Du 29 novembre au 2 décembre 2012, l'atelier a réuni à Poitiers 8 réalisateurs porteurs d’un nouveau projet (au stade de scénario) et 4 compositeurs de musique de film.
Après avoir publié les propos des quatre compositeurs invités (Samuel Leloup, Sylvain Morizet et David Reyes et Julie Roué), voici une rencontre avec les réalisateurs présents (de gauche à droite sur la photo) : Chen Chen, Angèle Chiodo, Juliette Baily, Nicolas Novak, Mathieu Lericq, Stanislas Zambeaux, Florence Valéro, Léo Karmann.
Lire aussi le témoignage des compositeurs qui évoquent le principe de cet atelier.
Chen Chen
Scénario présenté : Le Vieil ours
Ecole : Ecole d'animation de Valence (La Poudrière)
Il vient de Chine. Il a quitté l'école il y a deux ans. Il était déjà venu au Festival de Poitiers pour son film de fin d'études "M'échapper de son regard".
Angèle Chiodo
Scénario présenté : Les Chiens
Ecole : École nationale supérieure des Arts Décoratifs (EnsAD)
Son précédent film "La Sole, entre l'eau et le sable" (mi-animation, mi-images réelles) a reçu un prix spécial au Festival Silhouette 2012, et est présenté en compétition au Festival de Poitiers 2012.
Juliette Baily
Scénario présenté : Dans le jardin
Ecole : École nationale supérieure des Arts Décoratifs (EnsAD)
Dessinatrice, elle travaille sur des projets d'animation et de graphisme, collabore régulièrement à l'émission Karambolage sur Arte et publie une première bande dessinée "En avant toute ! ". Son film de fin d'études, "Pourville" a reçu le prix de la poésie au Festival Clap 89 et le Prix du jury au Festival de Saint Maur.
Nicolas Novak
Scénario présenté : Tapi dans l'ombre
Ecole : Arts du spectacle (Paris 3)
En 2010, il réalise "Sang d'encre", un premier film auto-produit. Suivront "Propriété privée" (2011) et "Fin du début" (2012). Le scénario "Tapi dans l'ombre" présenté à cet atelier fut également retenu aux ateliers du Festival de Gindou où il reçut la Mention spéciale du jury.
Mathieu Lericq
Scénario présenté : Cela s'appelle le crépuscule
Ecole : Etudes Cinématographiques (Paris 3)
"Cela s'appelle le crépuscule" est son premier scénario.
Stanislas Zambeaux
Scénario présenté : Des hommes
Ecole : Institut des arts de diffusion (IAD, Belgique) en réalisation.
Il termine ses études de réalisation en 2009 avec le film "Dare Waté yacouba", réalise en 2011 son court-métrage "La M.A.C.O, Maison d'arrêt et de correction de Ouagadougou" et prépare avec "Des hommes" son premier long-métrage. Son territoire de prédilection est le documentaire.
Florence Valéro
Scénario présenté : Rappel
Ecole : Arts du spectacle (Paris 3)
Son premier scénario, "Rappel", présenté à cet atelier fut également retenu aux ateliers du Festival de Gindou.
Léo Karmann
Scénario présenté : Amour au Pôle
Ecole : Institut international de l'image et du son (3iS, Trappes)
Après un premier film remarqué en 2010 (le thriller "Delayed"), il prépare conjointement l'écriture de 3 autres court-métrages (dont celui présenté à l'atelier) et 3 long métrages (dont "Accidents" qui est le plus avancé).
Quelle était la place de la musique dans votre projet présenté à l'atelier avant de venir à Poitiers ?
Chen Chen : Je n'avais pas du tout pensé à la musique de mon film.
Angèle Chiodo : Moi non plus.
Mathieu Lericq : Quand j'ai écrit le scénario, j'avais des musiciens en tête. Mais lors de l'atelier je me suis rendu compte que ce n'était pas définitif. C'est en travaillant avec des compositeurs que l'on crée vraiment une musique nouvelle.
Juliette Baily : J'écoute généralement de la musique quand je dessine, cela aide à mettre mes personnages en mouvement. Mais ce ne sont pas forcément des musiques que j'utilise ensuite dans l'animation.
Stanislas Zambeaux : Mon projet est bien avancé, j'ai même démarré le tournage, donc avant de venir j'avais déjà bien pensé à la musique. Je voulais que ce soit une vraie construction musicale. Je suis arrivé ici avec des intentions précises. Je m'étais même déjà confronté à des musiciens avant de venir, mais ce n'étaient pas de véritables compositeurs de musique de film. Le langage n'est pas du tout le même, ce n'est pas la même approche.
Florence Valéro : J'y ai pensé malgré moi car la musique est présente tout le temps dans ma vie. Je l'écoute en écrivant. Elle s'intègre naturellement dans le processus. C'est un outil de pensée, sans forcément en mettre dans le film au final.
