réalisée par Clément Fontaine en novembre 2010
- Publié le 18-01-2011On retrouve Raymond Alessandrini au générique de six films de Jean-Charles Tacchella, incluant TRAVELLING AVANT, L'HOMME DE MA VIE et LES GENS QUI S'AIMENT, une de ses dernières partitions qui date de 1999. Sa vaste expérience lui a permis d'aborder avec bonheur une grande diversité de genres, de la comédie satirique DEUX HEURES MOINS LE QUART AVANT JÉSUS-CHRIST de Jean Yanne au drame de dimension épique avec des téléséries comme LES COLONNES DU CIEL, FABIEN DE LA DRÔME et FÉLICIEN GREVÈCHE, en passant par la réédition de classiques du cinéma muet tel L'HIRONDELLE ET LA MÉSANGE.
Quelle est votre formation musicale et comment s'est fait votre premier engagement pour le cinéma ?
Ma formation est celle de la plupart des musiciens classiques, se finalisant par un premier prix de piano en 1966, de musique de chambre en 1967, auxquels s'ajoutent des études approfondies en écriture musicale. Le tout dans la rigueur caractéristique des enseignements dispensés au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris dans ces années.
Par la suite, débute ma carrière en tant que soliste, couplée à celle d'enseignant titulaire de piano, poste que j'occupe encore actuellement. L'année 1969 va être un tournant dans ma carrière. C'est celle de ma rencontre avec Michel Magne, rencontre qui va marquer le début de notre collaboration puisque je deviens son orchestrateur. À partir de là, les portes des studios parisiens s'ouvrent et très vite, je suis demandé comme pianiste pour différents compositeurs de musique de film, notamment Elmer Bersntein, Lalo Shiffrin, Georges Delerue et bien d'autres encore. C'est au fil de ces précieuses années que j'ai pu observer le travail de tous ces musiciens et que j'ai pu apprendre les subtilités de l'écriture musicale pour le cinéma. Mais mon désir de composer des musiques de film s'est pleinement révélé et affirmé grâce à mon travail au côté de Georges Delerue. C'est d'ailleurs par son intermédiaire que j'ai obtenu mon premier engagement pour un film de télévision, Les Joies de la famille Pinelli, lui-même ne pouvant l'honorer puisqu'il venait de s'installer à Los Angeles.
Vous avez cessé de composer pour l'image il y a une dizaine d'années. En dehors de l'enseignement, parlez-nous de vos autres activités dans le domaine de la musique.
Durant toutes ces années je n'ai jamais cessé complètement mes activités de pianiste classique. Mes valeurs artistiques et humaines sont vraiment ancrées dans cet univers plein de rigueur et de poésie. Lorsque vous êtes sur scène, il n'y a pas de tricherie possible : vous êtes bon et crédible, ou vous n'êtes rien. En tant que compositeur, outre les demandes d'orchestration et d'arrangements musicaux, j'éprouve une grande joie à créer et à écrire pour des commandes venant de chef d'orchestre, de directeurs et de compagnies de théâtre, de groupes de musique de chambre ou de solistes vocaux et instrumentistes divers.
Votre patronyme et le style de certaines de vos musiques suggèrent que vous avez un peu de sang italien. Est-ce le cas ?
En vérité, je suis né en Allemagne, d'une mère allemande et d'un père gréco-italien, ce qui explique donc les résonances de mon « patronyme » et peut-être, effectivement, celles de mes choix musicaux. La diversité des cultures dans lesquelles j'ai baigné durant toute mon enfance m'ont permis d'être très à l'aise dans ce domaine.
Certains compositeurs se sont plaints de manquer de moyens pour l'enregistrement de leur musique de film dans la France des années 1980. Pour votre part, avez-vous dû insister auprès des éditeurs pour réunir des effectifs suffisants ? Vous accordait-on suffisamment de temps pour faire votre travail ?
