Noémie, comment choisissez-vous les compositeurs pour vos films ?
Noémie Lvovsky : J'avais choisi Archie Shepp sur mon précédent film, FAUT QUE CA DANSE, car j'avais l'impression que la musique du personnage était du jazz. Pour Bruno Fontaine sur LA VIE NE ME FAIT PAS PEUR, c'était différent, car c'est vraiment un compositeur de film, il était arrivé lorsque le montage était presque fini. Pour Gaétan, j'écoute sa musique depuis longtemps, depuis les débuts de Louise Attaque, et je n'ai pas arrêté d'écouter. J'ai écouté "Ginger" aussi (ndlr : premier album solo de Gaétan Roussel). Quand j'ai pensé à la musique du film, j'ai beaucoup écouté ce qu'il avait fait pour d'autres.
Gaétan Roussel : Je connaissais Noémie. J'étais ravi qu'elle ait envie de me rencontrer. J'étais ravi qu'après avoir proposé quelques musiques elle m'appelle pour me dire qu'on allait travailler ensemble. On allait vers des choses que l'on ne connaissait pas encore. Elle ne s'est pas forcément tournée vers moi pour ce que je sais faire, mais pour que l'on puisse le faire ensemble. C'était pareil sur mes expériences d'avant avec Delépine et Kervern. C'est d'abord une rencontre et on voit après ce que l'on peut raconter ensemble. S'il n'y a pas beaucoup de musique c'est très bien, et s'il y en a beaucoup, c'est que c'est nécessaire.
Quelle est votre relation à la musique de film ?
N.L : C'est compliqué la musique de film parce que les producteurs, les gens de l'équipe et parfois le réalisateur, s'en occupent en dernier. Je suis souvent gênée par les musiques de film lorsque le compositeur arrive au montage, parce que ça n'épouse pas l'image. Alain Resnais par exemple, il a les musiques de ses films avant le tournage, et les comédiens peuvent l'écouter pendant les répétitions et même pendant le tournage, jouer avec, jouer dessus, alors que bien souvent la musique est comme de la confiture qu'on colle sur une tartine.
J'ai l'impression que les productions ne s'en occupent qu'au dernier moment parce qu'il faut avancer sur l'image et il faut tenir les dates. Puis parfois les réalisateurs ont peur de leur propre film et se disent qu'il faut de la musique pour rattraper une scène. C'est terrible après, quand on voit les films on se dit qu'il n'y en avait pas besoin. Ce qui était super pour moi sur ce film c'est que ça ne s'est pas du tout passé ainsi. Avec Gaétan, on se voyait souvent. On faisait des essais et on s'est rencontré au tout début du montage, quasiment juste après le tournage. Et quand je revois des bouts du film, je trouve que ce qu'ont fait Gaétan et Joseph Dahan est dingue. Par exemple, il y a une scène où je marche derrière Denis Podalydès et j'ai l'impression que je marchais sur la musique, alors que non. Ca épouse vraiment.
Gaétan, comment avez-vous travaillé sur ce film ?
G.R : J'ai d'abord lu le scénario avant de rencontrer Noémie. Puis j'ai vu les premières minutes du film et j'ai essayé de composer sur ces premières minutes-là avec Joseph Dahan (mon acolyte que je connais depuis longtemps puisque j'ai fait les musiques de "Ginger" avec lui), non pas pour garder tout de suite quoi que ce soit, mais pour une première base de discussion. D'ailleurs, je pense qu'on n'a presque rien gardé de ce que l'on a commencé à faire. C'était en mouvement, on essayait de travailler ensemble. C'est ce que je retiens. Après on a avancé, on propose d'autres choses sur les images. J'ai très peu d'expérience de musique de film mais j'ai aimé faire comme ça. J'ai appris plein de choses.
Est-il arrivé que le montage s'adapte à la musique ?
N.L : Annette Dutertre qui a monté le film et qui adore le travail de Gaétan a re-monté parfois en fonction de la musique.
