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La musique est le sujet de votre premier film JE SENS LE BEAT QUI MONTE EN MOI (2012), d'où est venue cette idée ?
Yann Le Quellec : La musique est à la fois au coeur de mon désir du film, et au coeur de l'histoire elle-même. Il s'agit d'une femme dont le corps est pris de gesticulation dés qu'elle entend une mélodie. J'ai découvert l'actrice Rosalba Torres Guerrero lorsque je suis allé voir un spectacle du chorégraphe Alain Platel (« Out of Context »), un hommage à Pina Bausch dans lequel je la trouvais gracieuse. Elle me faisait penser à un film de Jacques Tati. Aussi, je voulais tourner avec Serge Bozon car on a tous les deux une passion pour la Northern Soul. C'était une évidence que ce film allait être musical. Mais je ne voulais pas que le film soit musical de manière classique, avec le temps de la musique et le temps du récit. La musique est imbriquée au récit. Il ne fallait pas non plus qu'on ait l'impression d'une chorégraphie au sens classique car sinon on ne croyait plus au côté animal du syndrome du personnage. Le fait de travailler avec une grande danseuse était lumineux.
Et concernant votre deuxième film LE QUEPA SUR LA VILNI !, quelles étaient les intentions initiales ?
YLQ : Comme pour le premier film, le genre musical préexistait au film. Autant le premier était urbain et Northern Soul, autant je voulais que le second soit rural et folk.On y retrouve ainsi des musiques Cajun, Tim Buckley ou le groupe La Mal Coiffée.
Pourquoi le choix de Christophe dans le rôle du maire ?
YLQ : J'aime le chanteur et son physique m'intéresse, mais ce n'étaient pas les raisons initiales. J'écris cette histoire sur le maire d'un village perdu qui décide d'ouvrir un cinéma et projète le film « Panique sur la ville !». Pour faire venir des gens, il confie à Bernard Menez une troupe d'hommes-sandwich à vélo dont les pancartes reconstituent le titre du film. Puis je rencontre Christophe à une soirée où il me parle de son amour du cinéma et de sa collection de bobines. Du coup, il était le personnage. Tout ce qu'il dit dans le film est d'ailleurs improvisé.
Et on entend à la fin du film sa chanson « Les paradis perdus »...
YLQ : Il a retravaillé sa chanson pour le film. La version du film est un mélange entre un concert et des enregistrements qu'on a faits chez lui en fonction des besoins du film.
Contrairement à votre premier film où la musique existait dans l'image pour les personnages, la musique est ici essentiellement entendue par le spectateur en OFF...
YQL : En effet, la musique accompagne le récit, mais n'est pas le moteur narratif. Sauf dans une scène centrale, lors de l'arrivée du maire au village, des gens se mettent à chanter un morceau du groupe La Mal Coiffée, avec une chorégraphie car tout le village se met à danser autour de ce maire. On y voit Romeu Runa, extraordinaire danseur, avec qui j'ai failli travailler sur mon premier film, et qui avait travaillé avec Alain Platel et Rosalba. Sur cette scène, je me suis chargé des comédiens hommes-sandwich, tandis que Romeu s'est occupé, tout en dansant, de la chorégraphie du village.
Dans cette scène, la musique est réaliste, a t-elle était enregistrée au moment du tournage ?
YLQ : C'est le seul moment dans le film où c'est la musique du tournage qui est utilisée. Tous les autres moments musicaux sont des musiques qui préexistent. J'aime bien la collision entre des musiques existantes qui ont leur propre univers avec l'imaginaire d'un film. C'est comme une réaction chimique. Parfois on a de belles surprises.
Cela peut déstabiliser, peut paraitre incongru, comme la présentation des hommes-sandwich sur leur vélo qui défilent les uns après les autres en gros plan sur le morceau « Prenez courage » de Cleoma Breaux. Cette musique Cajun a des mots de français reconnaissables, mais en même temps il y a des mots Créoles que l'on ne comprend pas. Il y a ainsi un effet proche de ce que j'essaie de mettre en oeuvre dans les films, avec un univers pas totalement réaliste. On ne sait pas en quelle année on est, ni dans quel lieu. Il y a une dimension utopique, mais ce n'est pas non plus de la science fiction. Il y a une forme de cohérence interne. On est à la lisière du conte ou de la fable. On peut se raccrocher à des mots que l'on connait, mais il y a aussi un espace pour l'imaginaire. « Le Vieux Soulard Et Sa Femme » (autre musique Cajun de Cleoma Breaux) est une sorte de musette très gaie, alors que les paroles disent des choses horribles sur un gars qui tape sa femme. Je trouve intéressant ce mélange de légèreté et de choses très graves.
Les musiques étaient-elles envisagées dés l'écriture ?
YLQ : La plupart des musiques envisagées ont changé au montage. Pour le plan d'ouverture, je voulais la chanson "Roadrunner" des Modern Lovers. Les cyclistes pédalent lentement pour éviter de passer trop vite dans le plan. La musique était alors trop rapide, cela donnait l'impression d'une image mollassonne. Ce n'était donc plus possible.
Pour JE SENS LE BEAT QUI MONTE EN MOI, vous aviez travaillé avec un superviseur musical (Jacques Denis de The Players), était-ce le cas sur LE QUEPA SUR LA VILNI ?
YLQ : On a travaillé avec un superviseur sur le premier film pour les questions de droit, mais sur ce film je me suis occupé moi-même de négocier les droits avant le tournage, notamment pour « Les Paradis perdus » de Christophe car il était évident que ce serait ce titre pour le plan-séquence de fin.
Que pensez-vous de la musique originale et de la collaboration avec un compositeur ? L'envisagez-vous ?
YLQ : Je me pose souvent cette question, mais je n'ai pas la réponse. Il y a tellement de musiques qui suscitent chez moi des images, j'ai souvent l'impression que la musique de film accompagne le film sans me toucher. Donc je n'envisage pas de collaborer pour l'instant avec un compositeur. Mais paradoxalement, je fais en ce moment une bande dessinée sur Michel Magne (compositeur des « Tontons flingueurs »), mais ce n'est pas tant son travail de musicien qui m'intéresse que sa vie folle à la dimension romanesque. La BD sera axée sur son histoire d'amour. J'ai ainsi rencontré sa femme. Musicalement, ce que j'aime chez lui c'est sa capacité à l'irrévérence.
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