En fait, tout cela a été un combat permanent ; à tel point que j'ai dû très vite renoncer à être payé pour l'écriture, préférant ré-injecter cet argent pour avoir l'effectif orchestral que j'avais en tête au départ. Au début des années 80, je pouvais avoir un orchestre de 70 musiciens ; 15 ans après, je devais me contenter d'un quatuor à cordes, renforcé par des machines, ou aller enregistrer à Prague (bien moins onéreux). Quant au temps, mis à part de très rares exceptions, il n'y en a jamais assez. On vous sollicite généralement au dernier moment ; après quoi, vous devez faire la plus belle musique du monde - dans les trois ou quatre semaines qui suivent - et surtout, la moins cher possible ! En France on budgète tout avant le tournage d'un film, à l'exception de la musique, car celle-ci est trop souvent considérée comme un accessoire sans réelle valeur, mais dont on ne peut pas se passer.
On ne décèle aucune différence qualitative entre vos partitions de cinéma et celles pour le petit écran. Ces dernières comptent même parmi les plus spectaculaires. Là encore, plusieurs de vos compatriotes ont déploré les mauvais conditions de travail dans le milieu de la télévision. Avez-vous été simplement plus "chanceux" que d'autres ?
Oui, j'ai eu la chance d'avoir été soutenu par certains cinéastes de télévision, mais de manière très brève, compte tenu du contexte économique. Il est vrai aussi que je n'ai jamais voulu différencier le cinéma de la télévision. Le travail et les contraintes du compositeur restent identiques et mon esprit de créativité, quant à lui, ne se limite pas à la seule dimension de l'écran.
En d'autres termes, si un film ne m'inspirait pas ou disons le carrément, me semblait mauvais, je redoublais d'effort pour produire un rendu musical et sonore encore plus parlant et expressif. Malheureusement, on constate depuis quelques années, sauf cas
rares de superproductions européennes, que les conditions de travail pour la télévision française sont devenues déplorables. De nos jours, j'ai la nette conviction qu'on fait la part belle au bénéfice, au profit qu'on peut tirer du produit final et à moindre frais, au détriment de la qualité et du rendu artistique global de l'œuvre. Ajouté à cela, se pose la question de l'authenticité de l'artiste et de sa création. La perversité de la technologie aidant, n'importe quelle personne un peu avertie des dernières tendances et connaissant le fonctionnement de ces nouveaux outils, peut se prétendre compositeur.
Est-ce que les réalisateurs en général vous ont donné carte blanche pour la composition ou deviez-vous plier à des directives précises ?
« Carte blanche » est une expression qui n'existe pas dans le cinéma. Il y a toujours des directives, des souhaits, des désirs ou des fantasmes, et c'est normal. La difficulté réside plutôt dans la formulation de ces souhaits, car comment décrire une couleur, un style, un climat, si le réalisateur n'a pas suffisamment de connaissances et de repères musicaux. Rares sont les cinéastes ou les producteurs qui possèdent une véritable culture musicale. Cela peut engendrer bon nombre de malentendus et de conflits. Nous devons déployer des trésors d'imagination pour comprendre les désirs et les souhaits des commanditaires.
Vous n'avez pas le même profil artistique que Michel Magne, le collaborateur habituel du réalisateur Jean Yanne pour la musique. Comment avez-vous été amené à travailler avec Yanne pour un projet comme "Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ" ?
C'est en 1975 que j'ai rencontré pour la première fois Jean Yanne, en plein tournage du film Chobizenesse. Michel Magne m'avait recommandé à lui pour la création d'une partie de la musique, qui consistait en une parodie dans le style de J.S. Bach.
Pour Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ, c'est une tout autre histoire. Un jour de canicule, je me trouvais en plein Paris accompagné de ma fille de quatre ans, qui avait une brusque et irrésistible envie de manger une glace. Le premier salon de thé repéré, nous y pénétrons et là, à ma stupéfaction je me trouve nez à nez avec Jean Yanne que j'avais perdu de vue depuis Chobizenesse. S'ensuivent alors des retrouvailles chaleureuses, à l'image du personnage, et des questions du genre : « Comment vas-tu ? - Que deviens-tu ? - Est-ce qu'éventuellement tu serais intéressé de faire la musique de mon prochain film ? », etc, etc.... Voilà comment une simple demande de glace m'a amené à collaborer pour Deux heures moins le quart avant J.C. Quant à l'esprit et au style de cette partition, je précise que Jean Yanne affectionnait particulièrement l'univers de la parodie et de l'anachronisme musical. Ce sont les deux concepts qui le faisaient rire le plus.
