delerue, - Claire Delerue : de son enfance avec le grand Georges à son premier album Claire Delerue : de son enfance avec le grand Georges à son premier album

delerue, - Claire Delerue : de son enfance avec le grand Georges à son premier album

- Publié le 28-11-2012




Claire Delerue, de formation classique, a pris part à de nombreux projets de musique ancienne et contemporaine avant de se tourner vers la composition, avec l’écriture de son premier album sous le nom de groupe "Flora Miles" FONTANELLE (juin 2012, avec deux reprises de Georges Delerue "Paul et Virginie" et "Interlude"). Elle nous conte son parcours, marqué par un illustre père, le compositeur de cinéma Georges Delerue.

Interview

Cinezik : Quels souvenirs avez-vous de votre père Georges Delerue et quelle a été votre présence à ses côtés ?

Claire Delerue : A six ans je faisais du piano, et il m'a mise au violon vers sept ans. Cela m'a permis d'assister à ses enregistrements à Davout. Je me cachais parmi les violons et il m'arrivait de jouer pendant les répétitions. Puis il m'a donné quelques contrats à faire en tant que pianiste, au clavecin ou à la guitare. Je le voyais tout le temps car il travaillais à la maison, à Soisy, mais il n'aimait pas qu'on soit présent pendant qu'il composait. Cela ne le dérangeait pas pendant qu'il orchestrait, mais lorsqu'il écrivait à la table, il ne fallait pas le déranger. Par ailleurs, ma soeur Emmanuelle, plus âgée que moi de neuf ans, prenait des cours de piano et des cours de chant le samedi matin. Je l'écoutais derrière la porte. Elle n'a pas continué professionnellement dans la musique contrairement à moi. Elle a été monteuse son et monteuse image en ayant un bagage musical qui a pu l'aider dans cet exercice.
En 1983, Georges a déménagé aux Etats-Unis, je l'ai rejoint en quittant le CNSM où j'étais depuis quatre ans. Auparavant il ne voulait pas y aller, il avait peur de l'avion, c'est pour cela qu'il n'était pas présent le soir où on lui a décerné l'oscar (pour A LITTLE ROMANCE en 1979). Il faisait le maximum pour pouvoir enregistrer les films américains à Londres en traversant La Manche en Ferry. Pour toutes les maquettes, il enregistrait à la maison de manière artisanale. Et j'y participais parfois. Je me souviens même avoir fait la maquette d'une chanson pour PAUL ET VIRGINIE (1974). J'étais sollicité pour des petites choses. On enregistrait en général le dimanche quand c'était plus calme dans les rues de Soisy, sans voitures. Avant de faire entendre un thème à un réalisateur, il aimait me le faire entendre, ainsi qu'à ma mère Micheline Gautron.

Quelles rencontres avez-vous faites grâce à votre père ?

C.D : C'était chouette quand des réalisateurs venaient à la maison. Philippe de Broca est venu à la maison plusieurs fois, il avait un côté charmant et drôle. J'aurais aimé côtoyer François Truffaut, mais il était très secret. Je crois ne l'avoir vu qu'une fois, pendant l'enregistrement de VIVEMENT DIMANCHE (1983) sur lequel j'avais une partie de clavecin à faire. Mais il était dans l'aquarium tout le temps, c'était sa façon d'être, donc je l'ai à peine vu. Des rencontres moins notoires étaient tout autant agréables, que ce soit des monteurs, mixeurs, preneurs de sons, des gens très sympas. Une dame que j'ai beaucoup aimée, que je retrouvais à chaque enregistrement, était une légende vivante : Lily Laskine, une harpiste qui avait 80 ans quand j'étais petite. J'ai aussi rencontré grâce à papa le guitariste Alexandre Lagoya.

Est-ce que les musiques de Georges Delerue ont influencé votre propre style ?

