shadow-recio,recio,alonzo,@, - Lorenzo Recio / Gilles Alonzo - 'SHADOW' et son fantastique du quotidien Lorenzo Recio / Gilles Alonzo - 'SHADOW' et son fantastique du quotidien

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- Publié le 03-02-2014




Le court-métrage SHADOW, film fantastique tourné à Taïwan, présenté en compétition au Festival de Clermont Ferrand 2014, est le nouveau film du réalisateur français Lorenzo Recio. Il nous parle de sa première collaboration avec un compositeur de musique de film, Gilles Alonzo, lequel évoque son approche sur la partition de ce film.

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Après des études de langue et de comptabilité, Lorenzo Recio s'oriente vers les métiers de l'image. Tout d'abord dessinateur pour la bande dessinée, il réalise en 1997 son premier film (en animation) LE BAL DU MINOTAURE et débute une collaboration avec le compositeur d'électro-acoustique Xavier Garcia qu'il retrouve sur ses films suivants (L'INFANTE, L'ÂNE ET L'ARCHITECTE, LE MARIN ACÉPHALE, LISA). Guitariste depuis l'enfance, il participe aux BO de ses films (MADEMOISELLE M, RED SHOES). Pour son film fantastique tourné à Taiwan SHADOW (2014) qu'il présente au Festival de Clermont Ferrand, il collabore pour la première fois avec un véritable compositeur de musique de film : Gilles Alonzo.

De quelle nature était votre collaboration avec Xavier Garcia ?

Lorenzo Recio : Il fait de la musique électro-acoustique. Donc il n'est pas un compositeur « classique » ayant étudié l'harmonie ou le contrepoint. Son travail se situait entre le bruitage et les sons organisés. Cela m'intéressait car il faisait toute la bande son. Et pour un film d'animation comme LE BAL DU MINOTAURE (1997), on n'a pas de bande son, il fallait tout créer. Il s'agissait ainsi pour notre premier film d'inventer du bruitage et des sons en travaillant sur des samples de musiques contemporaines (Ligeti, Pierre Henry). Le film était terminé quand la collaboration a commencé.

Votre compositeur intervient à la fin ?

L.R : Pas systématiquement. Dans LE MARIN ACEPHALE (2005), il y avait une scène de cabaret donc il fallait faire la musique avant. Pour LISA (2007), j'avais prévu un passage où la jeune fille pouvait danser sur la musique. Il y a donc des scènes dans mes films où la musique préexiste.

Vous êtes crédité à la musique de vos films... êtes-vous musicien vous-même ?

L.R : J'ai fait 2/3 ans de solfège dans un conservatoire de jazz, mais j'ai toujours été réfractaire à l'enseignement de la musique. J'ai de gros problèmes pour lire les partitions. Donc je compose à l'oreille. J'ai appris la musique par transmission orale. Comme je faisais du flamenco en tant que guitariste, on apprenait tout par coeur et visuellement. Je joue donc de la guitare depuis que j'ai 12 ans. J'en joue d'ailleurs pour RED SHOES (2012). Mais je n'ai jamais vraiment composé seul la musique d'un film. Avec Xavier Garcia, comme il venait de l'univers de l'électro-acoustique, il était moins à même d'avoir une approche mélodique de la musique de film. Pour L'INFANTE, L'ÂNE ET L'ARCHITECTE (2001), un film qui se passe dans l'Espagne baroque du 17e siècle, j'avais envie de l'aborder en pensant aux films japonais. J'avais chez moi une vieille mandoline achetée aux puces à Stuttgart. J'ai donc composé des petites mélodies utilisées dans le film en complément du travail sonore de Xavier Garcia. Pour LISA (2007), j'ai écrit des mélodies sur lesquelles les musiciens ont improvisé. J'ai généré des matériaux revisités par Xavier Garcia. Il y a dans ce film une part de mélodies, de l'improvisation, et Xavier Garcia qui récupère ces matériaux pour en faire autre chose.

Quelle est votre participation musicale sur votre dernier film SHADOW (2014) ?

L.R : Je joue là aussi un peu de guitare, surtout pour la musique de fin. Mais tout ce qui relève de la musique instrumentale avec les cordes et le piano, c'est le compositeur Gilles Alonzo. J'ai écrit tout ce qui correspond aux « musiques d'ascenseurs », ce qu'on entend en fond lors des scènes de magasins. Je ne me voyais pas demander à Gilles de faire cela, ce ne sont que des musiques d'arrière plan et cela m'amusait de le faire. Mais la musique de Gilles est vraiment dominante dans le film.