Vous vous êtes particulièrement distingué dans la composition de musique pour des classiques du cinéma muet restaurés par la Cinémathèque française. Comment êtes-vous entré en relation avec ce milieu spécialisé ? Etes-vous encore aujourd'hui appelé à diriger vos musiques lors de la projection de ces oeuvres ?
Ici encore, c'est sur la recommandation de Georges Delerue que j'ai pu écrire les quatre partitions des films muets, parmi lesquels Les Rapaces (Greed) d'Eric von Stroheim et Un Chapeau de Paille d'Italie de René Clair. Il m'arrive fréquemment d'être sollicité pour diriger ou interpréter ces musiques en direct, pendant la projection du film.
La voix humaine est rarement utilisée dans vos musiques de film, que ce soit sous forme de choeur ou de chanson. Est-ce un choix esthétique ou considérez-vous que vos musiques ne s'y prêtaient tout simplement pas ?
Écrire une chanson est un métier à part entière ; métier qui n'est pas le mien. C'est aussi un choix esthétique, d'autant que les films sur lesquels je travaillais ne s'y prêtaient guère ; en dehors de Deux heures moins le quart avant J.C., bien sûr, fait en collaboration avec Jean Yanne.
Dans les années 1980, est-ce que la rémunération du compositeur était encore uniquement tributaire du rendement du film au box office ou si vous aviez une rémunération de base fournie par la production et/ou l'éditeur de la musique ? Et qu'en était-il pour la télévision ?
Pour le cinéma, la rémunération consistait effectivement en un tout petit pourcentage par billet d'entrée. Pour la télévision, la rémunération se faisait à la minute de diffusion de la musique, à partir de tarifs très variables et compliqués, suivant la notoriété de la chaîne et l'heure de la diffusion.
Quelle a été votre expérience de travail la plus agréable et la plus valorisante dans le domaine ?
Probablement celle en collaboration avec la Cinémathèque française et en particulier avec Henri Colpi (1921-2006), cinéaste et monteur de grand talent. Notre travail sur L'Hirondelle et la Mésange reste le souvenir le plus marquant. Ce film d'André Antoine, tourné en 1920, lui avait été confié par la Cinémathèque pour en effectuer le montage, jamais fait auparavant. Par ailleurs, il s'est rendu célèbre en tant que réalisateur avec Une aussi longue absence, Palme d'Or à Cannes en 1961, et n'oublions pas ses montages d'Hiroshima mon amour d'Alain Resnais, Un Roi à New York de Charlie Chaplin et j'en passe... Oui, j'ai beaucoup aimé travailler avec Henri Colpi, c'était un homme adorable et passionnant.
Plusieurs amateurs de musique de film français considèrent que le passage à Hollywood constitue une étape essentielle dans l'évolution de la carrière leurs meilleurs compositeurs. Auriez-vous été tenté de suivre ce modèle ?
Naturellement j'y ai pensé, surtout pour les moyens financiers accordés et le professionnalisme des maisons de production américaines. Probablement aurais-je pu y réaliser mes fantasmes musicaux de grosses formations orchestrales. Mais les circonstances de ma vie ne m'ont pas donné cette opportunité à l'époque.
Dans votre enseignement, êtes-vous amené à parler des particularités de la musique de film et à préparer une relève en ce domaine ?
Jamais. Tout d'abord, cela ne m'a jamais tenté ni intéressé. D'autre part, j'ai trop vu de jeunes fantasmer sur ce métier, alors même qu'ils ne possédaient aucune cohérence musicale, et encore moins de prédisposition particulière dans ce domaine... Se prétendre compositeur sans savoir écrire, me semble être une ineptie intolérable ; mais ce n'est là que mon opinion personnelle. Peut-être suis-je trop puriste ?
Que pensez-vous de la musique qu'on entend au cinéma de nos jours, que ce soit dans la production française ou à l'étranger ?
J'ai souvent l'impression d'entendre la même chose. Cependant, je dois avouer être un grand admirateur de compositeurs comme John Williams, Danny Elfman ou Alex North, entre autres... En France, je suis très impressionné par le travail du jeune compositeur Philippe Rombi, au savoir-faire brillant et toujours en adéquation avec le climat du film.
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