Pour encourager l'aide à la reconstruction des zones sinistrées au Japon, suite aux tragiques évènements du 11 mars, Joe Hisaishi donne une série de concerts à Tôkyô, Ôsaka, Paris et Pékin respectivement les 9, 18, 23 juin et 9 juillet.
Les fonds récoltés par le projet : Joe Hisaishi 3.11 Charity Concert The Best of Cinema Music sont investis dans des instruments musicaux pour les enfants des régions touchées par le drame. « En plus d'apporter des dons personnels, je souhaite transmettre aux enfants, perdus, l'envie de jouer des instruments », témoigne l'artiste. Au cours de ses représentations, le musicien, accompagné d'un orchestre et d'un chœur composés de 250 personnes, interpréte les titres qu'il a composé pour les films Ghibli (Nausicaä de la vallée du vent, Princesse Mononoké et Ponyo sur la Falaise), les films de Takeshi Kitano (Brother, Hana-Bi et L'été de Kikujiro) ou encore les films Departures et Villain.
Depuis la disparition du regretté festival musique & cinéma d'Auxerre, qui avait vu jouer Maurice Jarre, Eric Serra, Michel Legrand, Vladimir Cosma, Ennio Morricone ou John Barry au cours des années 2000, il faut bien avouer que la musique de film s'est fait rare dans les salles de concert françaises, à l'exception des quelques initiatives d'orchestres amateurs (toujours à saluer) ou des quelques concerts de Laurent Petitgirard avec l'orchestre Colonne (qui consacrera d'ailleurs en juin 2012 un programme complet à John Williams, à la salle Pleyel).
C'est donc peu de dire que le passage de Joe Hisaishi à Paris était un événement, d'autant plus dans le cadre d'une tournée caritative ne comptant que 3 autres dates : une à Tokyo, une à Osaka, et une à Pékin. Paris était donc la seule date en occident de cet événement destiné à recueillir des fonds en faveur d'associations d'aide aux victimes du tsunami du 11 mars 2011 qui a frappé le Japon. Il s'agit cependant du deuxième concert européen de Joe Hisaishi en 2011, puisqu'il a donné un concert en Pologne au mois de mai.
Il fallait bien le Zénith de Paris pour accueillir les très nombreux fans du compositeur, en majorité des amateurs de culture japonaise (et en particulier des oeuvres de Hayao Miyazaki, qui bénéficie aujourd'hui en France d'une immense popularité, surtout auprès des 20-30 ans). La salle parisienne était donc remplie de 3500 personnes déjà acquises à la cause. Et Joe Hisaishi de se présenter lui-même en français : "Bonjour, je suis Joe Hisaishi, du Japon" et de nous assurer en japonais : "Merci d'être venus aussi nombreux, je vais faire de mon mieux !" avant d'enchaîner sur le premier grand moment du concert, une suite symphonique de près de dix minutes consacrées à NAUSICAA DE LA VALLE DU VENT de Miyazaki (1984), sa première grande partition symphonique, aujourd'hui encore un classique, alternant motifs médiévaux et lyrisme grandiloquent, évoquant avec ferveur la poésie de la nature selon Miyazaki :
S'en suit une très belle suite symphonique de PRINCESSE MONONOKE, dont la première partie est composée de l'un des plus saisissants tours de forces musicaux de Joe Hisaishi : le morceau d'action "Tatari-Gami" illustrant le premier affrontement d'Ashitaka avec le démon-sanglier Nago, peu représenté dans le score du film mais très impressionnant dans sa version synthétique de l'Image Album (CD de maquettes paru quelques mois avant la sortie du film). Le Star Pop Orchestra, formation symphonique jeune et dynamique, retranscris à merveille la furie de cette séquence et le lyrisme des thèmes du film. On sent les musiciens conquis et investis. Voici la vidéo de ce passage :
On assiste ensuite à un mini ciné-concert, avec deux extraits du film muet de Buster Keaton, LE MECANO DE LA GENERAL (1926) pour lequel le compositeur japonais a composé une musique originale en 2003. Une musique très mélodieuse et rythmée, colorée, romantique et nostalgique, qui comporte aussi son lot d'action. En voici un extrait :
L'autre cinéaste mondialement reconnu (et primé) auquel Joe Hisaishi fût attaché, outre Hayao Miyazaki, est bien sûr Takeshi Kitano, avec qui il "divorça" à la suite de DOLLS (2002), après une collaboration de dix ans et sept films. Parmi ceux-ci, KIDS RETURN (1996), HANA-BI (1997), L'ETE DE KIKUJIRO (1999), et ANIKI MON FRERE (2001), quatre partitions incontournables de Joe Hisaishi dont des extraits étaient joués à Paris. Des musiques plus introspectives, décalées, mélancoliques, qui atteignent toutefois par moment le lyrisme des partitions du maître pour Miyazaki, mais aussi une certaine insouciance, comme dans le sautillant thème de Kikujiro ("Summer"), qui a enthousiasmé toute la salle (preuve qu'il n'y avait pas que des amateurs de dessins-animés, mais aussi des fans de Kitano !).
