,jarre-jm, - Interview B.O : Jean-Michel Jarre, à propos de son père Maurice Jarre Interview B.O : Jean-Michel Jarre, à propos de son père Maurice Jarre

,jarre-jm, - Interview B.O : Jean-Michel Jarre, à propos de son père Maurice Jarre

Interview réalisée à Lyon le 15 octobre 2013 par Benoit Basirico

- Publié le 17-10-2013




Jean-Michel Jarre, le célèbre musicien de musique électronique (Oxygène), a rendu hommage à son père, Maurice Jarre, illustre compositeur pour le cinéma (Laurence d'Arabie), à Lyon en 2013. Il déclarait alors : "C'est la première fois que je rends hommage à mon père... Dès mes 5 ans et le divorce de mes parents, je n'ai plus vu mon père pendant longtemps, cette absence m'a rongé. Lorsque nous avons eu plus tard l'occasion de nous revoir, nous ne parlions pas de musique, par pudeur." Cet hommage a ainsi permis à Jean-Michel Jarre de libérer sa parole pour la première fois à propos de son père. Il a accordé à Cinezik une interview où il revient sur sa musique, sur la figure paternelle et évoque son désir de prolonger l'œuvre de Maurice Jarre en signant lui aussi des musiques de films.

 Lire aussi notre interview carrière de Maurice Jarre (2006)

 

Interview exclusive de Jean-Michel Jarre

 

Cinezik : Dans quelle mesure votre père Maurice Jarre a pu contribuer à votre désir d'être musicien ?

Jean-michel Jarre : Quand j'ai commencé à faire de la musique, ce n'était pas du tout relié à l'existence de l'oeuvre de mon père, à cause de l'absence de relation que j'ai eue avec lui. Je me suis toujours dit qu'il valait mieux un conflit ouvert avec son père, parce qu'au moins il y a quelque chose qui existe contre lequel on peut se rebeller. Une absence est pire, car on est dans le vide, face à un trou noir. Donc quand je commence la musique, ce n'est bizarrement pas du tout lié au fait que j'ai un père compositeur. Je ne m'en rends pas vraiment compte. Ma mère m'encourageait à le faire. J'hésitais entre la peinture et la musique. Je vais finalement faire de la musique à travers ma passion de la peinture. Je jouais dans des groupes de rock. J'étudiais la musique au conservatoire de Paris. Je suis ensuite rentré au Groupe de Recherches Musicales de Pierre Schaeffer, c'est l'année 1968 où on remet tout en question. L'approche organique du son est proche de la peinture abstraite qui m'intéressait (Soulage, Pollock...), dans un travail sur la texture, sur le matériau. Tout cela est très peu lié à une identité que je voulais me forger par rapport à mon père.

Mais je réalise maintenant que sa musique de scène m'a beaucoup marqué quand j'étais très petit. Le premier spectacle que j'ai vu était en plein air pour le premier festival d'Avignon. Il y avait déjà ce sens de l'espace sur le plan musical. Il a fallu que j'attende aujourd'hui pour réaliser que c'était quelque chose qui a dû me marquer pour faire ce que j'ai fait, forcément.

Aviez-vous le sentiment de devoir faire vos preuves, de devoir vous faire un prénom ?

JMJ : Il n'y a jamais eu le besoin de me faire un prénom dans la mesure où le nom de mon père n'était pas connu où je vivais. Et puis la musique de film n'était pas au devant de la scène comme aujourd'hui. Je n'avais pas ce problème.

Quand vous faisiez vos spectacles son et lumière, avec un rapport entre la musique et l'image, pensiez-vous au travail de votre père ?

JMJ : Je n'ai jamais considéré que je faisais du son et lumière. J'ai toujours eu la vision du concert comme un évènement unique. Les concerts en extérieur proviennent des gens du voyage qui posent leur chapiteau le temps d'une journée, et disparaissent le lendemain. Je me souviens des cirques Amar, Pinder... Cela m'a donné cette vision du concert en extérieur et du rapport à l'image, d'autant que je venais de la peinture. Je pense que si je n'avais pas fait de musique, j'aurais fait de l'architecture. J'ai découvert bien après que mon père avait créé un des premiers spectacles son et lumière. C'était au Château de Chambord, dans les années 50.

