Alain Romans, Franck Barcellini ou Francis Lemarque.
Dans Playtime, son œuvre la plus ambitieuse, (et aussi la plus désastreuse financièrement !) il s’inspire des nouvelles méthodes d’enregistrement stéréophonique de la Pop Musique. Le film est tourné en 70mm. couleur et le son est recrée en post-synchro mixé sur plusieurs pistes ce qui donne un relief saisissant à la Bande Originale. Le son est très expressif (beaucoup de gags sont fondés sur le bruitage) et fait partie intégrante de la musique du film. On pense aux disques de Frank Zappa and the Mothers of Inventions ou aux expériences auditives de Pierre Schaeffer qui pratiquent également cette alchimie en fusionnant musiques, bruits divers et expérimentations sonores. Il n’y a aucune intrigue dans le film, on suit simplement les déambulations burlesques du personnage de Mr Hulot, interprété par Tati égaré dans une ville technocrate post-moderne assez proche de l’univers absurde du Brazil de Terry Gilliam (1985). La musique originale est signée Francis Lemarque, on y entend aussi des thèmes africains de James Campbell et le morceau "Take my Hand" de Dave Stein.
Lors du dîner dansant au Royal Garden, qui n’est pas sans évoquer The Party de Blake Edwards (1968), Tati brocarde la haute société en créant toute une série de gags qui s’abattent sur eux au son du twist et du cha-cha. Les bruitages se mêlent à la musique. Les serveurs tombent, les vitres éclatent, le plafond s’écroule… Une séquence formidablement jubilatoire !
En 1971, avec Trafic, Tati s’éloigne définitivement du charme rétro de la petite ballade de Mon Oncle. Charles Dumont, (le compositeur de "Non je ne regrette rien" d’ Edith Piaf) avait écrit à la base une musique symphonique mais Tati qui désirait une musique plus "pop" que "classique" dégraissa l’orchestre, abandonna les cordes puis les cuivres. Au final, des soixante musiciens prévus à l’origine il n’en resta plus que huit ! (cf. livret désopilant de Trafic ou Charles Dumont pâtit des excentricités de Tati). Les rythmes twists donnent une couleur moderne et rythmique qui convient parfaitement au sujet du film ; la voiture, symbole de la société de consommation. Sur le morceau "La course d’autos", le rugissement des guitares électriques et le rythme impulsif de la batterie traduisent bien l’agressivité des autoroutes. Un monde qui retentit de bruit et de vitesse. Dans le film, la musique est souvent noyée par le bruit fort et dérangeant de la circulation et le dialogue est quasi absent. Un véritable concerto mécanique !
Carlos Saura a évoqué à sa manière, dans ses films, le traumatisme de la guerre civile en Espagne et le régime Franquiste qui s’instaura dés 1939. Grâce au producteur Elías Querejeta, il est seul, sous Franco, à contrôler entièrement ses films. "On doit aussi faire un Cinéma pour aider à détruire un système détestable" dit-il. Dans ses films, le cinéaste utilise fréquemment la musique populaire de l’Espagne. Il travaille aussi avec le compositeur Luis de Pablo, une figure marquante de la Musique contemporaine qui contribua à élargir le répertoire musical du pays. De cette collaboration on peut citer Le Jardin des Délices (1970) et Anna et Les Loups(1972), deux films qui traitent du militarisme Franquiste.
Carlos Saura a souvent recours à la musique pop. Elle intervient comme une échappatoire, qui permet aux protagonistes de s’affranchir pour un temps de la réalité sombre de la guerre et de la dictature Franquiste. Dans La Cousine Angélique (1974), les personnages se distraient au son de "Change it all" interprété par The Friends Band Co et Angélique danse et interprète la chanson "Carioca".
La pop s’oppose à des chansons plus traditionnelles qui représentent une certaine idée de la culture passéiste érigée par Franco. Sur le générique de début, l’école bombardée est filmée au son d’une musique religieuse "El señor es mi Pastor". A la fin du film, parce qu’il s’est éloigné de la maison, le fils se fait fouetter par son père au son de "Rocío" chantée par Imperio de Argentina, une chanson surannée.
