Un ciné-concert est toujours une question de rencontre et de confrontation, entre deux époques (une musique originale d'aujourd'hui et une oeuvre cinématographique qui la précède), entre deux moyens d'expression (l'image d'un côté, la musique de l'autre), et deux univers d'auteur différents.
D'un côté, il y a le film. PINK NARCISSUS est l'unique film de James Bidgood, connu pour être photographe de la culture gay américaine. Cet aspect photographique est prégnant dans le film avec un souci visuel constant, au dépend d'une narration reléguée au second plan (que l'on pourrait résumer ainsi : un éphèbe vendant son corps à des clients de passage erre entre désirs et fantasmes). Le réalisateur photographe instaure un univers flottant, onirique, multicolore, érotique, où les symboles et métaphores font sourire par leur aspect kitsch et désuet, mais dont la beauté des plans ne cesse de sidérer. Le spectateur, quelque soit le genre et l'objet de ses désirs, est happé par ces scènes de sublimation des corps et des images ("Narcissus", sublimer l'image de soi), rappelant les poèmes expérimentaux de Kenneth Anger.
Dans ce contexte où les images créent par leur pouvoir poétique leur propre musique, le rôle de la musique est complexe, et Tuxedomoon s'en sort admirablement. Loin de simplement illustrer ou faire pléonasme, le groupe prolonge la rêverie. Il se détache même de la partition originelle du film de 71, plus orchestrale et majestueuse, pour livrer un jazz-rock éthéré, sucré, délicieux.
Bref aperçu :
Sur scène donc, de gauche à droite sur la photo, se trouvent Steven Brown (clarinette, synthétiseur, clavier), Luc van Lieshout (trompette), Peter Principle (guitare basse), Blaine Reininger (guitare, violon).
Pendant que les images d'un jardin d'Eden ou de la Rome antique se projètent, leur proposition musicale est un enchantement, les cuivres apportent la volupté (mot qui vient tout de suite à l'esprit), tandis que la basse amène la note rythmique bien reconnaissable de leurs disques.
A ce propos, le plus plaisant, au delà d'entretenir un lien magique et enivrant avec le film, est que le groupe ne perd pas son âme, et propose la musique qui est la leur, celle que l'on a aimé sur des disques comme "The Ghost Sonata".
Ainsi, nous pouvons oublier le film et regarder un concert de Tuxedomoon, où les musiciens à l'apogée du mouvement no wave dans les 80's, séparés en 88, n'ont rien perdu de leur énergie après leur reformation en 2002. Rappelons que l'exercice d'une musique pour l'image n'est pas nouveau pour le groupe qui a pu livrer diverses BO dont un projet multimédia en 2002 ("Urban Leisure") et "Bardo Hotel Soundtrack", collaboration avec l'artiste vidéo grec George Kakanakis, en 2006. La partition pour ce ciné-concert est donc proche du style Tuxedomoon, le duo basse/cuivre fonctionne comme sur "Kubrick", morceau cinéphile de leur dernier album "Vapour Trails" (2007), rappelant la sensualité du thème cuivrée de "Twin Peaks".
Pour finir en guise de clin d'oeil à David Lynch, rappelons que Tuxedomoon a repris par le passé la chanson "In heaven" de "Eraserhead", et nous comprenons ainsi mieux ce qui a motivé ces musiciens acharnés de s'associer au film étrange de Bidgood pour le festival de l'étrange.
In Heaven - Tuxedomoon
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
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