Christopher Young était de nouveau présent (en tant que président d'honneur du festival) ainsi que Trevor Jones, visiblement plus détendu que l'année dernière (pas de concert à préparer cette année !). Parmi les autres invités du festival, on pouvait compter le français Gabriel Yared, le japonais Shigeru Umebayashi (compositeur de Wong Kar-Waï et de Zhang Yimou), l'anglais Christopher Gordon (Master & Commander) ainsi que les espagnols Carles Cases et Angel Illarramendi, malheureusement peu connus hors de leur pays d'origine. Chacun d'eux a assuré une conférence d'environ 1 h 30 pendant le festival, à l'exception d'Alan Silvestri (nous y reviendrons). Autre déception : l'absence de l'américain David Shire (compositeur des Conversations Secrètes de Coppola dans les années 70 et du récent Zodiac de David Fincher) : retenu à Londres pour un enregistrement, il était annoncé au programme mais s'est désisté à la dernière minute (nous l'avons appris à notre arrivée à Madrid).
Essentiellement, le concert d'Alan Silvestri : grande première mondiale (il ne s'était jamais produit en public auparavant), l'interprétation de l'orchestre espagnol a été sans faille, et le compositeur semblait visiblement étonné et ému de l'accueil triomphal qui lui a été fait pendant le concert (les gens sifflaient et se levaient pour applaudir !). Assister à un tel concert, où revivent sous la baguette du compositeur des musiques de films cultes tant entendues auparavant, est un moment privilégié d'une vie de béophile, qui efface tous les bémols de cette seconde édition.
Les bémols, parlons-en (comme ça, ce sera fait) : d'abord le concert du vendredi soir, interprétation collective d'oeuvres pour orchestre de cinq compositeurs invités (Young, Yared, Cases, Illarramendi et Gordon) : si la délicatesse était au rendez-vous, au final le programme n'a pas fait forte impression, un certain sentiment d'ennui et un manque de relief étant constaté par l'assistance. Même la section de Christopher Young (avec Spider-Man 3) n'a que partiellement convaincu, le compositeur ayant choisi des morceaux romantiques (sa principale faiblesse !). De son propre aveu, il n'a pas eu vraiment le choix : l'ampleur modeste de l'orchestre ne permettait pas de faire plus ambitieux. L'interprétation de Terre-Neuve était cependant remarquable, réellement sensible et émouvante. Espérons cependant que le festival aura la bonne idée l'année prochaine de consacrer un concert entier à ce grand compositeur américain, avec l'ampleur qu'il mérite (orchestre complet et choeurs). Autre bémol : le peu de présence d'Alan Silvestri (hors concert) alors qu'il est l'invité principal. Le compositeur américain est certes venu signer quelques autographes le vendredi après-midi (ravissant de nombreux fans par sa présence, bien que courte) mais c'est tout ! Naturellement, son indisponibilité est dûe à la préparation du concert, événement particulièrement important pour lui, où il a dû répéter avec l'orchestre intensément pendant plusieurs jours jusqu'au samedi soir (lui permettant de nous offrir un concert sans faille !). On comprends aisément qu'il n'ait pas la tête à faire des interviews (même si une petite conférence de presse d'une heure est facile à organiser sur un programme de trois jours). Mais Alan Silvestri devait faire une conférence le dimanche matin, qu'il a annulé ! S'il ne pouvait pas donner de conférence pour cause de vacances en famille, il ne fallait pas l'annoncer sur le programme ! C'est une forme d'engagement et de respect envers un public qui a payé (il faut le rappeler) son accrédiation 130 euros. Nous comprenons naturellement qu'une personnalité telle qu'Alan Silvestri soit difficile à gérer et que, sous l'influence du personnage (malgré lui), les organisateurs se soient pliés à ses exigences, mais ce n'est pas vraiment normal. Nous avons ainsi vu de nombreux fans très déçus d'apprendre l'absence de Silvestri en conférence le dimanche matin, certains étant venus de très loin (Israël, par exemple) pour le rencontrer. A la bonne heure : l'année prochaine, chers organisateurs, n'annoncez rien que vous n'êtes sûrs de pouvoir assurer !