On a pu entendre ensuite le fruit d'une autre collaboration, cette fois plutôt méconnue, avec le réalisateur et comédien chinois Jiang Wen. Joe Hisaishi a joué deux musiques de ses films : THE SUN ALSO RISES (2006), et LET THE BULLET FLY, avec images à l'appui, montrant un étonnant cocktail de cascades fantaisistes. Le compositeur japonais délivre ici des thèmes d'aventures populaires et enjoués qui n'ont rien à envier au classicisme d'un certain John Williams ou l'efficacité d'un Hans Zimmer. Une vraie découverte, qui nous conforte dans l'idée que Hisaishi est un immense compositeur mélodique. Ce programme révèle une évidence : il est l'un des derniers grands maîtres de la musique de film symphonique traditionnelle, avec un authentique amour des thèmes et des orchestrations limpides et raffinées.
Après un court entracte, le programme se poursuit avec “Merry-go-round”, le morceau final du CHATEAU AMBULANT de Hayao Miyazaki (2004), suivi d'un extrait de la musique du film dramatique et musical DEPARTURES (Oscar du meilleur film étranger en 2008), racontant l'histoire d'un violoncelliste qui accompagne les gens vers la mort par la musique.
Quatrième film de Miyazaki représenté, LE VOYAGE DE CHIHIRO nous replonge dans le lyrisme débridé du maître de l'animation japonaise, avec extraits du film à l'appui. Après un bref retour à la musique dramatique, avec la partition du film AKUNIN (2010), Joe Hisaishi fait revenir les choeurs sur scène pour terminer son programme avec une suite symphonique inspirée de sa partition pour PONYO SUR LA FALAISE (2009), dernier film en date de Hayao Miyazaki. C'est une nouvelle fois l'extase et l'émerveillement dans le public, avec une partition parmi les plus complexes de son auteur, où se côtoient références à Wagner (subtile inspiration des Walkyries, à la demande du cinéaste), harmonies complexes, et thème juvénile d'une évidence fantastique, qui se transforme naturellement en chanson (reprise en choeurs !), rappelant ainsi le premier film sur l’enfance de Miyazaki, MON VOISIN TOTORO, qui fût son premier grand succès au Japon et qui a depuis conquis le public international. Voici un extrait de la suite de PONYO SUR LA FALAISE :
Bien sûr, même si l'on sent le public conquis, Joe Hisaishi ne pouvait en rester là. Il ajoutera deux morceaux en rappel. Le premier est une très belle reprise de PRINCESSE MONONOKE, synchronisée sur des séquences de la fin du film, où l'on voit des images de la nature et de la civilisation qui renaît après une nuit d'apocalypse où le dieu-cerf a bien failli disparaître, et son pouvoir magique avec. Joe Hisaishi est au piano, illustrant des images de végétaux qui retrouvent leur vigueur, des forges inondées que l'on reconstruit, d'animaux qui reconquièrent la forêt. Des images très évocatrices signées Hayao Miyazaki, qui symbolisent naturellement la volonté de reconstruction des japonais après la catastrophe du 11 mars 2011. Une volonté de reconstruire ensemble, en harmonie avec la nature, idée qui traverse toute l'oeuvre du cinéaste japonais et bien sur l'oeuvre musicale du compositeur. Après avoir frôlé le pire, les personnages se relèvent fièrement et contemplent leur avenir, avec un mélange de patriotisme et de solidarité typiquement japonais. Etonnant moment d'émotion, qui nous rappelle le but de ce concert qui est, il faut le rappeler, de soulever des fonds pour aider à la reconstruction, et à l'éducation musicale des enfants des zones sinistrées.
Après deux heures de concert, Joe Hisaishi gratifie le public, en guise d'adieu, de son hit incontournable, fredonné depuis plus de vingt ans par de nombreux japonais (enfants comme adultes d'ailleurs !) : MON VOISIN TOTORO (1988). Premier gros succès de Miyazaki sans son pays, le film est devenu l'emblème du studio Ghibli et symbolique de l'oeuvre du cinéaste, explorant à travers le regard de deux gamines une histoire intimiste (la maladie de la mère) se mêlant à un mythe écolo (les Totoros, créatures à poils doux gardiennes de l'écosystème). C'est là encore, après NAUSICAA et PONYO, l'occasion de solliciter le choeur d'enfants, pour le plus grand plaisir du public, qui ne cache pas son enthousiasme dans un délire d'applaudissements et de cris de joie. Et Joe Hisaishi de partager cette bonne humeur ambiante en dirigeant l'orchestre en sautillant, vigoureux et enjoué, le sourire aux lèvres, communiquant son plaisir avec les musiciens et le public. On peut en voir un extrait dans cette vidéo mise en ligne par un spectateur :
Un vrai grand moment de joie musicale, qui aura fait passer les spectateurs par toute une palette d'émotions, avec comme fil rouge le style unique et reconnaissable entre mille de Joe Hisaishi, qui s'affirme ici plus que jamais comme un compositeur incontournable, l'un des derniers grands maîtres du genre, compositeur de musiques de cinéma populaires mais exigeantes, aux qualités musicales irréprochables (les orchestrations sont toujours d'un grand raffinement même quand la mélodie paraît simple). Il nous est apparu ce soir l'évidence qu'on peut le comparer, dans son approche dramaturgie, musicale et populaire, à John Williams ou Ennio Morricone. Joe Hisaishi est non seulement le plus grand compositeur de cinéma japonais encore vivant mais c'est aussi simplement l'un des maîtres de la musique de film moderne.
Il était grand temps de s'en rappeler grâce à ce concert. Il est regrettable qu'il eût fallu une catastrophe naturelle pour motiver Joe Hisaishi à venir jouer en France, mais voilà maintenant cette lacune comblée. Et les spectateurs aussi.
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