Mon approche de la musique a toujours été de fournir la bande son du film que chacun peut avoir dans sa tête. C'est à partir de là que je vais imaginer une scénographie, une visualisation de ma musique, ce qui d'une certaine manière est l'anti-MTV, en ne voulant surtout pas intégrer un contenu narratif, mais dans le souci de prolonger l'arrangement sonore dans l'arrangement visuel, de continuer à laisser les gens se raconter leur propre histoire. C'est un peu une activité de compositeur de musique de film à l'envers.

Pourquoi n'avez-vous pas fait plus de musiques de film jusqu'à maintenant (quelques films dans les années 70) ?

JMJ : Inconsciemment, j'ai toujours considéré que c'était le territoire du père. Et avec les concerts et les albums que je faisais, ce n'était pas la peine d'aller sur un territoire déjà très occupé. Aujourd'hui, j'ai un peu évolué, j'ai envie d'en faire pour lui. C'est assez nouveau ce que je sens par rapport à ça.

Quel type de collaborations imaginez-vous pour le cinéma ? Quel type de musiques de films vous intéressent aujourd'hui ?

JMJ : Tout dépend d'une rencontre. Pour mon père, il y a eu la rencontre fondatrice avec Georges Franju qui lui a mis le pied à l'étrier du cinéma français, en commençant ensemble par des court-métrages pour donner lieu ensuite à des films très particuliers dans l'approche sonore. Puis plus tard, il y a eu la rencontre avec David Lean qui va être le point de départ de sa carrière à Hollywood, et d'une nouvelle manière d'utiliser le thème, de manière plus systématique et obsessionnelle. Continuer cela m'intéresserait aujourd'hui, dans la rencontre avec un réalisateur qui a les moyens de ses ambitions. Le cinéma indépendant m'intéresse plus que le cinéma des gros studios, car la plupart du temps les réalisateurs ne décident plus la musique de leur film. Il y a des superviseurs qui sont chargés d'établir la bande son, et les studios s'en désintéressent, à partir du moment où la musique répond à des critères économiques de décoration du film. La liberté du compositeur s'est rétrécie. Elle n'existe plus que dans le cinéma indépendant. Malheureusement, je ne la trouve pas assez dans le cinéma français. Je trouve, à de rares exceptions, que les réalisateurs français ne sont pas très audacieux. Je pense à Tarantino. Même s'il utilise de la musique existante, voilà quelqu'un qui a une vision bien précise du son que ses films doivent avoir. La musique fait partie du chromosome de son cinéma. Ils ne sont pas nombreux. Il y a aussi David Fincher avec Trent Reznor et Atticus Ross ("Social Network"), un bon exemple, et puis Cliff Martinez avec Soderbergh ("Traffic"). C'est dans cette direction-là que je voudrais aller.

Comme pour Delerue ou De Roubaix, une descendance s'occupe de faire perdurer l'oeuvre du compositeur disparu. Est-ce que vous pensez pouvoir contribuer à cette tache pour Maurice Jarre ?

JMJ : Des choses sont bloquées à cause de sa veuve qui n'a pas les même vues que ma soeur et moi sur la manière d'exploiter ses musiques. Je pense que par rapport à ma position dans le monde de la musique, ce serait très facile pour moi d'arriver à "exploiter" ce catalogue, au bon sens du terme. Il y a des choses qui devraient être faites et qui n'ont pas encore été faites. J'espère qu'un jour ce sera possible.

Et rendre hommage à votre père dans votre propre musique, par la reprise d'un thème par exemple, vous y pensez ?

JMJ : C'est quelque-chose qui murit en moi. Thierry Fremaux qui m'a demandé de faire cet hommage au Festival Lumière de Lyon m'avait déjà fait cette proposition immédiatement après le décès de Maurice, pour le Festival de Cannes. Il voulait qu'on organise un concert devant le Palais des Festivals. Je trouvais que c'était trop tôt. Il fallait digérer. Faire l'hommage à Lyon cette année a du sens, puisque c'est notre ville. A l'avenir, j'aurais envie de faire un hommage musical, comme reprendre un thème ou une oeuvre. Je voudrais bien le faire sur un strict plan émotionnel et affectif, que sa musique puisse résonner à travers sa descendance, et résonner tout court vers un public d'une autre génération.

 

Interview réalisée à Lyon le 15 octobre 2013 par Benoit Basirico


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