Quelle est la genèse de ce projet tourné à Taiwan ?

L.R : Pour l'histoire, on a eu une aide à la Résidence d'artistes de la Chaise-Dieu avec un autre projet de film que j'avais écrit, qui s'appelait « La Croqueuse », qui se passait en 1930 autour d'une histoire d'amour cannibale. J'imaginais une musique de début de siècle dernier, du type Eric Satie. Je pensais donc à Gilles, d'autant plus qu'il y avait cette résidence pour laquelle il fallait un compositeur. J'ai donc envoyé ce projet. Je pensais à Gilles car je connaissais son travail magnifique sur LES MIETTES (2008) de Pierre Pinaud. Mais le projet n'a pas pu se faire. On a donc gardé l'aide pour un autre projet basé à Taiwan, sur lequel je ne voyais pas de musiques instrumentales savantes. J'ai donc demandé à Gilles s'il était partant pour aller dans une autre direction. Le film n'était plus « Paris 1920 » mais « Taiwan 2012 ». Il était partant. Je lui ai donc envoyé le Storyboard sur lequel il a commencé à imaginer sa musique.

Gilles Alonzo : Puisque nous avions l'aide de la Résidence, j'étais obligé d'enregistrer la musique avant même de voir les images du film. Alors tout est parti sur l'idée d'un thème. C'était une volonté de Lorenzo. C'est la première proposition que je lui ai faite. On est ensuite parti là dessus pour approfondir ce thème principal. Puis Lorenzo n'était pas du tout convaincu au départ par l'idée du quatuor à cordes. C'est suite à ma proposition de thème qu'il a vu que cela pouvait fonctionner.

Quelle est la spécificité de votre travail en commun ?

L.R : Dans mon travail avec Xavier, j'ai toujours travaillé avec des musiques modulables. C'est important pour moi de pouvoir jouer sur la musique aussi bien sur les strates que dans le temps. Souvent, quand on met la musique sur le film, on a envie qu'elle soit plus courte, ou moins étoffée, avec peu d'éléments. Comme un mécano, je peux ajouter des choses, enlever des pièces. Cela donne une grande latitude. Quand on travaille avec un compositeur qui vient de la musique écrite, c'est plus compliqué. Ce qui est écrit commence et se termine avec une note précise. Les partitions sont architecturées de manière à ce que cela devient compliqué d'y toucher. Mais en même temps, Gilles est quelqu'un d'ouvert et à l'écoute. On s'est donc entendu pour instaurer un système où la musique demeurait flexible dans ce qu'il composait. Il m'a donc également proposé des textures.

G.A : Ce travail avec Lorenzo ne correspond en rien à ce que j'ai pu faire jusque-là. Déjà, c'est la première fois que j'écrit avant que le film soit tourné. Puis c'est la première fois que je donne au réalisateur de la matière en lui laissant la possibilité de couper où il voulait. Le réalisateur prenait ma musique comme un matériau de base. Il avait l'habitude de fonctionner ainsi. Il m'avait expliqué sa méthode de travail. Je viens du monde de l'écriture donc j'étais un peu décontenancé. Mais je me suis dit que ça valait le coup de tenter l'expérience. J'avoue que cela donne quelque chose d'intéressant. On s'est assez bien entendu, il y a eu une confiance réciproque qui s'est assez vite créée. Une fois que le film était monté avec mes musiques, Lorenzo à son tour me demandait de retravailler dessus. Il y a même une musique qui a été retravaillée autrement. Juste avant l'accident, la musique est intégrée au bruitage. C'est un travail nouveau pour moi, ce qui ouvre de nouvelles pistes. J'ai beaucoup travaillé auparavant sur le film muet, que ce soit au CNSM ou avec LES MIETTES, donc SHADOW est vraiment le premier court-métrage sonore sur lequel je travaille. En même temps, Lorenzo n'est pas si éloigné du cinéma muet, notamment sur LISA. Je comprend qu'il ait pu être intéressé par mon travail sur LES MIETTES. De mon coté, j'ai pu voir les films de Lorenzo, j'aime bien connaitre l'univers du réalisateur avec lequel je travaille, cela fait une bonne base pour commencer à échanger sur le travail effectué.

Comment avez-vous appréhendé cette collaboration d'un nouveau type ?

