Cinezik : Comment avez-vous rencontré le réalisateur Thierry de Peretti ?
Cheveu : Nous l'avons rencontré par une amie commune. Le film a connu pas mal de rebondissements pour un premier film. Deux maisons de productions successives se sont intéressées au projet, et finalement, c'est Ferris & Brockman qui l'a produit. C'est au travers du premier producteur que l'on a rencontré Thierry. Il aimait bien un titre à nous qui était sorti sur un 45 tours, une face B qui s'appelle "C'est ça l'amour", un titre en français. D'ailleurs, il a fait des tentatives dans son film pour le placer mais ça ne s'est pas fait. ll était fan de ce morceau. C'est lui qui est venu vers nous. Il avait fait toute une série de répétitions avec ses acteurs en travaillant avec notre musique avant même que l'on se soit rencontré, ce qui est assez drôle.
Quelles ont été les discussions musicales avec le réalisateur ?
Cheveu : Il nous a fait une sélection de musique qu'il aimait, pas mal de musiques assez électroniques qui correspondaient à ce que les gens écoutent dans les clubs.
On s'est aperçu qu'il y avait effectivement un décalage entre l'univers du film (la corse, les paillotes, l'électro) et notre univers plutôt rock n'roll, proche du bruyant et du Lo-fi. Mais du coup cela apporte un côté décalé. Cela correspond aussi au travail sur notre prochain disque, où il y a un petit changement dans le son puisque nous sommes allés en studio en abandonnant un peu le côté Lo-fi.
Dans les échanges et les discussions avec le réalisateur, on s'est aperçu qu'il n'y avait pas vraiment de protocole pour travailler avec un réalisateur, pour comprendre la musique de film. C'était son premier long-métrage, et c'était notre première participation à un film. Il est vrai qu'on a essayé de le faire de manière un peu orthodoxe : au début on s'est échangé des morceaux, etc… mais je ne sais pas s'il y a une formule pour discuter de la musique avec un réalisateur. On n'a pas encore bien compris comment on fait, on découvre, c'est intéressant.
En tant que groupe de scène, comment avez-vous travaillé sur cette musique au service d'un film ?
Cheveu : Dans un premier temps, nous avons lu le scénario. Puis tout de suite après, Thierry s'est retrouvé à tourner en Corse, il avait besoin de matériel dans l'immédiat parce qu'il voulait mettre les comédiens en situation de réel. Il y a une scène dans le film avec des jeunes qui sont dans une villa et qui dansent, donc il nous a demandé un morceau. Vu le scénario et vu les morceaux sur lesquels on travaillait pour notre prochain disque, on a retrouvé le titre "Worms" dans nos démos pour l'utiliser dans le film. C'est un morceau avec un peu d'électronique et la voix de David, quelque chose de monstrueux qui renvoie au côté dramatique du film.
Vous avez donc utilisé des morceaux préexistants du groupe ?
Cheveu : On a cherché partout. On a tendance à beaucoup travailler en faisant des répétitions très longues, en enregistrant tout pour après découper dedans. On est passé par de nombreuses étapes, on a fait tous les exercices possibles : chercher dans les morceaux préexistants, prendre un morceau de démo sur le prochain album, fouiller dans les répétitions, écrire de nouvelles musiques, et au final, vu que le montage a été resserré (le film est passé d'1h50 à 1h18), il y avait moins de place pour nous. La musique ne collait plus avec le nouveau montage. Avec le montage quasi final, on s'est donc remis en studio pour jouer de la musique avec le film en tête, et on a écrit un petit thème que l'on a décliné dans différentes versions. On a ainsi un gros morceau principal et quelques maigres apparitions qui sont ce qu'on appelle de la nappe, de la musique d'ambiance. Le fait que le film soit basé sur des faits réels et qu'il soit tourné en 4/3 avec une image assez léchée donne une dimension documentaire qui est sensée être un peu la vérité. Il n'y a pas beaucoup d'effets, il n'essaie pas d'impressionner. La musique vient se coller au réel, elle n'est pas du tout onirique ou spectaculaire. Ce n'est pas facile de se placer.
La musique dans la scène de la villa est très psychédélique, et arrive juste au moment où tout bascule...
Cheveu : Oui, c'est le moment important du film, et cette musique fait son travail. Thierry a osé mettre un morceau relativement lent quasiment en entier. C'est rare dans les films mine de rien d'entendre des musiques en entier.
Pourquoi les musiques utilisées pour les autres scènes de fêtes ne sont pas les vôtres ?
Cheveu : On a essayé et ça n'a pas marché. On a collé la musique sur le son diégétique, pour le maquiller, et on arrive à un résultat très bizarre, qui ne correspondait pas avec cette fête de plage, à cette volonté de réalisme. On va probablement retravailler dessus pour mettre une chanson à nous. On est très mauvais pour faire de la house, de la dance ou du rap, mais l'exercice est amusant. Le film projeté à Cannes n'est pas une version finalisée. Ils ne sont pas obligés de payer des droits sur les musiques dans le cadre de la projection en festival. En revanche, pour l'exploitation en salles des questions de droits se posent, donc le choix d'utiliser nos musiques va s'imposer.
On peut entendre à divers endroits du film des nappes électroniques intervenant dans les scènes dramatiques. Elles semblent être annonciatrices d'un événement important dans un rôle de prédiction. Etait-ce une intention du réalisateur ?
Cheveu : On lui a proposé beaucoup de choses, et il s'est arrêté sur cette idée. Il voulait quelque chose de discret, du moins instrumentalement, pas comme le cinéma américain à la Larry Clark où c'est très illustré par des morceaux tout le temps. Ces nappes assez discrètes sonnent comme une musique électronique avec des voix dedans. Cela renvoie presque aussi à quelque chose de religieux avec des espèces de choeurs.
Est-ce que cette expérience vous a donné envie de travailler à nouveau pour le cinéma ?
Cheveu : Oui, si vous avez des idées, on prend !
Avec qui aimeriez-vous travailler ?
Cheveu : David Lynch, Martin Scorsese (rires). On aimerait bien travailler avec un réalisateur chinois, pour un film d'action, ou avec un réalisateur qui veut beaucoup de musique dans son film.
Quels compositeurs admirez-vous ?
Cheveu : Lalo Schifrin, Angelo Badalamenti, John Williams, John Carpenter, François de Roubaix et beaucoup d'autres.
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