par Sylvain Rivaud
- Publié le 01-01-2008Pour développer tous ces thèmes et ses idées, Shore a utiliser tous les moyens à sa disposition pour écrire un score d'une ampleur digne de l'oeuvre finale de la trilogie de J.R.R Tolkien : à l'orchestre symphonique massif habituel viennent donc s'ajouter des choeurs (tantôt doux, tantôt monumentaux), et des solistes déjà vus (Ben Del Maestro ou Renée Flemming, aux voix ensorcelantes), ou au contraires imprévus : on a ainsi droit à un passage soliste magnifique interprété par Billy Boyd en personne (la scène où Pippin chante pour Denethor), ainsi qu'un autre de Viggo Mortensen (pour la scène du couronnement d'Aragorn). Ces deux introductions solistes, au-delà de l'anecdote, viennent renforcer l'idée que les personnages sont bel et bien le coeur même de l'histoire, et que la musique, et plus particulièrement le chant, sont des éléments fondateurs de la culture de la Terre du Milieu. Si les films en comportent quelques uns (notamment les versions longues DVD), le livre quand à lui rassemble des dizaines de chansons originales qui parsèment régulièrement les pages du récit. A l'instar des dialogues originaux entendus dans les films, tous les chants et choeurs de la musique composée par Howard Shore sont interprétées dans les langues de la Terre du Milieu (elfique, nain, langues traditionnelles du Rohan ou du Gondor, etc...), avec la collaboration de spécialistes des langues inventées par Tolkien.
Du côté de l'instrumental, et en particulier des thèmes, c'est le déluge total ! Rarement on avait pu entendre une aussi grande richesse mélodique et thématique dans une seule BO. En faisant attention, ou pouvait déjà déceler dans les premiers films quelques thèmes du Retour du Roi en filigranne (notamment le thème de Gondor, utilisé dans la bande-annonce du film, que l'on entend pour la première fois pendant le conseil d'Elrond dans le premier film, puis une seconde fois dans la version longue des Deux Tours, lors du discours de Boromir). Ce thème majestueux est tout simplement l'hymne du Gondor, le royaume des hommes, qui va retrouver son roi dans le dénouement de la trilogie en la personne d'Aragorn. Ce thème est doublé d'un autre, apparaissant presque aux mêmes moments, et qui structure "Into the West", la chanson de fin, interprétée par l'occasion par Annie Lennox. Sa voix est belle, la musique magnifique, et bien que l'ensemble sonne plus "pop" que les chansons clôturant les deux films précédents, le côté nostalgique du départ vers l'Ouest est très bien rendu. Probablement la moins belle des trois chansons de la trilogie, mais au demeurant tout aussi efficace que les autres.
Hormis ces nombreux thèmes, le disque n'est pas en manque de passages d'actions trépidants. Le morceau intitulé "Shelob's Lair" est l'exemple le plus marquant de cette nouvelle série de morceaux orchestraux lourds et complexes qui ont déjà fait la renommé de Shore auprès de Cronenberg ou Fincher. Des cordes furieuses rythment ce passage grinçant et angoissant illustrant l'affrontement tant attendu entre Sam et Arachne, l'araignée géante gardienne du sombre passage de Cirith Ungol. Un pur moment d'action qui régalera des amateurs du genre, parfois laissés sur leur faim avec les deux BO précédentes, qui comportaient davantage de morceaux "plus faciles d'accès".
Enfin, le final magistral est illustré par "The End of All Things" qui, comme le laisse entendre le titre, est un passage purement apocalyptique d'une puissance absolue... Des choeurs et des percussions d'une puissance à couper le souffle illustrent le paroxysme de la fureur de Gollum et la puissance de l'anneau sur les personnages au moment crucial de l'histoire. Probablement le morceaux le plus impressionnant de la trilogie, le plus efficace, même si c'est également le plus attendu pour une scène finale de cette envergure. Mais on n'attendais pas autre chose.
Pour terminer, "The Return of the King" est une suite de 10 min des principaux thèmes de la trilogie du Seigneur des Anneaux : reprise du thème du Gondor, et réapparition du thème campagnard des Hobbits : après la pluie, le beau temps !
En résumé, la BO du Retour du Roi est un subtil mélange de morceaux sombres ou atmosphériques ("The Steward of Gondor"), de passages violents ( Shelob's Lair ), ou au contraire doux et tristes ("The Grey Heavens"), avec un soupçon de musique épique pour les moments forts ("The Fields of the Pelennor", "The End of All Things"). En introduisant des passages nostalgiques et des chants solistes au coeur même de la guerre, la musique d'Howard Shore devient cette lumière persistante qui plane tout au long d'un récit pourtant sombre et tragique. L'idée de Seigneur des Anneaux, c'est de montrer qu'il y a toujours de l'espoir, même quand tout semble perdu d'avance. Et que si la guerre est injuste, bête et cruelle, c'est un passage douloureux mais inévitable pour la plus grande raison de vivre de tout être humain : la liberté.
Shore conclut donc son "opéra" en beauté, avec un troisième acte digne de ce nom, rythmé et grandiose, mais aussi triste et nostalgique, qui permet un final cinématographique magistral sans tomber dans la facilité de la happy end de rigueur. Une oeuvre digne de Tolkien, qui su en développer tous les thèmes principaux avec génie et inventivité.
par Sylvain Rivaud
Interview B.O : Pierre Desprats (Les Reines du drame, de Alexis Langlois)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)