Cinezik : Quelles ont été les discussions sur la musique avec le réalisateur Joseph Cedar ? Quels mots a t-il employé pour vous guider ? Avait-il des références ?
Amit Poznansky : Avant de commencer le travail sur la musique, l'ingénieur du son Alex Claude et Joseph Cedar avait créé une musique temporaire, qui s'appuyait entièrement sur le travail du compositeur russe Alfred Schnittke. Cela m'a donné une idée du langage de la musique que le réalisateur recherchait, et m'a servit comme une ligne directrice principale à travers mon travail.
Depuis le début, le réalisateur avait prévu un score néo-classique avec des touches modernes. Au fur et à mesure que nous discutions de la musique, nous étions d'accord que ça ne devait pas être sentimental, et étions intéressés par le drame et la passion. Pour certaines scènes, nous voulions que le score soit évocateur des films d'animation, et dans la partie finale du film, nous voulions que la musique ait une nature dure et brutale, un genre « Oedipe tragique ».
Quand êtes-vous intervenu ? Lors de l'écriture ou à l'étape du montage ?
A.P : J'ai commencé à travailler sur la musique quand le film était presque fini, après l'étape finale du montage. Généralement je préfère travailler avec un film fini, complet que sur un scénario, où des choses peuvent souvent changer du texte à l'écran. Personnellement je trouve plus facile de me référer aux éléments cinématographiques quand je compose la musique, et cela donne un meilleur résultat.
Y-a t-il eu un travail de synchronisation pour le rythme dans les séquences ?
A.P : Oui . Pendant le processus d'écriture, j'ai créé toutes les répliques du film sur un séquencier, utilisant un "click track", et synchronisé avec les images visuelles. J'ai créé des sons MIDI - base de maquettes des répliques dans mon studio - ils étaient aussi proches que possible du produit final et étaient revus par le réalisateur et la production. Après approbation, elles étaient utilisées comme une référence musicale jusqu'à ce que nous enregistrions la musique finale en direct avec un orchestre symphonique complet.
Parlez-nous de votre travail autour des thèmes ?
A.P : Il y a des thèmes centraux dans la musique, avec des alternances et occasionnellement mélangés. Par exemple, la musique d'ouverture est un montage de fragments de tous les différents éléments qui apparaîtront plus tard dans le film.
Le thème principal du film est une mélodie sarcastique et chromatique, qui débute la plupart du temps par un solo de clarinette. Bien qu'il n'y avait pas de plan spécifique pour lier les thèmes musicaux avec les différents personnages, ce thème apparaît dans la plupart des scènes menées par le personnage du fils, Uriel Shkolnik.
Dans la séquence décrivant la vie d' Eliezer Shkolnik, le père, c'est plus coloré, comme du Bach pour les thèmes composés au basson.
Un autre thème revient occasionnellement, basé sur des cordes jouant pizzicato : il apparaît dans les scènes les plus fragiles, intimes et peut être même les moments mystérieux du film.
A travers le film, j'ai basé l'utilisation et le développement des thèmes sur les scènes dramatiques. La musique doit être plus ou moins rapide selon les moments, parfois c'est répété, et le choix de l'orchestration varie aussi.
Ce qui m'a fréquemment guidé est l'expression des personnages, le regard aussi bien que la façon dont le film est monté et le rythme dans les différentes scènes.
Quel rôle doit jouer la musique dans un film selon vous ? Et dans celui-ci en particulier ?
A.P : Je pense que la musique doit, en général, suivre et compléter la cinématographie et l'action dramatique, exprimant et améliorant les sentiments et les événements.
Le silence et les pauses musicales jouent aussi un rôle clé, et on doit savoir quand la musique doit rester de côté et ne pas intervenir. Les dynamiques sont des éléments cruciaux dans la musique de film, en particulier quand la musique est orchestrale.
La langue de la musique que nous avons choisis pour FOOTNOTE mène et dirige les émotions visuelles, interprétant le monde intérieur du personnage principal. Il y a plusieurs moments dans le film dans lesquels la musique a un premier rôle et mon approche pour écrire allait dans le même sens que les films muets, ou à un genre plus vieux de musique de film comme ceux des premiers films d'Hitchcock.
Cinezik : Comment avez-vous rencontré la réalisatrice Shira Geffen et comment s'est déroulée cette collaboration ?
Amit Poznansky : J'ai rencontré Shira Geffen via le concepteur sonore du film, Alex Claude, qui m'a recommandé au moment de l'étape finale du montage son. J'ai vu le film que j'ai vraiment adoré. Peu de temps après, j'ai rencontré Shira et j'ai commencé à travailler immédiatement. Nous étions totalement en accord en ce qui concerne le type de partition nécessaire pour le film.
Quelle était la nature de vos discussions musicales?
A.P : Ayant eu relativement peu de temps pour écrire la musique, j'ai travaillé la plupart du temps avec la réalisatrice dans mon studio à discuter du type de musiques à envisager pour chaque scène, et les finaliser ensemble. Le processus était très agréable. Une fois que j'ai créé le thème principal pour l'une des scènes, le reste de la partition en a découlé, dans le même style, avec la même palette instrumentale. L'approche principale était de rester délicat et subtil avec la musique, et de ne la placer qu'à quelques endroits dans le film.
On peut entendre dans le film différents types de musiques. Avez-vous écrit toutes ces musiques de source ?
A.P : La musique de ce film est divisée en trois catégories :
1) Il y a le thème, qui est un prolongement de la pièce de Paul Duka "L'apprenti sorcier" qu'on entend en sonnerie de téléphone portable, avec un arrangement pour orchestre lors de la scène où Michal (la femme israélienne) reçoit les affaires de l'ETACA (école d'ingénieurs).
2) Il y a le Score, la musique originale provenant de l'un des fragments musicaux de Duka et développé dans les différentes scènes, combinant à la fois des instruments acoustiques et électroniques.
3) Puis il y a le Sound Design conçu par Alex Claude et Daniel Meir, ainsi que des musiques de source existantes, comme la chanson de rap joué dans les écouteurs de Nadine (la femme palestinienne).
Chaque type de musique fonctionne parfaitement dans les différentes scènes et participe à la dynamique de l'intrigue.
La musique vient dans les moments de trouble des personnages ...
A.P : On voulait avec la réalisatrice que la musique soit objective et atmosphérique, qu'elle ne dise pas au public ce qu'il doit ressentir. Il y a un aspect un peu surréaliste, avec un côté fantastique, bizarre, mais elle est toujours douce-amère, délicate et minimale.
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