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Cinezik : Quel a été votre travail en tant qu'orchestrateur pour Dario Marianelli et Patrick Doyle ?
Benjamin Wallfisch : Quand j'avais 23 ans, j'ai écrit la bande originale d'un film qui s'appelait DEAR WENDY (de Thomas Vinterberg, 2004). Dario a entendu cette musique et m'a demandé de travailler avec lui sur les films pour lesquels il composait la musique à cette époque. Je ne connaissais même pas le rôle d'un orchestrateur. J'avais toujours pensé que les compositeurs eux-même se chargeaient de l'orchestration mais je n'avais que 23 ans et j'étais complètement naif. En fait, les plannings de réalisation des films ne laissent pas assez de temps aux compositeurs pour cela. Ainsi, c'était vraiment une opportunité très intéressante de collaborer avec lui sur l'élaboration de ces bandes son et c‘était un formidable apprentissage. J'étais très jeune et je n'avais pas tant d'expérience que ça en terme de musique de films. Or, il y a beaucoup d'aspects pratiques qu'il s'agit de comprendre et de maitriser pour faciliter le lien avec le client, ce qui est le plus important, et pour assurer l'aspect collaboratif en impliquant bien le réalisateur. Pour cela, il vous faut vraiment une super équipe autour de vous donc j'ai eu beaucoup de chance que Dario me fasse suffisamment confiance pour m'inclure dans une équipe uniquement constituée de 3 personnes: lui, son ingénieur du son et moi-même. Pendant environ 7 ans, nous avons fait 25 films ensemble dont certains avaient des bandes son particulièrement magnifiques, comme par exemple "The Atonement", "V for Vendetta", "Pride and Prejudice". Ces films étaient extraordinaires en eux-même et le travail que j'ai pu faire au niveau des finitions, en dirigeant l'exécution et en faisant les arrangements de la musique m'a permis de vraiment m'imprégner de ce qu'était la composition de musiques de film à un très haut niveau, et ce, tout au début de ma carrière. Cela m'a beaucoup aidé dans mon travail de compositeur aujourd'hui en me permettant de comprendre tous les tenants et les aboutissants de la narration par la musique mais également de la communication avec les clients, de l'implication des réalisateurs: faire en sorte que ces derniers sentent qu'ils peuvent exprimer leur créativité et leurs idées sans limites. Donc oui, je me considère vraiment chanceux d'avoir pu expérimenter tout cela avant de le vivre aujourd'hui en tant que compositeur moi-même.
Avec Dario Marianelli et Patrick Doyle, votre travail était-il purement technique ou y avait-il également une part de créativité?
B.W : Je n'ai pas vraiment travaillé avec Patrick Doyle en fait, juste une fois (pour "Nanny McPhee", 2005). Mais sinon, j'ai tout fait avec Dario Marianelli. C'était un travail très collaboratif, c'est difficile à décrire. Il y a clairement une part artistique et on m'a confié beaucoup de responsabilités. Je pense qu'une chose importante à retenir est que je ne suis pas vraiment orchestrateur à la base et que je n'ai jamais eu pour ambition de devenir orchestrateur mais que c'est quelque chose qui m'est arrivé un peu par hasard à ce moment-là, au début de ma carrière. Je pense que les choses que Dario m'a demandé de faire, c'est parce que je suis avant tout compositeur et parce que je comprenais ce qu'il me demandait de faire musicalement et au niveau de la narration. Il n'était pas juste question de sélectionner une série de morceaux, de les orchestrer et puis de passer à autre chose. J'avais une approche qui collait complètement à son point de vue de compositeur. Durant cette période, j'ai fait la musique de THE ESCAPIST (de Rupert Wyatt, 2008). J'étais à mi-chemin de ma collaboration avec Dario et on m'avait donné un brief incroyable pour vraiment dynamiser l'histoire en incluant des indices dans la musique. C'est un film sur un prisonnier qui s'échappe et il y a un grand rebondissement à la fin. Ce grand rebondissement est peu à peu annoncé par la narration bien-sûr mais également par les sons et la musique. J'étais vraiment heureux d'avoir l'opportunité d'écrire cette bande son lors de ma collaboration avec Dario car au bout d'un moment, quand vous avez tenu un rôle qui n'était pas celui que vous aviez prévu au début de votre carrière mais qui est cependant celui qui vous a permis de vous établir et de comprendre le métier, vous avez quand même envie de vous affirmer.