Malgré ces quelques bémols, naturellement liés à la jeunesse d'un tel festival et au fait que tous les organisateurs sont entièrement bénévoles (ce sont des passionnés comme vous et moi), l'ensemble de la manifestation s'est plutôt bien déroulé et à favorisé les rencontres. Christopher Young a été comme d'habitude débordant de gentillesse, embrassant chaque fan venu lui présenter une jaquette de CD à signer et invitant vingt personnes d'un coup au restaurant. Lors de sa conférence du vendredi matin, il a même donné son e-mail à toute l'assistance, invitant chacun à lui écrire et à venir le voir dans son studio à Los Angeles !
Les espagnols décidément ne manquent pas d'ambition et parviennent, avec leurs propres moyens, à réaliser le rêve de nombreux béophiles, même si tout ne se passe pas toujours comme prévu. En juillet, en Espagne, deux autres festivals du même type ont lieu : l'un à Ubeda en Andalousie (pour la troisième année consécutive), où le public peut aller rencontrer à sa guise David Arnold, John Powell ou Bruce Broughton, l'autre aux île Canaries (avec notamment Don Davis). Des américains ont-il déjà été invités en France récemment ? Naturellement, il y a eu le Festival de Cannes : Zimmer et Powell étaient présents en 2006, Shore et Morricone en 2007. Mais totalement inaccessibles. Bien sûr, le festival d'Auxerre a vu défiler Lalo Schifrin ou Ennio Morricone. Mais avec un cloisonnement compositeurs / public encore plus drastique (les français sont particulièrement pénibles sur ce point d'ailleurs). L'expérience et l'ambition de nos amis espagnols devrait donc plutôt nous inspirer : à quand un concert d'Alan Silvestri ou de Hans Zimmer en France ? Reste à trouver des passionnés capables de s'y investir pour l'organiser...
L'événement majeur de cette seconde édition du festival SONCINEMAD de Madrid était bel et bien le concert d'Alan Silvestri, un événement majeur pour le public mais aussi pour le compositeur puisque c'est une première pour lui.
Après plusieurs jours de répétitions avec l'orchestre, Alan Silvestri a entamé les répétitions générales de bon matin le samedi 30 juin 2007 jusqu'au milieu de l'après-midi, au Teatro Monumental de Madfrid, en compagnie du Philarmonia Orchestra et des chœurs de la RTVE (pour un total avoisinant tout de même les 120 musicien). Nous avons eu l'occasion de croiser très brièvement le compositeur quelques minutes avant le début du concert. Plongé dans ses partitions avec un très grand sérieux, Silvestri n'en demeurait pas moins accessible bien qu'un peu tendu (c'est la première fois qu'il donne ses musiques en concert). Au programme : quelques grands monuments d'Alan Silvestri (Retour vers le Futur, Mummy Returns, Judge Dredd, etc.) mais aussi des partitions plus douces et intimes (Fools Rush In, Contact, Forrest Gump, Cast Away, etc.), une alternance heureuse qui apporta une diversité d'écoute absolument savoureuse, le tout dirigé par Alan Silvestri en personne.
Le concert débute à 21h00 au son de Retour vers le Futur III. Le public, déjà fébrile, vibre au son des premières notes de l'une des partitions phares composée par Alan Silvestri en 1990 pour le dernier opus de la célèbre trilogie de Robert Zemeckis. L'orchestre, vivant et énergique, exécute le morceau sans le moindre accroc. Mention spéciale au pupitre des cuivres et des percussions, particulièrement survitaminés et actifs ce soir là. Triomphe total dès la fin du morceau : le public applaudit très chaleureusement le compositeur et les musiciens dès la fin du premier morceau – d'où le choix judicieux de commencer par l'une des partitions mythiques du compositeur en ouverture du concert. Dès la seconde pièce, l'ambiance change totalement dans la salle : Silvestri dirige un morceau de Fools Rush In, comédie romantique datant de 1997 avec Salma Hayek et Matthew Perry. Le charme et la simplicité de cette musique conquit d'emblée le public. Seule ombre au tableau : le guitariste qui se trouve au fond de l'orchestre du côté des cordes et devant la harpe et le piano est très mal insonorisé : résultat, sa partie est quasiment inaudible, suivant où l'on se situe dans la salle : dommage ! Parmi les solistes mis en avant, on a aussi pu entendre un saxophone très romantique d'esprit, comme Silvestri les affectionne tant (c'est un de ses instruments fétiches). Là aussi, le public applaudit chaleureusement bien qu'avec moins d'ardeur que pour le spectaculaire Retour vers le Futur.
