Cinezik : D'où vous vient ce désir de restaurer les films de Jacques Tati et comment vous procédez ?
Macha Makeieff : On se bat avec Jérôme pour que les films soient restaurés mais aussi pour que l'art de Jacques Tati soit redécouvert en insistant beaucoup sur la modernité de ce cinéaste et sur sa beauté plastique. Dans l'actualité, il y a eu cette exposition à la Cinémathèque française où j'ai eu le plaisir de faire la scénographie. Et puis on essaie d'avoir une ligne éditoriale des films, sans précipitation, en demandant aux artistes de s'exprimer sur ce que Tati représente pour eux. Ce qui m'importe de montrer, c'est qu'on peut travailler sur une oeuvre comique, sans oublier l'élégance et la beauté.
Jerôme Deschamps : Tati, homme de Music-Hall avant d'être un homme de cinéma, doutait tout le temps sur ses films, il a fait des versions différentes de chacun de ses films. Pour la présentation des VACANCES DE MONSIEUR HULOT, il s'agit en premier lieu de présenter la dernière version que Tati a voulu, la dernière qu'il a aimé.
M.M : Cette restauration ne vient pas comme une restauration solennelle d'un monument du patrimoine mais s'inscrit exactement dans le "Working progress" qu'aimait Tati, c'est à dire revenir sur les films sans arrêt, les améliorer artistiquement, mais lui qui était fou de technologie, il aurait été heureux de voir la qualité du son aujourd'hui, au plus près de ce qu'il a rêvé. Jamais nous ne prenons la moindre liberté. Nous sommes au plus près de la version qu'il a défendue. Mais c'est vrai que la technologie fait de telle progrès et que Tati était fou de cela.
J.D : La restauration, ce n'est pas monter le film dans un autre sens parce que je trouve cela mieux aujourd'hui alors que le cinéaste a disparu. Ce serait scandaleux. Il s'agit d'un travail technique, complèxe, qui exige une déontologie d'une certaine façon.
M.M : Ca va être un été Tati ! On aime bien cette coincidence avec la sortie du film restauré le 1er juillet et les vacances, dans la perspective d'une sensualité des tons, avec ce noir et blanc fabuleux.
On sait que Tati travaillait minutieusement les bandes sonores de ses films...
J.D : En effet, il joue avec le sons, il nout met un son très proche d'un élément lointain, il y a tout un vocabulaire sonore extraordinaire.
M.M : Il y a une conception d'architecture du son. Il déplace les sons. Il surprend notre oreille, donc il surprend notre regard. il y a une science de ce qui se passe avec le regard lorsque le son est déplacé. Il a une maitrise et une fantaisie de la spatialité. Il n'est pas dans le réalisme. Il réinvente les sons. Dans LES VACANCES DE MONSIEUR HULOT, il y a un raffinement où chaque objet a une identité, non seulement le personnage mutique qui exprime des choses par son corps, sa voiture, la partie de ping pong, et des surprises sonores sur les discours à la plage, en s'amusant de la solennité politique. Le son raconte cette époque proche de la guerre, époque vue par le regard d'un poète.
Et quel est le travail sur la restauration du son pour restituer toute cette science de l'espace sonore ?
M.M : Il y a des indications de Tati tellement précises, il ne laissait rien au hasard. Il y a donc des cahiers qui contiennent la mécanique des sons, leur placement... il suffisait de garder cette architecure à l'esprit, avec la restitution d'une certaine qualité du son, comme avec l'image et la lumière.
J.D : Tous les moyens de diffusion ont changé en plusieurs dixaines d'année, le son est diffusé autrement, la chaine du son est différente. On a donc nettoyé des défauts ininteressants. La ronflette dans la scène du restaurant n'avait aucun intérêt. Est-ce que Tati a souhaité ce bruit ? Certainement pas. C'est juste un défaut. Si Tati avait eu la capacité de le faire disparaitre il l'aurait fait.
M.M : C'est comme si on enlevait la poussière, comme si on soufflait dessus. Alors techniquement cela est plus raffiné. L'idée n'est pas d'intervenir mais de laisser faire le mouvement technologique.
Qu'en est-il de la musique ?
J.D : Elle n'a pas du tout bougé évidemment, mais elle est plus belle à entendre, elle a pris plus de force, de clarté. On n'a pas changé les équilibres. C'est un peu comme si on avait débouché le film.
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