C.D : A partir de 18/19 ans, j'ai fait beaucoup de musique ancienne, surement influencée par mon père qui a souvent fait appel à des instrumentistes du répertoire de la Renaissance et du Baroque pour des films à caractère historique, que ce soit LES ROIS MAUDITS ou LES BORGIAS pour la BBC. J'ai donc rencontré des gens de cette sphère-là. Cela m'a influencé pour la suite. Mon père m'a aussi emmené vers le jazz, tout en me faisant comprendre que ce n'était pas quelque chose qui s'apprenait, qu'il fallait avoir un don du ciel, alors j'ai fait marche arrière là-dessus. J'aurais bien voulu explorer l'improvisation. Mon père me disait que je n'étais pas faite pour cela, alors ça m'a retenu. Après j'ai découvert sans lui la folk, la pop, le rock, un peu en cachette d'abord, avant de l'assumer ensuite. Mon parcours était très solitaire. Ce qui me manquait, c'était de pouvoir partager ma musique, de jouer avec d'autres. Au CNSM, chacun était dans sa bulle. Ce conservatoire était fait pour les solistes, ce qui a changé depuis. Les premiers "jobs" que j'ai eus étaient en tant qu'accompagnatrice pour des classes de chant. J'ai senti que je n'allais pas être totalement satisfaite dans ce parcours. Je me suis dirigé vers la musique de chambre et la musique baroque, avec des diplômes acquis lors de mon séjour aux Etats-unis. Je suis revenue à Paris en 91 et mon père a eu son AVC avant que je puisse repartir.

Quand avez-vous commencé à composer votre propre musique ?

C.D : Je ne me suis pas intéressée à la composition tout de suite car pour moi, c'était un terrain gardé. C'était soit synonyme de la composition de musiques de films, et c'était déjà pris, soit de la composition symphonique, de la musique savante et orchestrale, et je me sentais pas à l'aise avec cela. Avant d'écrire des chansons, j'ai écrit deux pièces entre 18 et 22 ans, c'était de la musique de chambre avec voix, puis par la suite j'ai écrit des mélodies sur des poèmes de Jean Tardieu, un de mes auteurs préférés. Je voulais amener les instruments anciens vers une esthétique plus contemporaine, et c'est ce que j'ai fait avec mon premier album, FONTANELLE. C'est en écoutant Radiohead que je me suis donnée le droit de faire autre chose que ce que j'entendais dans mon enfance. La chanson n'était pas un genre magnifié à la maison. Je m'interdisais certaines musiques. Avec mon formatage classique, habituée à avoir une partition devant les yeux, je craignais de me planter si je jouais dans un groupe. Mais quand j'ai commencé à jouer dans un groupe, je me suis senti à l'aise.

Vous signez votre premier album FONTANELLE (juin 2012) sous le pseudo Flora Miles, pourquoi ?

C.D : C'est le nom du groupe avec sa propre identité musicale et visuelle. Flora Miles est le prénom de deux frère et soeur dans les romans de Henry James. Même s'il n'y a qu'une seule personne qui compose, un peu comme Nine Inch Nails avec Trent Reznor, j'avais un peu de mal à assumer mon nom qui est lourd de sens.
C'est tout de même un album solo, fait en studio. J'ai fait tous les instruments et la voix, et mon mari Ciprian-Florin Stancu s'est chargé des percussions et il a fait la création graphique de l'album.
Le fil conducteur de l'album est l'enfance, le temps qui passe, ce qui est terminé, ce qui n'a pas été fait. J'ai même introduit dans les chansons des enregistrements sonores conçus dans le jardin où j'ai grandit, ce sont des bruits d'éléments climatiques, des textures (sols, graviers), comme autant d'évocation à mon enfance.

Malgré le fait de ne pas assumer le nom, un hommage est rendu à votre père avec deux reprises ("Paul et Virginie" et "Interlude") ?

C.D : Malgré toute l'indépendance que j'ai eu besoin de prendre avec mon milieu familial, il y a aussi un attachement, un désir d'y revenir, un retour positif sur le rapport parents/enfants. Ces reprises sont l'envie de ré-harmoniser tout cela, de renouer des liens desserrés. Mes parents avaient divorcé, et reprendre "Ballade pour Paul et Virginie" était une manière de les réunir de nouveau puisque ma mère (Micheline Gautron) en avait écrit les paroles. Ces reprises sont une manière de convoquer le style de mon père, avec l'emploi du clavecin et d'une cithare, instrument que George avait utilisé dans ses partitions, et j'ai repris celle de mon enfance. Le tout demeure dans un ton très pop-baroque.

Pensez-vous à faire un jour de la musique de film ?

C.D : Mon père était un grand mélodiste, il savait développer des thèmes, moi je suis plus dans l'harmonie, plus atmosphérique, travaillant sur les textures des instruments, en employant des samples, et en utilisant la voix. Ce n'est pas vraiment narratif. Peut-être que des réalisateurs feront appel à moi via mon album personnel, comme cela se fait souvent aujourd'hui (Syd Matters ou Jonny Greenwood ont fait des BO).

Interview réalisée à Paris le 22 octobre 2012 par Benoit Basirico

 


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