par François Faucon
- Publié le 07-07-2014La psychologie de Maleficent est le fondement même du matériau musical de cette partition. Et l'ultime phrase du film prononce toute l'ambivalence du personnage : « Maléfique était l'un et l'autre ». De fait, c'est bien ce qu'elle est : à la fois lumière et ténèbres dès sa prime enfance. Belle comme un ange, elle se nomme pourtant Maléfique. Trahie par un jouvenceau au cerveau déjà ravagé par l'ambition du pouvoir et qui préfère l'amputer de ses ailes plutôt que de se salir les mains, elle se met à haïr avant d'avouer, dans le huit clos d'une chambre d'adolescente, qu'elle aime à en mourir. Sombre comme la nuit, elle aime à être damnée une enfant, fraîche comme le jour. Elle souhaite voir cette enfant mourir, mais la sauve et veille sur elle jusqu'à vouloir annuler le maléfice qui doit la condamner au sommeil éternel. Pourtant, l'histoire ne raconte pas pourquoi cette jeune fée pleine de vigueur et d'enthousiasme se nomme de façon aussi noire. Peut-être parce qu'elle porte en elle les germes du mal, celui qui naît lorsque, fût-ce par la malfaisance des autres, on acquiert un pouvoir supérieur sur autrui. A moins que ce ne soit parce que Maleficent est maléfique et non mauvaise. La différence ? L'être maléfique est nuisible aux autres grâce à des méthodes surnaturelles. Et Maleficent est en effet nuisible aux autres, essentiellement en la personne du roi Stéphane, son bourreau. Mais elle est d'un amour sans limite pour Aurore...
Pour caractériser ce personnage, le disque s'ouvre avec ce qui, dans le film, constitue le générique de fin : l'extraordinaire « Maleficent suite ». La tonalité et le matériau de base sont donnés : contrastes dans les registres pour épouser l'ambivalence du personnage principal. La première minute dit tout et passe en cinquante secondes des menaçantes contrebasses posant l'atmosphère sombre du film, aux aigües angéliques des clarinettes. Cette opposition dans les registres se retrouvent tout au long de la partition : chœur d'hommes/chœur d'enfants ; instruments graves/instruments aigües ; plage musicale lumineuse et enchanteresse/plages sombres et maléfiques. De la même façon, le film oppose le monde inique des hommes à celui, par définition féérique, des Landes.
Maleficent est une partition qui prend le temps d'exposer ses thèmes ; jusqu'à sept minutes pour « Maleficent is Captured ». Certainement parce que le film comporte peu de dialogues et beaucoup de belles images qui sont justes belles... Le scénario lui-même, des plus basiques, évite au spectateur de trop réfléchir... Par voie de conséquence, le compositeur a toute latitude pour s'exprimer et dire, par la musique, toute l'émotion que les autres techniques d'expression ne peuvent rendre. Cette volonté de donner à la musique le temps dont elle a besoin pour arriver à sa pleine maturité génère des thèmes nombreux, précis et en opposition les uns avec les autres, toujours pour souligner l'ambivalence de Maléfique. L'un des thèmes lumineux s'entend parfaitement dans « The Queen of Faeriland » à 1'10, exposé aux cordes accompagnées des chœurs. Le tout sur un rythme de valse. Absolument magnifique.
Quant aux thèmes plus sombres, ils se retrouvent aisément. Notons celui qui ouvre « Maleficent suite » et que l'on retrouve dans « Battle of the Moors », toujours joué par des instruments graves (contrebasse, basson, trombones, etc.).
Le choix de jouer sur les contrastes est simple mais efficace et confère à la partition une rare clarté dans le propos musical. L'autre grande force est la clarté de l'orchestration. C'est incontestablement l'une des immenses qualités de JNH, toujours à l'aise avec les grandes formations symphoniques : un hautbois solitaire évoquant le doute, la peine et le malheur ressentis au fond des forêts dans lesquelles Maléfique cache son désarroi ou fomente ses noirs desseins de vengeance ; la flute et la clarinette évoquant la fraîcheur d'Aurora et l'amour avec Maléfique ; le basson ou le tuba sur certains passages mystérieux ; la harpe pour créer l'atmosphère propre aux contes de fées ; l'omniprésence du piano, force de caractérisation dans la musique de JNH ; les impressionnantes et très wagnériennes parties de cor. Chaque instrument s'entend indistinctement des autres et forme un tout cohérent, base minimale de toute écriture musicale symphonique ; base trop souvent oubliée... L'équilibre des voix musicales est exemplaire pour une musique de films (et pourrait encore être amélioré en concert, notamment sur certaines secondes voix ou certains timbres instrumentaux à parfaire).
