François Faucon
- Publié le 22-04-2013Ce qui est certain chez John Williams, c'est qu'il est capable de tout composer, l'ampleur et l'excellence de sa carrière en témoignent (analyse à écouter sur France culture). Mais pour ce « Lincoln » de Spielberg, il y a tout de même des questions à se poser. C'est à se demander si le film a même été mis en musique tant celle-ci reste discrète. Pourtant, elle existe bel et bien (en écoute sur Deezer).
Que reste-t-il alors à l'audition du film ? Tout au plus quelques solos de clarinettes pour évoquer la liberté ou des traits de trompettes comme ultime douceur précédant les combats. Quelques envolées d'orchestre lorsque les représentants du peuple américain s'empoignent au sujet de l'abolition de l'esclavage et du 13ème amendement (envahissant dans le film). L'influence évidente (peut-être un peu trop...) d'Aaron Copland, compositeur si typiquement américain. Quelques fugaces intonations de l'Amérique profonde à laquelle l'Amérique nouvelle, libérée des chaînes de l'esclavage, tend la main. Pourtant, l'ensemble de la bande son peine à convaincre. Lenteur et longueur du film ? Parti pris idéologique (le postulat d'un Lincoln cherchant à libérer les esclaves par pure humanité fait sourire la communauté des historiens) qui « freine » la musique ? Scénario cantonné aux tortueuses tractations technico-juridiques de politiciens prêts à tout pour l'emporter ? Dans tous les cas, John Williams ne propose rien de neuf et reste plus convaincant ailleurs (l'oscar 2013 de la meilleure musique de films revient à Michaël Danna pour « L'odyssée de Pi »).
On objectera que cette discrétion de la bande son est peut-être un choix du réalisateur et/ou du compositeur et qu'il s'agit d'une posture intimiste voire même minimaliste. Ce reproche d'être « mièvre » sous prétexte qu'il ne compose pas une grande partition symphonique a déjà été asséné à John Williams, notamment pour « Stanley and Iris » en 1988 (en écoute sur Youtube) ou même l'excellent « The Terminal » (en écoute sur Youtube) en 2004 (lire la critique sur Cinezik). Mais lorsqu'une musique de film n'apporte aucune « plus-value » à l'image ; lorsqu'elle fait encore moins que paraphraser la pellicule ; lorsque son audition simultanée au film ne parvient pas même à distiller un fond d'ambiance ; lorsqu'elle ne prend aucune autonomie propre en dehors des salles de cinéma alors à quoi bon ? Et ce n'est pas le recours à l'orchestre de Chicago (état de l'Illinois, là où Lincoln travailla comme juriste...) et à son chef Riccardo Muti qui y change quoique ce soit. La raison d'une telle insipidité est peut-être tout simplement à chercher dans un partenariat avec Spielberg qui dure depuis longtemps, depuis si longtemps que l'on se demande encore s'il a quelque chose de probant à proposer...
Si l'on veut une musique bouleversante pour dénoncer l'esclavage, le racisme, l'apartheid et autres barbaries humaines, on se tournera vers John Barry pour Cry, the beloved country (En écoute sur Youtube) en 1995. Film impossible à voir en France et BO introuvable à moins d'en avoir les moyens financiers. La naphtaline a parfois sa raison d'être. Du moins, au fond des placards...
François Faucon
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