par Quentin Billard
- Publié le 13-02-2012Le score de « The Iron Lady » utilise toutes les ressources de l'orchestre symphonique traditionnel - enregistré à Londres - en faisant la part belle aux formations instrumentales plus restreintes, même si Newman a choisit cette fois-ci de délaisser son schéma habituel de jeu des solistes et d'instrumentation singulière pour une approche beaucoup plus orchestrale et conventionnelle, agrémentée de quelques éléments synthétiques plus modernes. Niveau orchestration, Thomas Newman met ici l'accent sur les cordes, le piano, les parties électroniques (nappes et/ou loops) et un choeur grandiose intervenant dans le solennel et classique « Discord and Harmony », qui évoque les musiques martiales britanniques d'Edwar Elgar, pour évoquer de façon imposante le règne politique de Thatcher, entre les troubles de la société britannique de l'époque et le bellicisme accru de la dame de fer durant la fameuse guerre des Malouines. Malgré ses qualités d'écriture évidentes et son classicisme 19èmiste éminemment authentique, « Discord and Harmony » reste un morceau à part dans le score de « The Iron Lady », bien moins représentatif de la musique du film de Phyllida Lloyd que « MT » ou « Grocer's Daughter », qui réunit quelques uns des éléments-clés du score, à savoir une écriture à la fois minimaliste mais aussi cyclique et répétitive, avec ses notes répétées de cordes et de bois sur fond d'éléments synthétiques atmosphériques. Newman dévoile davantage son approche synthétique dans le sombre « Grand Hotel », évoquant la tentative d'attentat contre le couple Thatcher. Evidemment, le lyrisme cher au compositeur n'est pas en reste avec deux morceaux particulièrement poignants, « Swing Parliament » et « Steady the Buffs ». Le premier, résolument poignant, évoque de par son écriture raffinée et élégante des cordes une certaine mélancolie très britannique d'esprit, avec une touche de solennité vibrante, tandis que le second valorise le piano sur fond de nappe synthétique, dans un style plus proche du minimalisme habituel cher à Thomas Newman. Plus étonnant et singulier, « Steady the Buffs » nous propose une série d'arpèges rapides et nerveux d'un violon agité sur fond de cordes, synthés et percussions pour souligner la chute de Thatcher et la révolte sociale en Angleterre. Le violon soliste apporte ici une couleur particulière à « Steady the Buffs » et témoigne du savoir-faire évident du compositeur lorsqu'il s'agit de valoriser les instruments solistes. On retrouve ici le thème lyrique et solennel de « Swing Parliament » confié aux cordes et aux choeurs de façon émouvante et nostalgique, une sorte d'ultime adieu à un passé désormais lointain.
Niveau thématique, on découvre un premier thème de quatre notes ascendantes confiées aux cordes sur fond d'ostinato rythmique synthétique répétitif dans « Grocer's Daughter », et qui souligne la détermination et l'ambition inexorable de la jeune Thatcher, de sa jeunesse passée dans l'épicerie de son père jusqu'à ses débuts dans la politique. Ce thème reviendra à plusieurs reprises dans le film pour souligner les moments-clé de l'existence de Margaret Thatcher, comme le rappelle « Nation of Shopkeepers », qui valorise ici aussi l'accompagnement électronique/rythmique avec son ostinato entêtant et répétitif de cordes. Le thème revient une dernière fois dans « Statecraft », avec ici aussi une accentuation de plus en plus évidente de la partie électronique, comme pour rendre la musique plus moderne ou plus proche de notre temps. Le second thème du score est entendu dans les lyriques et poignants « Swing Parliament » et « Steady the Buffs », un thème plus long mais aussi plus touchant et vibrant, sans aucun doute les deux meilleurs morceaux de la partition de « The Iron Lady ». On retrouve le traditionnel mélange intime de piano et nappe synthétique dans l'introspectif « Eyelash » ou dans le très beau « The Twins », et une utilisation très réussie de la harpe et des cordes dans « Denis », pour évoquer la relation entre Thatcher et son mari. Quand à « The Great in Great Britain », il s'agit d'un pastiche très réussi et très agréable de la musique classique anglaise, tout comme « Discord and Harmony », un joli exercice de style assez inhabituel de la part de Thomas Newman, et qui adopte parfaitement le point de vue britannique du film. Dans « Crisis of Confidence », on entame la dernière partie du film et du score avec une approche plus sombre et mouvementée, entre percussions agressives, cordes répétitives, synthétiseurs atmosphériques et même rythmes militaires déchaînés, comme c'est le cas dans « Exclusion Zone » pour illustrer la séquence de la guerre des Malouines. Même chose pour « The Difficult Decisions » et ses sonorités plus sombres et inquiétantes, évoquant le début des émeutes et des manifestations en Angleterre, entre les années 80 et 90. Plus étonnant, « Community Charge » valorise la guitare électrique et la batterie pour une approche rock assez singulière superposée à l'orchestre et au piano, Thomas Newman conservant l'idée d'une approche musicale à la fois classique et moderne pour le film de Phyllida Lloyd. La musique de Thomas Newman remplit donc parfaitement le cahier des charges en soulignant à la fois les aspects humains, dramatiques et sociaux de « The Iron Lady », tout en privilégiant une juxtaposition de style parfois un peu hétéroclite (minimalisme, électronique, classique, répétitif et même rock) et brouillonne, mais très adaptée au film. On ressent clairement la personnalité complexe et forte de Thatcher dans le thème de « Grocer's Daughter » ou sa facette plus humaine dans « Swing Parliament », tandis que le belliqueux « Exclusion Zone » renforce la tension et le sentiment de révolte qui gronde dans l'Angleterre des années 80. Le score de « The Iron Lady » marque donc le grand retour de Thomas Newman sur le devant de la scène en 2011, avec ses partitions récentes pour « The Help » et « The Adjustement Bureau », une partition très réussie dans le film et qui, sans faire partie des musts du compositeur, témoigne du savoir-faire évident de Thomas Newman et de son habileté à manier les styles et les sonorités pour parvenir à ses fins !
par Quentin Billard
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)