Jorge Arriagada : Je suis arrivé en France en 1966 où j'ai fini mes études de musique avec une bourse, et je rencontre Raoul lorsqu'il a été récompensé au Festival de Locarno en 68/69. On se retrouve à Paris, puis à Berlin, puis on fait un premier travail, COLLOQUE DE CHIENS, en 1977.
C'est quelqu'un qui vient de l'art contemporain, l'abstraction de ses films le démontre. A mon avis, ce qui l'intéressait chez moi, c'est que je venais de la musique contemporaine, avec Pierre Schaeffer notamment, et je pense que c'est ce côté contemporain qui l'intéresse.
Avec lui, je n'ai jamais réellement lu de scénarios. Raoul n'écrivait pas de scénarios, il inventait sur le tournage. Avec LE TEMPS RETROUVE, il y a Proust, et pour KLIMT il y a Klimt, mais sinon c'était de l'improvisation. On avait des références communes avec la musique classique, mais jamais avec de la musique de film. Dans LE TERRITOIRE, il voulait que je commence par la symphonie des psaumes de Stravinsky, mais après je partais où je voulais. C'était un départ, jamais l'arrivée.
Pour LE TEMPS RETROUVE et LE TERRITOIRE, j'ai composé la musique avant d'avoir vu les images. On parlait entre nous et il a toujours accepté ce que je faisais, il tournait même en fonction de ma musique. C'était très spécial. Il voulait la musique avant le montage. Il fallait monter le film avec la musique. C'était différent avec Barbet Schroeder qui est très précis.
La seule chose que Raoul ne savait pas bien faire, c'était composer la musique. Il savait faire tout le reste et heureusement pour moi, sinon je n'aurais pas eu le boulot. On était tous les deux chiliens, avec deux ans d'écart et pendant 46 films, en 35 ans on a travaillé ensemble, donc on pouvait tout se permettre.
Je ne fais pas une musique de film avec Raoul Ruiz, je fais une musique. Il ne me demandait jamais de musique de film, il en avait horreur.
Il n' a jamais tourné une scène de sexe, il avait horreur de ça, il était très pudique. Il me disait que c'était moi qui faisais le sexe, mais musicalement, ce que je ne sais pas le faire. Dans la vie peut-être, mais dans la musique je ne sais pas faire. Il m'a dit d'imaginer des choses, complètement surréalistes. C'était vraiment un cinéaste surréaliste.
Un jour, je lui ai dit que personnellement, ce qui me fascinait le plus était ses images, mais que son discours, ses blagues, je ne les trouvais pas très drôles. Et il m'a répondu que c'était peut-être pour ça que personne ne riait dans ses films.
Dans LA NUIT D'EN FACE, tout est chilien. Mais pour la musique, Raoul avait horreur du folklore. Dans cette partition, il y a la flûte, la clarinette, la harpe, le violon, l'alto, et le violoncelle. Mais il y a de l'ampleur parce que c'est énergique. L'agressivité donne de la grandeur dans la musique, du volume, et c'est pour cela que ça paraît plus grand, c'est dans l'écriture.
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