En 1975, le dictateur Franco, qui a gouverné l’Espagne durant 35 ans, vient de mourir lorsque Carlos Saura achève Cría Cuervos, certainement son film le plus aboutit. Le titre, tiré d’un proverbe sur l’ingratitude. "Cría Cuervos y te sacaran los ojos" (Nourris les corbeaux et ils te dévoreront les yeux) fait référence à la rébellion de la jeune Ana contre l’éducation catholique et conservatrice qu’elle a reçue.
Sous Franco, les enfants devaient seulement apprendre les choses nationalistes, franquistes et religieuses. Le disque qu’elle met à deux reprises sur son petit phonographe reproduit une pop song assez envoûtante, "Porque te vas" interprétée par Jeanette. La douce mélopée de la musique lui permet de s’évader pour un temps de la réalité morbide de sa famille, à l’image de la dictature qui asphyxie le pays. Elle remue les lèvres sur les paroles de la chanson ce qui crée un étrange effet de play-back où l’enfant semble se substituer pour un temps à l’interprète.
Dans le milieu des années 60, le fossé se creuse entre les institutions et le vécu de la population. Les rapports tendus entre les parents et la jeunesse avide de se libéraliser sont abordés dans des films tels que Blackboard Jungle de Richard Brooks (1955), Rebel Without a Cause de Nicholas Ray (1955), Splendor in the Grass d’Elia Kazan (1961) ou Taking Off de Milos Forman. (1971)
Dans Lolita, Stanley Kubrick illustre la rencontre entre l’adolescente Sue Lyon (Lolita) et James Mason (Professeur Humbert) par une petite musique très câline "Lolita yaya". Ecrite par Nelson Riddle et Bob Harris la ritournelle ponctue également l’apparition de Lolita dans la scène où sa mère et Humbert jouent aux échecs. Le registre musical change brusquement, passant du classique à la pop dés qu’elle apparaît dans le fond de la pièce.
Cette opposition musicale entre parents guindés et jeunesse frivole se retrouve dans la séquence du bal. Sur le morceau "Quilty's Caper - School Dance", le rythme est endiablé. Les adolescents semblent beaucoup s’amuser alors que les adultes pour la plupart au bar sont ridicules sur la piste. La danse molassone de Peter Sellers par ailleurs hilarante est en cela fort révélatrice. Plus tard, lolita se moquera de sa mère et d’Humbert lorsqu’elle les verra danser sans entrain sur un rythme cha cha assez désuet.
Dans le film Tchèque, Les Petites Marguerites, la réalisatrice Vera Chytilová dresse le portrait de deux gamines irresponsables et irrévérencieuses pour lesquelles la vie n’est qu’un jeu iconoclaste. Leur occupation principale consiste à aguicher de riches notables qui viennent déjeuner au restaurant. On pense beaucoup aux héroïnes de Mina Tannenbaum de Marthe Dugowson (1994) ou de Ghost World (2000) de Terry Zwigoff, films qui présentent aussi des figures féminines en marge des réalités sociales.
S’inspirant du Cinéma underground américain et des conceptions audacieuses de Stefan Uher dans Le Soleil dans le filet (1962), Chytilová renonce aux méthodes du Cinéma-vérité en créant une réalité artificielle et stylisée à contre courant du réalisme socialisme. La musique burlesque de Jirí Slitr (compositeur issu de la Pop), le montage expérimental, l’utilisation de filtres colorés participent à ce rejet des constructions narratives traditionnelles et s’attachent plus à représenter l’état intérieur des personnages. Les couleurs intenses du film rappelle la peinture allemande de Gerhard Richter, des toiles à mi-chemin entre l’hyperréalisme et le Pop Art. Le film coïncide en outre avec le mouvement libertaire de la femme et les évènements révolutionnaires du Printemps de Prague...
