gravity,price, - Gravity (Steven Price, 2013), des pistes élégiaques associées à un sound design soutenu et répétitif Gravity (Steven Price, 2013), des pistes élégiaques associées à un sound design soutenu et répétitif

gravity,price, - Gravity (Steven Price, 2013), des pistes élégiaques associées à un sound design soutenu et répétitif


par Quentin Billard

- Publié le 28-12-2013




Soucieux de varier ses collaborations musicales, Alfonso Cuaron a décidé de confier cette fois-ci la partition de « Gravity » à Steven Price, compositeur britannique ayant été assistant de Trevor Jones (« Dark City ») puis monteur pour Howard Shore (« Lord of the Rings ») et Hans Zimmer (« Batman Begins »). Après avoir composé en 2010 la musique additionnelle pour le film « Scott Pilgrim vs. The World » d'Edgar Wright et signé le score de « Attack the Block » en 2011, Steven Price livre enfin pour « Gravity » une partition synthético-orchestrale plutôt sombre, dense et mélancolique, évoquant les thèmes de l'isolement, de la solitude et du danger dans l'immensité spatiale.

Dès les premières minutes de la partition, on est d'emblée happé par le son électronique et résolument atmosphérique de la partition, avec une dose supplémentaire de spiritualité à travers l'emploi de sonorités cristallines et de vocalises féminines éthérées, dès la seconde moitié de « Above the Earth ». Ici, Price a la bonne idée de jouer sur l'idée du silence dans le vide spatial, avec un premier crescendo synthétique dissonant qui deviendra l'un des éléments-clé du score de « Gravity » : à noter que le crescendo est d'ailleurs brusquement interrompu par un effet d'edit brut, un truc souvent employé par les compositeurs dans les musiques d'horreur/suspense lorsqu'il s'agit de souligner un effet particulier - malheureusement, le compositeur va un peu trop en abuser tout au long du film ! - Ici, Steven Price se montre à l'aise dans le sound design et le maniement des sons, n'oubliant pas pour autant la partie symphonique dont il dispose, l'orchestre ayant été enregistré à Londres avec un effectif conséquent, le choeur du Metro Voices et quelques solistes additionnels (alto, violoncelle, harmonica de verre, orgue et vocalises de Lisa Hannigan, Haley Glennie-Smith et Katherine Ellis). Les premiers morceaux du score s'articulent essentiellement autour du sound design et de l'électronique, avec l'utilisation constante de glissandi aigus et menaçants des cordes et des synthés, dès le début de « Above Earth » mais surtout lors de la catastrophe au début du film dans « Debris » puis le menaçant et intense « The Void ». Ici, comme dans le film, Steven Price joue sur une sensation d'immersion dans un univers claustrophobique où le danger est omniprésent, idée personnifié par ces montées de tension en glissando progressif intense, et une accumulation de dissonances. La partie orchestrale reste ici mise en retrait, bien souvent limitée aux cordes, en plus des vocalises féminines associées à Ryan Stone dans le film, tandis que « Atlantis » introduit le violoncelle soliste qui apporte un aspect plus humain au récit. Niveau sound design, Price utilise ici un sample récurrent, celui des parasites d'ondes radios que l'on retrouve tout au long du score, pour évoquer les émissions radio en provenance de la terre, samples mixés discrètement en arrière-fond sonore mais très présent notamment au début de « Don't Let Go » et de « ISS ».

