Cette interview résulte d'une conférence donnée au Festival d'Aubagne 2014.
Voir notre page dédiée au festival
Quel a été votre parcours avant de monter votre boite d'édition Cristal Records ?
Eric Debègue : J'ai commencé par être comédien et danseur. J'ai lancé une première structure, "Cristal Production", en 1992. Elle avait pour objet de produire mon premier spectacle créé autour de la danse et de la mode. En sympathisant avec des musiciens et des compositeurs de jazz, je me suis rendu compte qu'on avait les mêmes problématiques en tant qu'artistes (les salles à trouver, les fonds...). On a donc créé un collectif qui existe toujours. Aujourd'hui, il y a 690 artistes-membres dédiés au spectacle vivant et à son accompagnement. On a aussi un pôle de formation. Il n'y a pas de recherche de profit mais surtout une velléité à vraiment accompagner les projets et répondre à leur besoin. Le "Labo de la musique de film" est une formation autour de la musique à l'image qu'on a mise en place en septembre dernier dans le cadre du Festival de la fiction de La Rochelle, avec le soutien de la Sacem. "Cristal Production" accompagne donc les artistes dans leurs projets. Mais après, ils ont bien souvent besoin d'un disque pour les faire avancer. On a commencé par faire un disque, puis deux disques... et le label est né. Le collectif initial étant associatif, j'ai créé une société pour pouvoir facturer mes honoraires. J'ai pu recruter une première personne en 1996. Puis on a racheté un vieux cinéma de Rochefort pour le transformer en magnifique studio d'enregistrement. On a mis un orchestre dedans. Je me suis ainsi spécialisé dans la production.
Votre activité a un aspect militant : le label est fier de son indépendance, en rupture avec le système des majors, et de son caractère décentralisé par le fait de rester ancré à La Rochelle...
E.D : Cela n'a pas été simple au départ. On a eu beaucoup de mal à trouver un distributeur. Les débuts de l'activité label ont été très difficiles. Aujourd'hui, on a pu montrer qu'en province on pouvait faire des choses aussi importantes qu'à Paris. C'était un gros combat. Je n'ai jamais voulu céder à la tentation de la facilité. Aujourd'hui, on a structuré Cristal Records en 6 labels dédiés pour environ 600 albums. Pour les BO de films, le label s'appelle "BOriginal ". On a aussi un label enfant, jazz, accordéon... Chaque style est un métier différent, avec d'autres artistes, d'autres médias, d'autres salles de spectacles, d'autres rencontres. Chaque métier a sa sphère et c'est intéressant de passer de l'une à l'autre. Et il est important de faire des liens entre chaque.
Avec la fameuse crise du disque, est-ce une activité rentable ?
E.D : On fait encore de la BO mais il ne faut pas se leurrer : ce n'est pas avec la vente de disques que l'on vit. On perd 50 000 euros par an sur l'activité discographique. Le disque est juste une manière de promouvoir l'œuvre. Je suis là pour accompagner les œuvres et les gens qui les créent. La scène et les médias jouent aussi ce rôle, même si les médias sont pour la plupart archaïques, il faut toujours leur envoyer le disque avec un dossier de presse, ils ne veulent même pas recevoir un disque dans une pochette cartonnée mais dans le boitier, ce qui représente un coût. On veut faire bouger ça. On a développé une plateforme pour que les médias puissent uploader ce qu'ils souhaitent.
Le numérique a tout de même pu réduire les coûts ?
E.D : Le compositeur est beaucoup moins invité aux radios quand on transmet les musiques en digital. Le CD demeure un support de prestige pour beaucoup. Aussi, l'ADAMI refusait d'accorder des subventions à la production de disques sous prétexte qu'il n'y avait pas un distributeur physique derrière. Hormis les gros labels, tous les petits labels indépendants fonctionnent ainsi. Au final l'ADAMI ne finançait que les projets de gros labels. Ce n'est pas possible. Ils viennent donc de changer leur règle, on peut désormais leur envoyer un dossier en déposant une musique numériquement.
Aujourd'hui, les grands labels se spécialisent plutôt dans la librairie musicale (musiques pré-enregistrées destinées à être synchronisées à l'image), tandis que Cristal Records persévère dans la musique originale...
E.D : On est très atypiques dans notre manière de travailler. Les librairies musicales envoient des CD à travers le monde entier à destination des monteurs, des producteurs, qui viennent piocher dedans pour en faire leurs musiques additionnelles. De mon côté, je veux apporter aux compositeurs une vraie visibilité, une vraie implication sur un film, et proposer aux réalisateurs de nombreux services. Ainsi, on peut apporter une compétence dans le choix des compositeurs ou en tant que soutien aux compositeurs, en nous occupant de la production exécutive. On propose aussi des musiques additionnelles à partir de notre catalogue, car des musiques de films que vous avez pu faire il y a deux ans peuvent être réutilisées. La musique d'un film a une vie après le film. On a décidé de la reproposer.
