Sandrine Bonnaire : La musique est pour moi une narration, elle fait partie d'une histoire, d'un personnage. Avec André, on a beaucoup travaillé sur cet aspect-là et d'ailleurs je le félicite vraiment parce qu'il est arrivé tard sur le projet, il a travaillé vite et bien et ce qu'il a créé est superbe. Je voulais aussi parfois que cette musique soit en suspens, qu'il y ait des silences, des notes qui restent. Il y a des choses dites mais pas avec les mots et ça venait parfois avec la musique, avec les silences, ou de la musique qui donne des silences.
Quand j'ai commencé à écrire le scénario avec Jérôme Tonerre j'avais en tête Gorecki pour une scène bien précise, celle de fin. C'est une musique qui commence lentement et qui devient chahutée puis redevient lente. J'ai écrit cette scène de fin en fonction de la musique et j'ai mis en scène en fonction du rythme de cette musique. J'avais très envie d'avoir un compositeur mais malheureusement on était dans des co-productions, on pense à des gens au départ et on se retrouve avec d'autres. Mais je suis super contente de travailler avec André car on m'avait proposé un autre compositeur avec qui le lien et la compréhension ne s'étaient pas faits. Je n'ai pas pu travailler avec cette personne, j'ai trouvé qu'il rendait le film médiocre. Mais il y a aussi des morceaux additionnels de Gorecki et Arvo Pärt.
Les films où il y a trop de musiques me gênent souvent. Je trouve que cela surligne les choses.
Pour moi, mettre de la musique sur des dialogues, ce n'est pas possible. On peut, sûrement, mais je n'aime pas. En tout cas, pas dans mes films.
André Dziezuk : On arrive, on se fond dans un son, une sonorité, une instrumentation et on tisse un canevas entre les pièces existantes. Très tôt dans le montage Sandrine et sa monteuse ont placé des pièces dans des endroits cruciaux et importants du film. Sur ce film, j'ai eu un travail particulier qui est celui de tisser des liens entre différents morceaux.
J'ai eu la chance de rencontrer Sandrine, même tard sur le film, et très vite je crois que la compréhension s'est faite, et sur peu de choses finalement, on n'a pas eu à beaucoup se parler. Les premières choses que j'avais proposées correspondaient à ce qu'elle avait imaginé pour le film et du coup on s'est retrouvé très naturellement. Les pièces les plus longues ne sont pas celles qui nous ont posé le plus de problème. En revanche, pour des petites choses très intimes, nous avions eu davantage besoin de revenir dessus, et encore aujourd'hui je suis très étonné de la manière dont cela s'est passé, parce que c'est une collaboration qui aurait pu ne pas avoir lieu. C'est un peu magique.
On pose des choses à l'image, on voit si ça fonctionne et en plus il y a ces grands guides qui sont Gorecki et Arvo Pärt qui sont placés. L'oreille est attirée et on doit trouver le lien qui marche entre les compositeurs.
Le film est fait au cordeau, donc on se demande vraiment comment entrer, et comment sortir. On s'est retrouvé avec des choses très précises. Quand je suis arrivé j'avais un cahier des charges très précis.
Sandrine Bonnaire : André est quelqu'un de très modeste, de très humble. Il y a même des passages où il me disait qu'il ne mettrait pas de musique. C'est très compliqué de parler de musique parce qu'il n'y a pas de mots. C'est au-delà de tout ça, c'est de la magie. Ca va droit au coeur, c'est viscéral.
Je voulais des cordes. Mais sinon je lui ai laissé carte blanche parce que je ne connais pas la musique. J'aime la musique, j'en écoute beaucoup, mais je ne suis pas musicienne. Je sais quand cela fonctionne ou non et je pars du principe que quand on fait appel à un créateur, on le laisse créer. Tout le monde doit être au service du projet, de l'histoire. Ca se passe presque de mots, mais il faut que l'on soit juste dans la narration et que tous le monde aille dans le même sens. Mais quand on s'entoure de gens intelligents, ça se passe presque de mots. On était plus sur des questions de rythme. Je tenais beaucoup aux silences, les suspens, j'aime aussi quand la musique s'arrête un peu, qu'elle reprend, c'est comme des souffles. Ca nous donne du plaisir, c'est plaisant quand elle revient. Et ça colle bien au film qui est peu bavard, les silences sont très importants et il y a quelque chose de vide, l'homme est un personnage qui se dépouille de tout. Il fallait une musique très dépouillée. André a aussi composé une musique magnifique qui fait peur pour la scène où Alexandra découvre William caché dans la cave, comme des fantômes qui reviennent, comme si tout valsait dans sa tête, c'est un cauchemar pour elle.
André Dziezuk : Le choix des instruments était presque donné, implicite. Sans même en parler on savait ce qu'il fallait, des instruments qui puissent rentrer avec une très grande douceur, qui puissent amener des vagues émergentes. Les cordes étaient naturelles, pour le piano c'était plus compliqué mais ça faisait écho à "Für Alina" de Pärt qui ouvre le film. Il fallait faire écho quelque part au moment où il y avait cet instant volé avec l'enfant dans la cave avec le personnage de William Hurt. C'est à ce moment-là, quand Mado découvre Jacques dans la cave, qu'il fallait amener une sorte de suspens au moment où elle va découvrir ce personnage caché. Finalement, c'était une scène très facile à écrire. C'est amusant pare que les petites choses extrêmement fines nous ont posé plus de problème mais les plus longues plages musicales, le générique de fin par exemple, c'était simple. Elle me disait juste ce qu'elle ne voulait pas, en particulier l'impossibilité d'un retour en arrière. Elle a très vite accepté le morceau. C'était un moment émouvant, j'étais vraiment en attente de ce qu'elle allait dire.
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