La pop et le Cinéma érotique ont toujours fait bon ménage. Déjà, dans les années 50, des films gentiment érotiques comme Striporama (1953) ouVarietease (1954)) d’Irving Klaw (un photographe spécialisé dans les clichés sadomasochistes soft.) utilisent de la musique légère pour accompagner les danses langoureuses de la pin-up Bettie Page. On y trouve les grandes tendances musicales, en vogue à l’époque. Du swing, du spy jazz, du go-go beat avec une prédominance des cuivres et des percussions comme le bongo. Par ses tenues légères et ses coiffures affriolantes, Bettie Page qui fut très controversée pour ses outrances eue une grande influence sur la mode des 50’s et contribua à libéraliser les mœurs féminines.
A la fin des années 60, l’avancé technologique permet de développer le mellotron et le synthétiseur moog, (par Robert Moog). Des instruments électroniques qui permettent souvent de simuler certains effets comparables à un orchestre tout entier grâce à une batterie d’oscillateurs et de filtres sonores. Le moog qui deviendra minimoog sera rapidement adopté par de grands groupes de pop comme les Rolling Stones ou les Beatles. Avec un son très typique et chaud, le minimoog est particulièrement utilisé dans le cinéma érotique, production souvent fauché par excellence pour donner un côté un peu guilleret aux ébats amoureux. On peut entendre de l’orgue Moog sur le générique de La Fiancée du Pirate de Nelly Kaplan (1969) dans la chanson "Moi je me balance" de Georges Moustaki chantée par Barbara, ainsi que dans Une Vraie jeune Fille de Catherine Breillat (1976) sur une musique de Mort Schumann.
Dans Gorge Profonde de Gerard Damiano (1972), le film débute par une petite ritournelle délicieuse jouée à l’orgue électrique, guitare et batterie, "Driving with Linda". La bande-son étonnamment présente dans le film, donne une coloration humoristique aux scènes sexuelles, ce qui est assez inaccoutumée. Les séquences pornographiques sont montées comme des clips, la musique et les chansons couvrant les râles des acteurs. On y trouve toutes les tendances de l’époque mélangés dans un invraisemblable bric-à-brac. Du disco, du funk, de la pop, du free jazz… Il y a même une reprise pop du traditionnel "British Grenadiers". Un peu plus ambitieux, le générique du filmLes Aventures Erotiques de Candy (1978) démarre sur une bluette pop composée spécialement pour le film, dans le style des chansons sucrées de Nancy Sinatra…
Dans le milieu Beatnik, Alice au pays des Merveilles de Lewis Carroll était très populaire. Certains voyaient notamment dans la scène fantaisiste du thé chez les fous, une allusion à l’effet de digression mentale que pouvait provoquer l’absorption de certaines substances hallucinogènes…
A cette époque, la découverte des musique extra européenne, particulièrement la musique Indienne et ses mesures incantatoires permettaient de prolonger l’effet de "trip" lié aux expériences de la drogue et du cannabis.
En 1966, Le Cinéaste Jonathan Miller utilise la musique du sitariste Indien Ravi Shankar, un compositeur qui influencera une grande partie de la Pop Musique, particulièrement Georges Harrison des Beatles, "Within You Without You" sur Sergent Peeper, The Byrds, Jefferson Airplane, Grateful Dead ainsi que la "Cosmic Music" d’Ash Ra Temple, Klaus Schulze et Tangerine Dream.
Filmé en noir et blanc, ce téléfilm Britannique est intéressant ; d’abord parce que la musique Indienne de Shankar propose un contrepoint singulier avec les paysages bucoliques de la campagne anglaise ensuite parce que cette version, totalement différente de celle de Walt Disney prend le contenu du livre très au sérieux... Personnage psychologiquement intéressant, Alice semble complètement autiste voire indifférente aux protagonistes et aux situations qu’elle rencontre. Elle dialogue souvent avec elle-même. Le cinéaste mêle ses pensées (voix off) à ses paroles (en In) dans un montage sonore très habile, comme s’il s’agissait d’une conversation télépathique entre deux personnes. Alice et sa conscience…
Le cadre est très travaillé et l’utilisation de la courte focale qui met bien en valeur la profondeur de champ est par ailleurs assez inhabituelle pour un téléfilm.. Shankar élabore un superbe thème pour le générique de fin qui inclut les propres illustrations de Lewis Carroll dessinées pour Les Aventures d’Alice sous terre (1864). Mélangé au sitar et au tabla, le hautbois donne à la musique une couleur particulièrement lumineuse.