Léo Karmann : J'ai déjà beaucoup pensé à la musique car il y a toujours beaucoup de musiques dans les films que je fais, et dans le films que je fais il y a beaucoup de musique, c'est presque un film musical car il y a presque pas de dialogues, et puisque je fais de la musique moi-même, j'ai déjà écrit le thème principal du film, du coup j'ai été intéressé d'avoir l'avis de musiciens professionnels puisque ce n'est pas mon cas, de savoir comment voudraient le développer ce thème, car un thème c'est bien, mais ce qui est intéressant c'est l'orchestration qu'il y a derrière, et le rapport aux images. C'est une comédie burlesque assez cartoon, la musique accentue les émotions, les échanges entre les personnages.
Etiez-vous préparé à la collaboration avec un compositeur au sein de votre école, y a-t-il des cours sur ce sujet ?
Stanislas Zambeaux : C'était très superficiel. Il n'y a jamais eu le temps nécessaire consacré à cela. On a tendance à mettre cela de côté alors que c'est aussi important que le travail de réalisation finalement.
Léo Karmann : L'école que j'ai faite traite un peu de la musique de film, on aborde par exemple l'histoire de la musique au cinéma. C'est une sorte de culture G de la musique de film. C'est intéressant mais cela ne prépare pas véritablement à la pratique. C'est un langage plus difficile d'accès que le montage, c'est à nous de travailler avec les compositeurs pour mieux les comprendre.
Stanislas Zambeaux : J'ai aussi eu une formation sur la musique de film, mais il n'y avait pas de département avec des musiciens qui travaillent en partenariat avec les réalisateurs sur les bandes sons de leur film. Cela manque dans les écoles de cinéma.
Angèle Chiodo : Mon école était en partenariat avec le CNSM (Conservatoire national supérieur de musique), donc si on voulait on pouvait travailler avec un élève compositeur. C'était une belle approche.
Quel rôle d'après vous tient la musique dans un film ?
Stanislas Zambeaux : C'est comme un personnage, elle doit intervenir dés le début, c'est une part de l'écriture d'un film. Une note peut tout changer à une scène, elle peut faire contrepoint ou redondance.
Mathieu Lericq : La musique est bien souvent réduite à un bruit d'ambiance. Dans mon travail, j'essaie de considérer l'image, le son et la musique de manière conjuguée, que chacun ait sa responsabilité dans la signification des choses. La musique peut signifier quelque chose qui ne peut pas passer par les mots ou par l'image.
Stanislas Zambeaux : La musique laisse une ouverture exceptionnelle. Il suffit de fermer les yeux et d'écouter un morceau pour imaginer pleins d'histoires.
Léo Karmann : La musique est directement reliée à l'émotion, tandis que l'image et le scénario renvoient à l'intellect.
Aviez-vous déjà collaboré avec un compositeur avant d'en rencontrer dans le cadre de cet atelier ?
Juliette Baily : J'ai déjà collaboré avec des musiciens pour leur faire interpréter un morceau, mais ce n'était pas une musique liée à l'animation. Cet atelier m'a permis de comprendre comment fonctionne la musique pour un film.
Aviez-vous l'envie de trouver le compositeur de votre futur film en venant ici ?
Mathieu Lericq : Ce n'était pas l'enjeu. L'idée était de réfléchir à la place que la musique pouvait prendre, mais pas d'en créer une.
Quels mots étaient utilisés dans vos discussions avec les compositeurs dans la mesure où vous ne maitrisez pas forcément le langage musical ?
Angèle Chiodo : On a fait une cellule psychologique de soutien pour ceux qui étaient complexés de parler de musique (rires). La première chose que j'ai demandée à un compositeur, c'est de me donner la note qui fait pleurer. Elle m'a parlé de mineur et de majeur, maintenant j'ai l'air moins bête.
Juliette Baily : J'ai raconté l'histoire de mon film avec mes mots, et le compositeur a essayé de me dire quelles musiques il imaginait sur chaque moment du récit.
Nicolas Novak : J'ai tout d'abord écouté le compositeur parler de mon film, ce qu'il a ressenti à la lecture de mon scénario, pour ensuite parler du point de vue de la musique, définir une musique pour un personnage, pour son état d'âme, sans parler de références.
Mathieu Lericq : Me concernant j'ai utilisé beaucoup de références musicales. J'ai parlé en premier avec Julie Roué que j'ai dû rassuré car elle m'a dit être décontenancée par les références mises dans le scénario. Ces références créaient une confusion. Il fallait les mettre de côté pour pouvoir envisager d'autres voies.
Nicolas Novak : Tout le monde s'habitue aux références, surtout quand elles sont utilisées au montage en musiques temporaires. On a du mal ensuite à s'en détacher. C'est la même chose avec l'étalonnage, on s'habitue à une image, même si elle est mauvaise.