La troisième pièce nous permet d'entendre une facette plus humoristique et joyeuse des musiques de comédie d'Alan Silvestri. Mouse Hunt démontre plus que jamais tout le talent du compositeur pour manier des mélodies de qualité tout en accordant un côté irrésistiblement ludique à sa musique. Partition de comédie majeure dans la carrière du compositeur, Mouse Hunt est là aussi interprété avec succès par l'orchestre, avec son excellent thème de basson sautillant qui rappelle Tchaïkovski. Les musiciens s'en sont véritablement donnés ici à cœur joie sur cette musique. Mais le premier climax du concert est atteint ce soir là avec l'hallucinante suite du monumental Judge Dredd confectionnée par Silvestri spécialement pour ce concert. Pendant plus de dix minutes, Silvestri résume l'essentiel de sa partition avec un orchestre totalement déchaîné et des chœurs faisant leur apparition pour la première fois du concert. Résultat inoubliable : l'intensité de cette suite déchaîne le public qui fait une standing ovation impressionnante juste après la dernière note de Judge Dredd : que ce soit la majestuosité des choeurs, les percussions martiales spectaculaires ou son incroyable thème héroïque entêtant, nul n'est insensible ce soir là aux charmes de l'un des plus grands chef-d'œuvres d'Alan Silvestri, une partition de maturité pour le compositeur crée en 1995 pour le film de Danny Cannon avec Sylvester Stallone dans la peau du juge Dredd (inspiré d'un célèbre comics book américain). L'orchestre et les chœurs véhiculent un véritable souffle épique à travers la salle, porté d'une main de fer par un Silvestri qui dirige son morceau à la perfection, retranscrivant avec sobriété chaque nuance, chaque sensation rythmique, chaque couleur instrumentale. On y retrouve aussi certaines des meilleures formules musicales chères au compositeur : "mouvements d'accords parfaits mineurs à la tierce" (la signature d'Alan Silvestri !), ostinato rythmique martelé de façon obsédante, motif rythmique de 2 notes, etc. Le public fait une telle ovation à Silvestri et ses musiciens qu'il faut un peu de temps pour que la salle retrouve le calme.
Heureusement, Alan Silvestri enchaîne rapidement les morceaux, de tel sorte à ce qu'il n'y a jamais de coupure trop nette entre chaque pièce du concert. Retour au calme avec le magnifique Contact qui permet de respirer avant le superbe The Quick and the Dead (Mort ou vif) dans lequel il est là aussi très difficile de percevoir clairement le guitariste au fond de l'orchestre. Moins impressionnant qu'un Retour vers le Futur ou qu'un Judge Dredd, la musique composée par Silvestri pour le western de Sam Raimi avec Sharon Stone et Gene Hackman fait aussi une certaine impression sans laisser pour autant un souvenir impérissable. La première partie du concert se conclut avec le très beau Father of the Bride, autre partition de comédie romantique majeure d'Alan Silvestri et qui fleure bon l'ambiance des festivités de mariage, avec ses clins d'oeil malicieux à la célèbre marche nuptiale de Richard Wagner.
On entame directement la seconde partie du concert avec une autre partition monumentale d'Alan Silvestri : le colossal The Mummy Returns. L'orchestre et les chœurs s'unissent pour nous offrir l'un des moments forts du concert. Le public est conquis une fois de plus : Silvestri triomphe avec cette partition grandiose que l'orchestre exécute avec une très grande énergie. Seule ombre au tableau : quelques légers couacs du côté des cors (il faut dire qu'il fait très chaud sous les spots au dessus des musiciens). Alan Silvestri est déjà couvert de sueur lors de cette partie du concert. On peut donc s'imaginer sans mal que certains instruments à vent muni d'une embouchure comme les cors ou les trompettes soient plus délicats à jouer sous l'effet de la chaleur. On reste dans l'aventure épique avec Night at The Museum dans lequel on retrouve une association orchestre/chœur d'une efficacité redoutable qui fait là aussi son petit effet auprès du public.