G.R : C'est précieux quand les gens sont à l'écoute et qu'une musique puisse être acceptée même s'il faut bouger quelque chose, c'est plaisant.
Avez-vous laissé "carte blanche" à Gaétan ou lui avez-vous donné quelques indications musicales ?
N.L : C'est très difficile quand on n'est pas musicien de parler de musique. Je me souviens la première fois que l'on s'est rencontré, c'est un très bon souvenir, mais on s'est très peu parlé.
G.R : On était d'accord avec Noémie que la musique devait rester "pop".
Le film se situe en partie dans les années 80, était-ce une indication musicale pour vous ?
G.R : Ce sont davantage les musiques préexistantes qui marquent le temps. Pour la musique originale, on s'est demandé si la musique pouvait être du passé ou du futur, de manière indéterminée, plutôt que de se dire qu'il faut qu'elle soit dans les années 80.
Comme le film qui va de la comédie au drame, la musique "pop" est aussi mélancolique...
G.R : Oui, le récit du film appelait de la mélancolie. Mais il faut éviter de faire doublon avec ce qui est en train d'être dit. Il ne faut pas non plus se mettre en décalage au point d'être snob juste pour être décalé. Il faut trouver le juste milieu. Il y a aussi des musiques qui étaient écrites pour un endroit et qui finalement en se décalant atterrissent à un autre endroit. C'est bien aussi.
N.L : Je ne lui ai pas demandé de faire des maquettes, ce qui est rare et super dans le travail avec lui. Gaétan venait à toutes les projections de travail, on en faisait une par semaine, puis on se retrouvait dans la salle, on écoutait des choses sur l'image, on en parlait un peu puis il repartait travailler, c'était très souple et généreux. Il ne pensait d'ailleurs pas que ça lui prendrait autant de temps.
Dans la musique originale de Gaétan Roussel, il y a trois chansons...
N.L : Il n'était pas question qu'il n'y ait pas de musique originale dans le film. Mais je ne savais pas qu'il y aurait des chansons originales pour le film. Je l'ai accepté parce que c'était Gaétan. Si cela avait été quelqu'un d'autre, même un chanteur ou une chanteuse, il n'y aurait peut être pas eu de chansons. J'en suis contente aujourd'hui, mais c'est parce que c'était sa voix, c'était son interprétation. Il m'a fait chanté une phrase de Prévert dans la chanson "Le Bouquet". Je chantais pour la première fois devant un micro et c'est très émouvant.
G.R : Elle s'en est très bien sortie. Je n'avais jamais chanté de Prévert donc j'étais ravi d'avoir à me confronter à ça et d'essayer. Sur les trois chansons, il y a deux textes préexistants, deux poèmes, un d'Apollinaire et un de Prévert. C'est Noémie qui les a amené, donc d'une certaine manière il y a beaucoup d'elle dans ces chansons, ce n'est pas gratuit.
N.L : Enfin, c'est nous deux, parce que je l'ai bombardé de poèmes, je lui en ai envoyé une trentaine et on a choisi ensemble dans ce qui l'inspirait le plus.
Vous considérez le compositeur comme un véritable collaborateur ?
N.L : J'ai l'impression d'avoir travaillé avec Gaétan comme avec un acteur. Ce n'était pas "là ça doit être mélancolique, là énergique", non. A partir du moment où je demandais à Gaétan s'il voulait bien faire la musique du film, je voulais que la musique lui ressemble, et puis de son côté il avait envie de se fondre dans le film.
J'ai l'impression quand j'entends la musique que ça fait partie intégrante de la mise en scène au même titre que les interprètes du film.
Quand vous êtes sur le vélo avec votre casque, y avait-il vraiment une musique dans vos oreilles ?
N.L : Oui, j'écoutais vraiment de la musique. Je n'écoutais pas Nena ("99 Luftballons") comme dans le film, mais "Hallelujah" par Jeff Buckley.
On écoutait aussi beaucoup de musique dans les loges, le matin, et aussi sur le plateau.
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