Stanislas Zambeaux : On n'a pas besoin de connaitre le vocabulaire musical. Notre langage, ce sont des intuitions, une spontanéité, sans avoir des mots précis, mais avoir des comparaisons. Les musiciens nous ont clairement dit qu'on n'était pas là pour apprendre du vocabulaire.
Florence Valéro : Il n'y a pas de règles, tout dépend des projets de chacun. J'aime bien que le compositeur nous propose des références. Ce n'est pas un piège, c'est une manière de faire un pont avec le langage du musicien, en écoutant des musiques.
Léo Karmann : J'avais déjà un thème, donc on est très vite parti dessus. Il y avait un piano donc on a pu rentrer dans le vif du sujet. Les musiciens pouvaient jouer de leur instrument.
Chen Chen : Je suis en recherche de musiques pour mon film, donc j'étais prêt à écouter toutes les propositions que les musiciens me faisaient après leur lecture de mon scénario.
Pensez-vous que les musiciens sont des caméléons capables de faire toute sorte de musique pour votre projet ?
Léo Karmann : Ils ont un large éventail mais ils ont chacun un style particulier. Ils peuvent en effet aller dans plusieurs directions et plusieurs genres, mais leur approche reste singulière, avec un style propre. Certains préfèrent les gros orchestres, d'autres privilégient les petites formations.
Après cet atelier, avez-vous une idée plus précise de la musique que vous souhaitez pour votre film ?
Mathieu Lericq : Le fait de produire une note d'intention musicale nous a permis d'avoir une idée plus claire, ce qu'on n'avait pas forcément prévu au départ. Ce sont les compositeurs qui nous ont demandé cela.
Léo Karmann : Pour ma part, je sais que je veux une musique entre du "dixieland" et du "symphonique", mais je ne peux pas être plus précis pour l'instant.
Florence Valéro : Il y a une base de valse, mais le projet est complexe car j'ai écrit un drame et je voudrais par la mise en scène en faire une comédie. La musique doit participer à tirer le drame vers la comédie. Cela reste encore un peu flou malgré cette première base.
Stanislas Zambeaux : J'avais une référence précise en venant : Gustavo Santaollala. Après, en fonction des différents personnages, je voulais des musiques indépendantes pour chacun, avec des sonorités andalouses, libanaises... L'idée est de créer une structure commune tout en arrivant à y ajouter les richesses de chaque personnage. L'atelier m'a fait prendre conscience de l'importance du lien global, de la cohésion d'ensemble, comme le fait d'avoir un thème qui revient.
Mathieu Lericq : Je savais que je voulais de la musique contemporaine, tel que Luciano Berio, avec une composition d'un ou deux instruments seulement. Ce qui a évolué dans mon rapport à la musique pour mon film, c'est la méthode de travail avec le compositeur et les musiciens, puisque j'aimerais fonder cette collaboration sur l'improvisation, travailler sur les bruits autant que sur les notes, et travailler de manière à ce que les musiciens se sentent libres et s'abandonnent complètement dans leur instrument.
Nicolas Novak : Je voulais des cordes, avec un thème masculin mais fragile au violoncelle, contrebasse et alto. Je me suis rendu compte à cet atelier de ce que j'aimais ou pas en écoutant des choses avec les musiciens. Je sais maintenant qu'il ne me faut pas trop de musiciens, et j'ai compris la possibilité d'ajouter des "samples" à des orchestrations classiques. L'atelier m'a permis d'affiner mes idées et de les exprimer aussi précisément.
Juliette Baily : J'avais en venant ici l'idée d'utiliser le piano, puis en discutant avec les compositeurs j'ai découvert d'autres instruments que je ne connaissais pas. En me faisant écouter, je découvrais quels sons chaque instrument pouvait produire. La clarinette basse m'a par exemple intéressé. Mais je reste sur l'idée du piano, avec un thème en boucle, avec une ampleur qui laisse place au silence, et réfléchir comment cela peut raconter l'histoire de l'animation.
Angèle Chiodo : J'ai pas mal changé d'avis par rapport au début. Mes images sont un peu "cheep", avec du second degré, et j'ai appris que cela ne servait à rien de raconter la même chose au son. Je suis arrivé en pensant à une musique un peu stéréotypée et triviale, et je repars en me disant que je pourrais avoir tout de même quelque chose d'assez jolie.
Chen Chen : Pour moi, ce sera des instruments légers pour illustrer l'histoire sentimentale, pas d'orchestre, mais un accordéon. Même si un compositeur me l'a déconseillé car c'est beaucoup utilisé déjà, un peu cliché, cela ne me dérange pas, je ne suis pas né ici donc ce n'est pas connoté chez moi. Mon envie est de trouver une mélodie mémorisable, qui reste en tête.
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