Grégoire Hetzel : On a travaillé très en amont. J'avais déjà composé des musiques avant le tournage. La plupart des musiques que j'avais composées ne sont pas restées, elles ont complètement changé au fur et à mesure de l'avancée du montage.
La réalisatrice voulait au départ un film à la Dardenne, très sec, près des corps, des visages, et au final elle a fait un film beaucoup moins Dardennien, moins social et plus stylé. Donc les musiques sont devenues plus romanesques d'une certaine manière, moins rudes. J'avais fait des choses à base de guitare électrique, très électro, pour finalement privilégier les textures avec toujours pas mal d'électro mais aussi des thèmes comme lors du cours de philo. Il y a aussi un thème à la fin, sur la dernière bobine.
Parfois j'avais composé des musiques pour des scènes très tendues, la réalisatrice avait monté ces scènes avec la musique pour finalement la retirer. On s'est aperçu que cela fonctionnait très bien. Mais peut-être que s'il n'y avait pas eu de musique au départ le montage aurait été différent et moins efficace.
On a pensé par thème, par personnage. Il y a les thèmes du héros, que l'on pourrait qualifier de thème de culpabilité, assez dramatique, puis le thème de Juliette et enfin on a les thèmes du polar, de tension, qui sont un mélange d'électro et de cordes. Ce sont des thèmes qui se transforment, qui vont du suspens à l'émotion. Par exemple, quand elle le voit pour la première fois dans le couloir de l'hôpital et qu'elle le suit, il y a une musique très polar qui évolue vers quelque chose d'amoureux, on sent le trouble. Il est difficile de vraiment qualifier cette musique. Si vous voyez un polar, je vois plus un drame psychologique et social.
Catherine aime bien avoir des thèmes par personnage et par entité, avec le thème de la rédemption, le thème tragique et amoureux, les thèmes de personnages, mais tout cela se construit au moment du montage.
Elle voulait aussi une chanson, assez punk, il en reste dix secondes dans le film. C'est juste avant l'accident, ils écoutent et chantent cette chanson. J'ai eu beaucoup de mal à trouver un chanteur, car elle voulait quelqu'un qui ait de la gueule, un chanteur punk, et du coup j'a fait venir chez moi des punks d'un squat de Montreuil, à trois heures du matin, ils étaient complètement ivres morts, et je devais lui apporter la chanson sur le tournage le lendemain. Mais ça n'a pas du tout marché. Finalement, c'est une amie avec qui j'ai fait beaucoup de chansons, Marie Modiano, qui a joué la punk alors qu'elle fait d'ordinaire des chansons plutôt mélancoliques et littéraires. Elle s'est transformée en punk, et c'est excellent.
Je vais mettre de côté le cinéma un certain temps car je suis en train d'écrire un opéra. L'opéra, c'est comme de la musique de film, mais au lieu d'avoir des acteurs, on a des chanteurs. C'est un peu la revanche du compositeur sur le réalisateur. C'est drôle parce que Herrmann a écrit un opéra sublime (LES HAUTS DE HURLEVENT), qui a été donné à Montpellier il y a quelques années, mais qui n'avait jamais été donné en France. Il peut y avoir une vraie passerelle entre la musique de film et l'opéra. Il est dommage d'ailleurs que les compositeurs de musique de film n'écrivent pas plus souvent des opéras parce qu'ils sont faits pour ça.
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