Cette clarté du propos musical est d'autant plus appréciable que JNH se débarrasse ici de l'influence de Hans Zimmer et de son écurie Remote Control (sauf peut-être dans « The Christening », notamment les percussions et le synthétiseur à partir de 2'40). Cette influence décennale a trouvé son apothéose dans un étroit partenariat sur deux des trois opus de la trilogie Batman réalisée par Christopher Nolan. A titre personnel, je serai curieux de savoir pourquoi JNH n'a pas participé au dernier volet, musicalement hideux. Quoiqu'il en soit, cette influence a considérablement dilué son identité musicale dans un fatras de synthétiseurs assourdissants, dans les perpétuelles boucles, répétitions et ostinati bon marché dont nous sommes désormais coutumiers grâce à certains blockbusters hollywoodiens. Dans la brève interview qu'il consacre à la musique de Maleficent, JNH semble être sorti de cette période (encore qu'il ne s'en est jamais plaint explicitement, peut-être parce qu'il n'en ressent pas le besoin...). Il y parle d'une incroyable opportunité ; d'un retour à la tradition façon Disney ; du personnage de Maléfique, prise comme une figure wagnérienne ; d'une connexion étroite entre la musique et le caractère des personnages qu'elle vient rehausser. Le contrat est rempli, avec succès.
Enfin, le cahier des charges ne serait pas complet sans la traditionnelle chanson : Once upon a dream. Elle est ici interprétée par Lana del Rey (parolier : Sammy Fain ; compositeur : Jack Lawrence) et reprise du célèbre thème de Tchaïkovski dans le ballet homonyme. C'était déjà le thème principal dans le film d'animation de 1959, revisité ici dans une version plus grave et plus menaçante. Et la voix de Lana del Rey (choisie par Angelina Jolie si l'on écoute ce qui se dit) s'accorde parfaitement au personnage ambivalent (amour/haine) de Maleficent : mélange d'aigus au style « petite fille » (amour, innocence) et de graves sombres confinant parfois au gothique, au sauvage (haine/déception amoureuse). Les paroles soulignent l'amour éprouvé par Maleficent, amour perdu puis retrouvé, ailleurs, et de façon inattendue en la personne d'Aurora.
L'interprétation est lente comme s'il fallait souligner, non les « gesticulations » du ballet classique ou la fraîcheur du conte pour enfant, mais la noirceur, la profondeur et le drame du personnage principal. Rappelons que, bien avant d'être un conte sous la plume de Charles Perrault, Sleeping Beauty est l'histoire d'un viol datant du 14ème siècle... Or, qu'est-ce que le drame de Maleficent si ce n'est le viol de ses sentiments les plus intimes ? l'atteinte à son intégrité physique par la privation sauvage de ses ailes ?
Si cette musique se marie superbement avec les images (à l'exemple de « Maleficent Flies »), elle dit tout et raconte l'histoire aussi sûrement que le film. Il faut donc prendre le temps d'écouter cette partition de JNH, à la croisée de l'amour et du maléfice. Le retour aux sources, à un certain classicisme a du bon.
Selon moi, l'influence de Bruckner, « grand-père de la musique de films » (mais aussi de Wagner et peut-être du Zarathoustra de Strauss) est manifeste, par exemple dans « Path of Destruction ». L'influence du compositeur allemand dans la musique de films ferait, cela dit en excusant la digression, un superbe sujet de thèse en musicologie. Ce classicisme symphonique permet au compositeur de livrer une partition de grande facture tout en recouvrant une voix musicale qui lui est totalement personnelle et qu'il n'avait plus mobilisée depuis longtemps. Et c'est certainement cela le plus important.
par François Faucon
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