Cinezik : Quelle est la méthode particulière de Pascale Ferran concernant la musique de ses films ?
Béatrice Thiriet : Lors de notre première collaboration sur PETITS ARRANGEMENTS AVEC LES MORTS, elle a commencé à me parler d'une méthode qui était nouvelle pour moi. Elle voulait travailler sur des formats de musiques très courts, elle m'a dit : "écoutez, vous me prendrez peut-être pas au sérieuse, mais moi j'imagine des formats très courts qui peuvent aller de 6 à 20 secondes". Finalement, on a toujours été au-delà, parce que 6 secondes c'est vraiment très très court. Elle a envie d'aborder la musique de la première à la dernière note. Ce qui l'intéresse dans les musiques dans les films, c'est quand ça commence et quand ça finit, le choc des apparitions et disparitions, plus que le discours de la musique en lui-même.
Est-elle donc entièrement responsable du choix des emplacements de musiques ?
B.T : C'est une vraie discussion, on travaille ensemble. On cherche en regardant le film, on voit ce qui va, ce qui ne va pas, on laisse la musique à sa place ou on la décale un petit peu. On essaie directement sur le film. Ensuite, il y a une deuxième commande pour retravailler les musiques, plus courtes ou plus longues.
Etes-vous intervenu dés le scénario pour tous les films de Pascale Ferran ?
B.T : J'ai toujours lu le scénario. La lecture est très importante pour moi, j'ai des idées en lisant des livres, je suis une littéraire, quand je lis un scénario le film commence déjà à résonner dans ma tête.
Etes-vous plus inspirée par le texte que par l'image elle-même ?
B.T : L'image me donne beaucoup de sources d'inspiration, mais les thématiques et les couleurs musicales viennent déjà à la lecture du scénario. Pour BIRD PEOPLE, c'est en voyant les images avec cette mobilité que j'ai eu l'idée d'une musique cartoonesque à la Tom et Jerry, pour la seconde partie du film.
Pour BIRD PEOPLE, la musique dans le film déploie une large palette de styles...
B.T : En effet, il y a des musiques très très intimistes avec un son de piano seul, ou avec quelque chose de très léger au violoncelle. Il y a aussi un grand orchestre, ainsi qu'une musique un peu plus électro qu'on a appelé "techno choc", avec une grosse batterie et un orchestre, une sorte d'électro-symphonique. Et puis j'ai écrit une musique qui est entendue dans un bar avec une référence à un vieux standard américain. Il y a eu beaucoup de possibilités d'écriture. Ce film est aussi pour moi la chance que ce soit un film contemporain, pour aller chercher un langage d'aujourd'hui dans la composition musicale. L'idée qu'il y ait pas des instruments solo, c'est de la conception moderne. Aujourd'hui, on travaille pour des espaces musicaux beaucoup plus petits, 3-4 instruments. L'époque contemporaine aime le solo, le duo, le trio, le quatuor... cela vient peut-être du rock. Alors que l'écriture de LADY CHARTTERLEY, c'est du symphonique d'un bout à l'autre, c'était cohérent avec un film historique. Alors que pour BIRD PEOPLE, il y a la recherche d'une immédiateté, d'une simplicité, d'une nudité aussi.
Quel rôle la musique avait à jouer dans BIRD PEOPLE ?
B.T : On travaille sur l'idée que la musique doit faire naître quelque chose, une émotion, un visage, un mot, jamais être en commentaire, jamais être en soutien, être libre en fait. C'est pour cela que dans BIRD PEOPLE il y a une grande richesse au niveau de l'instrumentation. Et puis pour cette histoire d'une jeune femme qui va avoir une révélation extra-sensorielle, l'idée était de ne pas du tout tomber dans le film de genre, le film fantastique. Je suis très contente de ce travail qu'on poursuit avec Pascale Ferran. A chaque film, on arrive à développer un langage et à ne pas satisfaire à des recettes. Elle fait des films très particuliers et très peu conventionnels, je ne vois pas pourquoi moi j'écrirais une musique conventionnelle.
Dans BIRD PEOPLE, il y a aussi des musiques preéxistantes, comment avez-vous joué avec elle ?
B.T : Il y a la chanson récurrente de "La Javanaise" d'un bout à l'autre du film. J'ai donc fait mon arrangement au piano de "La Javanaise" de manière très nue. Julien Doré a repris la chanson. Et puis Anaïs Demoustier la fredonne. Donc il y a comme une récurrence de ce thème-là.
On a aussi beaucoup travaillé sur des choses que j'avais déjà composées. Pascale a décidé d'utiliser une oeuvre de piano, "La Nuit", que j'ai composée et enregistrée entre LADY CHATTERLEY et BIRD PEOPLE pour la mettre dans le casque et l'Ipod d'un voyageur du RER au début du film.
Et puis il y a surtout "Space Oddity" de David Bowie qui ouvre un super moment du film, un vrai moment cadeau.
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