Cinezik : Quel a été votre parcours avant de concevoir avec LES MANÈGES HUMAINS (2013) votre première BO ?
Thomas Hellman : Je suis auteur-compositeur-interprète et même chroniqueur à la radio. Je suis arrivé à la chanson par la littérature. Mes parents sont profs, mes grands-parents sont profs, mes arrière-grands-parents sont profs... et moi j'ai fait des études de lettre. Encore aujourd'hui, la chanson que je fais met beaucoup l'accent sur les mots. Et la musique que j'écris est attirée vers le minimalisme, vers le dépouillement. En ce moment, je fais une série de chroniques à Radio Canada sur l'histoire de la musique américaine pendant la crise des années 30. Je suis en train de présenter aux auditeurs ces chansons folks du début du siècle qui sont à la fois extrêmement évocatrices, très profondes, qui atteignent des thèmes universels à travers une énorme simplicité et un énorme dépouillement. Des vieilles chansons blues qu'on été écrites par Robert Johnson ont encore une pertinence aujourd'hui parce qu'elles atteignent l'universel avec cette simplicité. Je suis moitié américain et moitié français. Ma mère vient de Nice et mon père vient d'un petit village au Texas. Mes parents sont d'abord rentrés à Paris puis j'ai été élevé à Montréal, entre les deux langues, entre les deux cultures. Ma musique s'inspire ainsi du folk américain.
Comment le réalisateur Martin Laroche est venu à vous proposer son film ?
T.H : Il me connaissait déjà comme compositeur. Il avait utilisé une de mes chansons pour un court-métrage. Quand il a commencé à travailler sur ce film, il est venu me le proposer. Je ne savais pas trop quoi répondre parce que j'en avais jamais fait avant. Ce qui m'a tout de suite interpellé dans les images, ce sont les scènes de cirque. Quand j'ai vu ces scènes, j'ai tout de suite pensé à toute la mythologie qui entoure le cirque aux USA, surtout à la fin du 19ème et au début 20ème, avec un son folk. Le réalisateur voulait surtout que j'illustre ces parties-là. J'entendais une musique très dépouillée, acoustique. Et on avait un très petit budget, comme c'est souvent le cas pour les films d'auteurs. Il se trouve que je pouvais jouer quasiment tous les instruments tout seul. J'ai pu tout faire dans mon petit studio. J'avais un piano, la guitare, le banjo, et je passais d'un instrument à l'autre en manipulant des machines. J'ai aussi invité de très bons musiciens pour ajouter quelques couleurs, mais j'ai surtout cherché un son acoustique minimaliste-folk pour explorer plus loin cette mythologie du cirque américain.
Il y a aussi des chansons dans le film...
T.H : Les chansons sont tirées de mes albums. Je les ai retravaillées un peu pour le film, j'en ai raccourci, j'ai rajouté des éléments... Le film a aussi un propos très dur (il parle de l'excision). Il y a d'ailleurs une scène assez difficile à recevoir pour le spectateur. Je voulais surtout ajouter de la légèreté et de la lumière. Il y a de la lumière dans les images d'amitié entre les jeunes. Je voulais illustrer l'été de mes 20 ans, dans un mélange de joie et de nostalgie. C'est ce que j'ai voulu capturer. Je ne voulais pas aller dans le pathos. Je ne voulais pas mettre l'accent sur la tristesse, ni sur le côté tragique de l'histoire.
Y a-t-il une similitude entre les chansons de vos albums et la musique originale conçue pour le film ?
T.H : La musique que je fais en tant qu'auteur-compositeur et la musique que j'ai faite pour le film sont des musiques qui mettent l'accent sur le silence, le dépouillement, la simplicité, ce qui peut se rapprocher d'une musique des années 20-30. Je travaille quand même beaucoup la mélodie et la rythmique, mais toujours dans le sens du dépouillement, un dépouillement sophistiqué. Miles Davis disait que "la vraie musique, c'est le silence". La musique ne fait qu'encadrer ce silence. Composer de la musique c'est travailler les pauses, les silences, les espaces entre les notes. Tant pour cette musique de film que pour mes albums récents, je travaille en enlevant des choses pour aller à l'essentiel.
Vous est-il ainsi arrivé sur LES MANÈGES HUMAINS de vouloir retirer de la musique là où le réalisateur en voulait ?
T.H : Le réalisateur m'a donné carte-blanche. J'ai fait plusieurs propositions mélodiques et nombreuses sont celles qu'il n'a pas utilisées. J'ai fait beaucoup de chansons ou de mélodies qui ne se sont pas retrouvées sur le film. On a beaucoup travaillé dans le sens du dépouillement. Dans son idée de faire un faux documentaire, il travaille aussi avec les contraintes du minimalisme. Je trouvais intéressant que la musique reflète cette recherche.
A quel moment êtes-vous intervenu sur ce projet ?
T.H : Je suis intervenu avant le montage final. J'ai vu une première version du film, plus longue, où il y avait plus de mots, plus de scènes à illustrer. Certaines scènes que j'ai illustrées ne se sont pas retrouvées dans le montage final. On a aussi eu un problème sur des scènes que j'avais illustrées sur un timing très précis et qui se sont retrouvées plus longues ou plus courtes. Il a fallu retravailler la musique.
Pour ce premier travail à l'image, comment avez-vous vécu la collaboration avec un réalisateur ?
T.H : C'est la première fois que je collaborais avec un réalisateur. J'ai eu la chance de tomber sur un réalisateur qui connaissait déjà ce que je faisais. Quand il a fait appel à moi, il avait une idée assez claire de ce que j'allais faire. Donc il ne m'a donné presque aucune contrainte, hormis le choix des scènes que je devais illustrer. Sinon c'était une collaboration très libre. Si je dois travailler avec un réalisateur qui veut me faire faire de la techno, avec pleins de chanteurs, des danseurs, ce n'est pas mon style. Un réalisateur qui travaillera avec moi aura envie d'aller dans un sens plus acoustique, une musique dépouillée.
En tant que spectateur, quels films et musiques aimes-tu ?
T.H : J'aime le son des westerns spaghetti, l'approche musicale américaine, ainsi que les musiques de film faites par Miles Davis, c'est brillant. C'est l'un de mes musiciens préférés.
Miles Davis avait improvisé sa musique pour "Ascenseur pour l'échafaud", est-ce votre cas avec votre guitare ?
T.H : Absolument. De toute façon, je suis incapable d'écrire la musique. J'ai appris la musique par un oncle folk-singer qui m'a montré des accords à la guitare. Ma grand-mère jouait du banjo. C'est comme ça que j'ai appris la musique. Je ne peux pas écrire les notes. Ainsi, je regardais le film, je prenais ma guitare, et j'improvisais. J'avais une petite machine enregistreuse qui prenait mes impros. Ce n'est pas loin de Miles Davis, aussi d'un autre film que j'ai beaucoup apprécié : "Dead Man" avec la musique de Neil Young. Même mes albums ont une grande part d'improvisations. Je travaille avec des musiciens de folk, des musiciens de jazz à Montréal, qui viennent de cette école-là.
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