Cinezik : Vous accompagnez les réalisateurs d'une nouvelle vague qui émerge au Mexique. Quelle est la particularité de ce nouveau cinéma mexicain ?
Leonardo Heiblum : Je pense que cette nouvelle vague dont vous parlez n'utilise pas beaucoup de musique. Je suis très amis avec ces réalisateurs, mais je ne collabore pas avec la plupart d'entre eux parce qu'ils n'utilisent pas de musique, comme Carlos Reygadas (POST TENEBRAS LUX) ou Amat Escalante (HELI). En 2009, j'étais à Cannes avec Rodrigo Pla (LA DEMORA), à la Semaine de la critique, lui utilise de la musique.
Vous avez en effet travaillé avec Rodrigo Pla, également avec Alejandro Landes (PORFIRIO) et Diego Quemada-Diez que vous retrouvez une deuxième fois avec JAULA DE ORO...
L.H : Il a fait un court-métrage avant, I WANT TO BE A PILOT, un très bon film. On s'est rencontré lorsqu'il était au festival de Sundance pour un film alors que j'y étais également avec un documentaire, IN THE PIT. C'était il y a sept ans et depuis on travaille ensemble.
LA JAULA DE ORO est un film très réaliste, le réalisateur vient du documentaire. Quelle a été la réflexion musicale pour ne pas altérer ce côté réaliste ?
L.H : Nous nous sommes mis d'accord pour seulement utiliser la musique à certains moments très spécifiques, par exemple quand le personnage rêve de la neige. C'est pour un peu sortir de l'aspect documentaire, mais sinon pour le reste du film on n'a pas mis beaucoup de musique, pour justement coller à cette veine du documentaire.
Qu'est-ce qui vous a inspiré pour votre partition ?
L.H : J'ai l'habitude d'écrire avec mon cousin Jacobo Lieberman. C'est vraiment très intéressant de travailler avec quelqu'un parce qu'on échange des idées, il m'en donne, je lui en donne, mais je laisse juste les images et l'histoire m'inspirer. Je regarde le film et ensuite je compose en laissant cette inspiration me guider dans l'écriture. Sur ce film en particulier, j'ai été inspiré davantage par l'atmosphère et les rêves du personnage.
Le piano et la guitare sont des instruments que vous pratiquez ?
L.H : C'est une guitare mexicaine traditionnelle qui s'appelle la Jarana. J'ai appris le piano et Jacobo joue de la guitare, mais nous utilisons divers genres d'instruments.
En tant que compositeur, qu'est-ce qui vous plait dans le fait de faire de la musique de film ?
L.H : J'aime quand la musique ne raconte pas ce qui se passe, ne vous indique pas ce que vous devez ressentir, mais quand elle intervient pour donner une autre voix au film, une force en plus. J'aime aussi les films sans musique, je n'ai aucun problème avec ça.
Vous étiez spectateur de quel type de films avant de faire de la musique de film ?
L.H : Je voulais faire des études de cinéma, mais depuis tout petit c'était vraiment la musique qui était dans ma vie. J'ai choisi la musique plutôt que le cinéma.
Vous auriez-pu réaliser des films finalement ?
L.H : Oui, mais peut-être, un jour...
Est-ce que finalement, avec ce désir un jour d'avoir voulu réaliser des films, vous comprenez quels sont les enjeux dans la collaboration avec un réalisateur ?
L.H : C'est la raison pour laquelle tous les musiciens ne peuvent pas être des compositeurs de musique de film, parce que c'est une collaboration. Mon cousin me dit toujours que nous sommes trois personnes à faire cette musique, lui, moi et le réalisateur. C'est une collaboration très intime. On organise un "Music Lab" à Mexico, un peu comme ce qu'ils font au festival de Sundance, et c'est basé sur cet aspect de la communication avec le réalisateur et comment communiquer avec.
Parmi les réalisateurs avec lesquels vous avez travaillé, certains étaient-ils un peu musiciens, sensibles à la musique ?
L.H : Oui, certains voulaient décider du ton, de la note. C'est mieux quand ils savent communiquer ce qu'ils veulent, ça m'aide aussi beaucoup. Mon vrai problème est quand ils ne savent pas.
Quel est votre regard sur la musique de film de manière générale ?
L.H : Je pense que c'est important quand on voit les réalisateurs qui travaillent avec les même compositeurs à travers les années, comme les Coen et Carter Burwell, une confiance s'établit et ça sert le film et le fait grandir. Quand le réalisateur fait vraiment confiance au compositeur, q u'il sait que le compositeur peut donner une nouvelle voix au film.
La partition de LA JAULA DE ORO repose sur quelques instruments (piano, guitare), quel est votre rapport à l'orchestre ?
L.H : Généralement, on n'écrit pas de musique orchestrale à cause du budget. On en a fait beaucoup auparavant, mais je préfère finalement les ensembles plus petits car c'est une musique plus intime, accessible. En plus, pour LA JAULA DE ORO, nous avons tout joué nous-même. Jacobo et moi allons faire un film en 3D sur le vol des papillons. C'est un très beau film et là, il y aura un grand orchestre. J'ai étudié la composition à Mexico, et j'ai étudié l'ingénierie et l'enregistrement en Floride. Ensuite je suis parti à New York pour travailler dans le studio de Philip Glass pendant un certain temps, et maintenant j'ai mon propre studio au Mexique. Donc je maîtrise la question.
La place de la musique était-elle définie précisément ?
L.H : On n'est pas arrivés trop tard sur le film, donc nous avons d'abord regardé avec le réalisateur le film sans musiques et nous avons décidé ensemble des moments où la placer. C'est intéressant car souvent on regarde des films avec de superbes musiques placées, avec Beethoven, etc… et le réalisateur veut que vous fassiez quelque chose comme ça, en mieux, et en un mois. Mais sur LA JAULA DE ORO, j'ai travaillé avec le réalisateur bien avant qu'il ne tourne.
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