Séquence émotion enfin avec Cast Away (Seul au monde) , composé pour le magnifique film de Robert Zemeckis avec un Tom Hanks échoué en plein milieu d'une île déserte. Le hautbois solo semble à son tour perdu en plein milieu de l'orchestre qui l'écoute attentivement tout comme le public, la salle se recouvrant soudainement d'un silence quasi religieux alors que le hautboïste entame son solo mélancolique et émouvant. Cast Away est à son tour chaleureusement applaudit pour sa très grande émotion et sa sobriété exemplaire qui conquit le public.
Puis, petite surprise, Silvestri adresse brièvement quelques mots aux spectateurs : "Do you like Christmas ?" (Aimez-vous Noël ?), et c'est l'un des autres grands moments du concert : la magnifique suite de The Polar Express, emmené par un orchestre survolté et des chœurs grandioses. Pendant plus de six minutes, le public se sent revenir plusieurs mois en arrière à l'époque de Noël, plus particulièrement lorsque les choristes entamèrent des "pam pam pam" malicieux sur fond de clochettes de Noël. Les mélodies joyeuses et gracieuses du compositeur cohabitent avec le plaisir qu'expriment clairement les musiciens lors de l'interprétation du morceau.
Enfin, deux pièces majeures concluent le concert : tout d'abord, l'inoubliable Forrest Gump qui fait vibrer toute la salle avec son émotion chaleureuse et sa grande sobriété, et enfin, en avant-première mondiale, une suite tirée de la toute dernière partition composé par Alan Silvestri pour le nouveau film de Robert Zemeckis : Beowulf (dont la sortie est prévu pour décembre 2007). Un souffle épique traverse l'ensemble de la salle, en particulier lorsque les musiciens entament l'époustouflante marche principale de la partition, dans la lignée de The Mummy Returns ou Judge Dredd. Le morceau déclenche une certaine hystérie parmi le public, qui fait une standing ovation incroyable pour Alan Silvestri et les musiciens de l'orchestre. Le compositeur – qui, ce soir là, mouilla sa chemise - retire alors sa veste et remercie chaleureusement son public, visiblement très ému et aussi très étonné par les réactions extrêmement enthousiastes des spectateurs (certains sifflent comme pour un concert de rock !). Alan Silvestri ne devait certainement pas s'attendre à un tel succès, mais son concert est tellement acclamé qu'il parvient même à faire oublier les déjà très impressionnantes standing ovation du concert symphonique de Trevor Jones l'année passée à Madrid.
Malgré quelques légers couacs mineurs et un problème de sonorisation pour la guitare, l'orchestre et les choeurs exécutèrent la musique de Silvestri avec une énergie incroyable et un certain plaisir. Il suffisait de voir par exemple le sourire des choristes durant certains passages plus joyeux et légers du concert pour comprendre à quel point le compositeur était parfaitement en phase avec ces musiciens ce soir là ! Malgré un programme très ambitieux revu à la baisse au dernier moment (Van Helsing et Predator furent annulé – dommage aussi que The Abyss et Roger Rabbit ne furent pas interprétés !), les musiciens nous ont livré une performance remarquable, avec un Silvestri visiblement radieux et rayonnant bien que très fatigué à la fin du concert. Quelques mots échangés brièvement avec le compositeur dans les loges nous permirent d'achever cette soirée désormais mythique sur une forte impression d'accomplissement : celui d'avoir vu pour la première fois en concert l'un des plus talentueux compositeurs de musique de film atteindre une reconnaissance plus que méritée de la part d'un public totalement conquis.
1. Back to the Future
2. Fools Rush In
3. Mouse Hunt
4. Judge Dredd
5. Contact
6. The Quick and the Dead
7. Father of the Bride
9. Night At The Museum
10. Cast Away
11. The Polar Express
12. Forrest Gump
13. Beowulf (avant-première)
Entracte
8. The Mummy Returns
Durée : environ 1 h 30.
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)