L.R : J'étais excité. Jusque là je faisais des musiques qui grincent, des choses qui font peur, donc ce n'était pas évident de me retrouver à gérer la question de la musique autrement. Est-ce qu'elle est là pour raconter ce qu'on va ressentir, quel est son positionnement dans le film ? Une musique instrumentale peut plus facilement tendre vers l'émotion, le sentiment, donc il a fallu trouver le terrain sur lequel cette musique pouvait s'épanouir, en laissant au film une part d'étrangeté et de mystère, et en même temps une part de sensibilité. Gilles était d'une grande patience pour y parvenir.

G.A : Même en étant musicien, Lorenzo avait tout de même un petit complexe par rapport à la musique avec une certaine peur dans son utilisation. Mais le dialogue était souple entre l'image et la musique. On a trouvé très vite un langage commun.

Comment s'est conçue la musique du spectacle des ombres qui ouvre le film SHADOW ?

G.A : La musique du spectacle des ombres qui ouvre le film a été conçue en plusieurs phases. Il y a eu une première phase de recherche de thèmes. Ensuite j'ai écrit le score pour l'enregistrement à la Chaise-Dieu. Puis il y a eu le tournage. Et pendant le montage, Lorenzo a utilisé un certain nombre de musiques que j'avais enregistrées, qu'on a retouchées pour que cela fonctionne avec le montage. J'ai donc refait un travail d'écriture en recomposant certaines musiques à partir des enregistrements.

Comment la musique a pu convoquer l'aspect asiatique ?

L.R : C'était une évidence. J'ai envoyé à Gilles des musiques conçues par des musiciens chinois lors de représentations de théâtres d'ombre. Il a créé ensuite sa propre musique originale à partir de ces références. Je lui ai proposé d'intégrer ces percussions chinoises à son propre travail sur les cordes. Il a su créer l'identité du film.

G.A : Lorenzo m'avait fait parvenir les musiques de théâtre d'ombre pour que je puisse trouver des percussions qui s'en approchent. Cela a donné la musique du générique de début ainsi que celle de la scène de transformation dans le dernier tiers du film. Concernant ces percussions, on ne connaissait pas de musiciens capables de les jouer et on n'avait pas le budget, donc ce sont des sons numériques.
Taïwan fait le grand écart entre le monde occidental et le monde asiatique. Il était intéressant d'avoir d'un coté les racines et l'héritage de la culture asiatique avec la couleur des percussions, et d'un autre coté le quatuor à cordes qui est la référence du monde occidental.

Comment avez-vous travaillé l'aspect fantastique de SHADOW ? Il s'agit d'un véritable film de genre, chose rare dans le court-métrage français de qualité...

L.R : J'ai déjà pratiqué ce genre, notamment avec LE MARIN ACÉPHALE, où on était dans un monde merveilleux. Là, j'avais envie de confronter le fantastique à notre époque contemporaine, avec un univers plus naturaliste, pour peu à peu basculer dans une dimension fantastique convoquant certains éléments comme la contamination, la transformation... Le fantastique m'intéresse depuis toujours. C'est un point de vue imprenable pour parler de la société et de l'humain. On a une liberté. Je me bats pour ce genre qui n'est pas aussi évident à produire en France que la comédie ou le drame social. Je ne suis pas un grand consommateur de films fantastiques purs et durs. Pour moi le fantastique, c'est Buñuel, Lynch... Dernièrement j'ai adoré « Morse ». SHADOW s'inspire de ce fantastique du quotidien, urbain, où le glissement permet de parler de la société de l'image avec un individu en marge qui est relégué à l'ombre de la société et tombe amoureux d'une icône qui est dans la lumière. L'idée était de mettre cela en image. J'aime aussi Carpenter qui est également dans ce type de fantastique avec « Invasion L.A » et « The Thing ». J'adore d'ailleurs ses musiques, de très mauvais goût, c'est un maitre pour moi. Carpenter est comme moi, c'est un musicien frustré qui profite de ses films pour faire de la musique. Et le fantastique se prête bien à cette liberté musicale.

G.A : Le genre du fantastique est ce que je trouve le plus excitant en ce moment. Cela donne une grande liberté de ton et de larges possibilités musicales. Cela autorise les grandes formations. Je suis ainsi plus tourné vers le cinéma anglo-saxon, anglais ou américain. Tout ce qui est français me passionne moins. En France, il y a plus de comédies ou de drames sur lesquels il est plus délicat de convoquer un orchestre symphonique. Mais Lorenzo est une exception que j'aimerais retrouver.

Interview réalisée à Paris le 27 janvier 2013 par Benoit Basirico


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