A quel moment dans le processus intervenez-vous ?
E.D : C'est assez variable. On a développé deux axes parallèles. On intervient d'une part auprès des producteurs avec lesquels on travaille depuis très longtemps, et puis aussi auprès des compositeurs que l'on accompagne. Le plus souvent les compositeurs m'appellent pour les mettre en relation avec la production. Je négocie son contrat, je défends sont intérêt. Dans ce cas, j'interviens dès le début du processus et je m'occupe de tout (agent, éditeur, "papa", music-supervisor).
Vous êtes donc également en charge de définir le budget pour la musique ?
E.D : Le compositeur me donne toutes les informations, m'indique ses besoins, et je me charge du budget. On établit ensemble un devis, à partir des demandes du réalisateur. Et j'interroge la production sur ce qu'ils ont. Je fais en sorte de trouver des financements (comme l'aide Sacem) avant de solliciter les budgets des producteurs.
Comment cela se passe dans le cas où vous êtes appelé par un producteur ?
E.D : Je travaille surtout avec des producteurs qui comprennent le rôle de la musique et qui l'apprécient. Pour les autres, mon but est de leur faire comprendre l'intérêt de la musique, et leur dire qu'un orchestre a un coût. Je suis un médiateur, j'essaie de trouver le bon compromis. On a tout un travail de pédagogie auprès des producteurs. Par exemple, les producteurs de LA GRANDE VIE (2009) d'Emmanuel Salinger m'ont appelé car ils trouvaient dans mon catalogue une musique qui leur plaisait. Puis de fil en aiguille, on a embauché un compositeur, Pierre Bertrand, pour une musique originale et on a sorti la BO. On l'a faite pour le promouvoir. On l'a envoyée à toutes les radios pour qu'il soit invité partout. Il est mon premier compositeur, on travaille toujours ensemble, je suis son éditeur exclusif.
Assurez-vous l'activité de Superviseur musical, c'est à dire choisir les musiques préexistantes et en négocier les droits ?
E.D : Oui, mais pas personnellement. Je suis entouré. Dans l'équipe, on est 22 personnes. Donc j'ai des gens qui ont des compétences diverses et variées. J'ai ainsi une personne qui négocie les droits, une autre qui s'occupe des propositions de titres. L'obligation est d'abord d'aller voir dans notre catalogue s'il y a quelque chose qui correspond. On propose toujours des morceaux issus de notre catalogue d'anciens films et d'anciens disques.
Vous arrive-t-il souvent de placer un compositeur sur un film ?
E.D : C'est extrêmement rare. Très souvent, c'est le compositeur qui m'appelle. Et parfois, le compositeur et le réalisateur se connaissent déjà. D'ailleurs, je me bats pour travailler sur des rencontres, très en amont. Les binômes se créent dans le temps, le réalisateur sait à qui il s'adresse, il y a une confiance, une sincérité. C'est un confort nécessaire pour les réalisateurs. Il est très difficile de mettre en relation deux personnes qui ne se connaissent pas. Après, je joue souvent au pompier. J'arrive au moment où il y a eu un clash entre un compositeur et un réalisateur. On m'appelle au secours quand il n'y a plus de temps ni d'argent. A 50% des fois, j'interviens quand il y a eu des problèmes sur le film, soit le réalisateur a été viré, soit le compositeur s'est désengagé. Il faut trouver une autre solution. Maintenant, il y a l'inconvénient des chaînes de télévision qui imposent leur compositeur en prenant l'édition de la musique.
Quels sont vos projets récents ?
E.D : J'ai fait 60 films en 12 mois. Il y a la musique de Renaud Barbier pour LE DERNIER DIAMANT de Eric Barbier (sortie le 30 avril 2014). On fait aussi des séries pour la télévision. On vient de terminer une série pour la Suisse. On travaille beaucoup avec Béatrice Thiriet (on sort la musique de BIRD PEOPLE, le film de Pascale Ferran sélectionnée au Festival de Cannes 2014), avec Christophe La Pinta avec qui on vient de démarrer une nouvelle série, "Shérif".
Interview B.O : Audrey Ismaël (Le Royaume, de Julien Colonna)
Interview B.O : Audrey Ismaël (Diamant brut, de Agathe Riedinger)