En 1981, le film Christiane F. Wir Kinder vom Bahnhof Zoo(Nous, les enfants de la Station Zoo) adapté d’une nouvelle autobiographique décrit l’errance d’une jeune prostituée toxicomane qui erre dans les rues de Berlin. David Bowie qui fait une brève apparition dans le film joue son propre rôle de Rock Star en interprétant lors d’un concert le titre Station To Station (1976).
Entre 1977 et 1979 David Bowie et Brian Eno, (l’un des précurseur de l’ambient Music, cf. Music for Airports) jettent les bases d’une nouvelles conception musicale à travers trois disques majeurs enregistrés à Berlin. Low, Heroes, The Lodger. Ils étaient à l’époque très influencés par la pop synthétique de Kraftwerk (Autobahn) et la musique répétitive américaine, celle en particulier de Steve Reich (Music for 18 Musicians) et de Philip Glass (Einstein on the Beach). Dans le film, le réalisateur Allemand Ulrich Edel utilise les titres les plus expressifs de ces sessions, comme la superbe chanson "Look Back in Anger" que l’on entend dans la boite où va Christiane.
Très réaliste, le film montre dans un Berlin très glauque une jeunesse de tous les excès, abandonnée par leur famille et la société. Lorsque les Jeunes veulent dévaliser une galerie marchande Christiane ne veut pas venir. "J’ai sommeil " dit-elle à Detlev, son ami. "Tu auras tout le temps de dormir quand tu seras morte" lui répond-il. Chez elle, elle se fait un tatouage et se meurtrit le bras en écoutant Bowie qui chante "Heroes" en allemand. Le morceau instrumental "Warszawa" l’un des titres les plus impressionnants du tandem Bowie-Eno est utilisé à plusieurs reprises dans le film. On l’entend au moment où Christiane se drogue pour la première fois dans les toilettes de la boite en prenant un acide. "Prends en toi aussi avant de devenir flippée" lui conseille t-on. "Regarde les tous. Plus ils sont piqués plus ils sont cools".
Sur le titre instrumental "Sense of Doubt", un morceau ponctué par 4 notes graves jouées au synthétiseur, l’effet d’engourdissement mental engendré par la prise de l’héroïne est particulièrement bien rendue lorsque Christiane complètement droguée croise dans le métro le visage apeuré des Junkies. La séquence est montée comme un clip et les sons ambiants à peine perceptible créent une véritable sensation de déconnection avec le réel. Il faut également ajouter qu’au moment de l’enregistrement de ce titre Bowie était lui aussi complètement accro à la drogue, la cocaïne en particulier.
La musique additionnelle de Jürgen Knieper, le compositeur des films de Wim Wenders va également dans cet esprit de minimalisme planant, proche de sa musique pour l’Etat des Choses qu’il compose la même année.
En 1980, Christopher Petit réalise Radio One, un road movie noir et blanc Anglo-allemand très influencé par le style lent et contemplatif de Michelangelo Antonioni et Wim Wenders. Un film sur l’errance d’un jeune Britannique qui part enquêter sur la mort mystérieuse de son frère. Le film est assez austère mais résume assez bien l’état d’esprit froid et affecté de la New-Wave de la fin des années 70.
Sur ce point, la musique vaut le détour. On y entend notamment la superbe chanson "Heroes" de David Bowie/Brian Eno sur le générique de début qui présente la mort du frère ; la rockeuse Lene Lovich et un extrait de "Radio Activity", une des pièces les plus brillantes de Kraftwerk. Un titre que le personnage du film écoute sur son auto-radio lorsqu’il circule sur l’autoroute. Le cinéaste allemand Rainer Werner Fassbinder utilisera lui aussi ce morceau dans son huis-clos psychologique Roulette Chinoise, réalisé en 1976. Parmi la galerie de personnages assez singuliers qui compose le film, on peut également croiser la pop star Sting qui fait une brève apparition, dans un rôle à contre emploi.
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