Si les premiers morceaux se limitent à de simples montées de tension menaçantes et agressives, avec ces effets de cuts bruts dont Price abuse malheureusement un peu trop fréquemment à la fin de la plupart des morceaux (une facilité agaçante qui aide le montage dans le film mais gâche complètement l'écoute sur l'album), le très long « Don't Let Go » introduit la deuxième partie du score, plus mélodique et tonale, à l'aide d'un violoncelle mélancolique élégiaque. Ici, les synthétiseurs trouvent un juste équilibre avec l'orchestre et les vocalises féminines, apportant aux images un sentiment de désolation, de tristesse mais aussi d'espoir et d'humanité. La musique se révèle poignante lorsqu'il est question de la survie, du retour vers la terre. Dommage que « Don't Let Go » retombe très vite dans l'anarchie musicale de « Debris » ou « The Void », bien que l'on appréciera ici la présence accrue de l'orchestre durant cette nouvelle montée de tension agressive vers la cinquième minute du morceau (qui totalise les 11 minutes !). C'est aussi l'occasion pour Steven Price d'introduire ici le thème romantique/dramatique qui évoque aussi bien le lien entre Ryan et Kowalski et l'idée de l'espoir et de la survie, thème souvent confié aux cordes et forcément plus mélodique et accessible, rompant avec le caractère plus difficile d'accès du début. A noter l'emploi d'un piano vaporeux et méditatif dans « Airlock » qui reflète ici une émotion plus discrète, tandis que le danger reste bien réel lors de la scène de l'incendie dans la navette avec « Fire », morceau d'action survolté aux rythmes électroniques banals et prévisibles. Idem pour l'intense « Parachute », qui s'avère être un peu trop long (plus de 7 minutes). « Aningaaq » introduit quand à lui des sonorités cristallines dans une atmosphère planante empreinte d'introspection et d'une douce mélancolie, alors que Ryan se retrouve seule à bord de l'appareil, isolée de tout. La tension monte de façon plus dramatique avec une détermination évidente dans l'imposant « Tiangong » et ses accords dramatiques et solennels prenants, tandis que « Shenzou » utilise quelques beats techno/électro personnifiant le danger lors de la traversée de l'atmosphère à la fin du film. C'est l'occasion pour Steven Price de laisser son thème se développer enfin dans son intégralité avec une puissance remarquable, à la manière des grands anthems/hymnes façon Hans Zimmer ou Vangelis (on ressent ici une influence évidente dans les harmonies du « Thin Red Line » de Zimmer). Impossible de ne pas se laisser emporter par la puissance émotionnelle et élégiaque de « Shenzou », qui apporte un sentiment de triomphe, d'espoir et de libération à la fin du film - malgré un caractère beaucoup plus impersonnel - espoir qui se concrétise lors de la conclusion de « Gravity », avec un dernier envol orchestral sur fond de rythmes de guitare et de vocalises féminines lors du retour sur terre.

Steven Price signe donc une partition plutôt intéressante pour « Gravity », qui, à défaut de révolutionner la musique de film, nous propose une illustration musicale saisissante de cette expérience cinématographique intense dans l'espace, notamment grâce à l'emploi d'un sound design riche et soutenu (bien que trop souvent répétitif et un peu lourd par moment) et de pistes orchestrales plus dramatiques et élégiaques, notamment vers la fin du film, plus mélodique et accessible. Maniant les sons avec une certaine dextérité, Steven Price apporte une atmosphère dense, sombre et froide aux nombreux plans dans l'espace, même si l'on regrette parfois l'omniprésence de la musique à l'écran, là où il aurait été plus judicieux de jouer davantage sur les silences et de renforcer l'absence de son dans le vide spatial (du coup, cette sensation est quasi annihilée tout au long du film par la présence de la musique). Néanmoins, et malgré un côté inégal et des défauts agaçants (notamment cette fâcheuse tendance à couper systématiquement la plupart des morceaux par un cut brut), le score de « Gravity » reste aussi bien réussi dans le film que sur l'album, où l'on peut apprécier davantage les différents détails d'un score à la fois atmosphérique et dramatique, qui apporte un poids émotionnel évident aux images, parfois même sans grande finesse - notamment à la fin - quitte à verser dans un style plus hollywoodien pur, mais pourtant posé parfaitement sur les images. Certes, ce n'est peut être pas la BO de l'année, mais « Gravity » n'en reste pas moins un bien bel effort de la part du jeune Steven Price, qui gagne à se faire connaître davantage au cinéma et sur des projets tout aussi mémorables, qui sauront probablement l'inspirer.

 

par Quentin Billard


En savoir plus :

Vos avis