Dans vos propres compositions, la musique est davantage électronique que dans vos collaborations avec Dario avec qui elle est plus orchestrale. Dans HAMMER OF THE GODS (Farren Blackburn, 2014), il y a pas mal de sons électroniques, était-ce un choix du réalisateur ou bien le vôtre? Quel est cet aspect de votre travail? Travaillez-vous avec des ordinateurs? Avez-vous votre propre studio?
B.W : C'était un projet incroyable car les producteurs et le réalisateur m'avaient donné dans leur brief toutes les idées possibles et inimaginables de ce à quoi pouvait ressembler une musique de film de Vikings. Il y a tellement de manières différentes de faire ce type de musique. Ils ont fait cela car ils avaient envie de créer une musique extrêmement viscérale, agressive et noire. C'était un choix qui découlait de l'histoire. J'ai dû trouver des sons très particuliers. Je n'avais jamais vraiment fait ce type de musique. Mes musiques étaient d'habitude principalement orchestrales et souvent assez mélodiques, j'utilisais ces sons orchestraux pour évoquer l'histoire. Dans HAMMER OF THE GODS, il y avait très peu d'orchestration, il y avait parfois des passages de musique épique et un peu orchestrale mais sinon, globalement, la musique était menée par des textures électroniques très agressives qui ont été créées directement sur place. J'ai passé une semaine avec un guitariste très original qui m'a proposé ces sons complètement fous que j'ai ensuite enregistrés puis montés afin d'en faire des passages de musique à intégrer dans la bande son. Je déteste rester bloqué sur une certaine manière de faire les choses en composition. Je suis fasciné par l'expérimentation de concepts, le développement de certains concepts qui sont directement liés à l'histoire afin de me guider dans ma musique. C'était l'histoire d'une sorte de prince qui, en devenant guerrier, tue beaucoup de gens et en fait, tout le monde meurt sauf lui. Et ensuite, il prend la tête d'une armée avec laquelle il va tuer d'autres gens donc il y a beaucoup de colère, de haine et d'agressivité. Que faire d'autre dans ce cas que de trouver des sonorités qui sortent de l'ordinaire pour permettre vraiment au public de vivre une expérience immersive.
Quel était le concept pour le film CONQUEST 1453 (Faruk Aksoy, 2013) ?
B.W : CONQUEST 1453 est aussi un film de combat mais un peu plus récent, qui parle de la chute de Constantinople qui se voit prise par le Sultan Mehmed II. C'est lui qui a initié l'empire Ottoman et qui a transformé Constantinople en ce qu'est aujourd'hui Istanbul. Je me suis vraiment beaucoup amusé sur ce film car le réalisateur était un peu fou, dans le bon sens du terme, il voyait tout en grand, il voulait que tout soit énorme, le genre de brief que j'adore. J'aime beaucoup les choses plus intimistes également mais c'est une partie différente de notre cerveau qui est sollicitée dans ce cas. Quand on fait les choses en grand, on doit prendre un peu de recul pendant l'écriture de la musique pour s'assurer que celle-ci nous percute vraiment physiquement. Dans cette bande-son, j'ai utilisé mes références en terme de musique de films. Celles-ci incluent beaucoup de monde comme Korngold, Max Steiner par exemple et beaucoup de compositeurs de nos jours auxquels je me sens vraiment lié en terme d'inspiration. Je pense que l'on est à une époque vraiment stimulante en terme de musique de film et je voulais faire quelque chose de contemporain, qui puisse vraiment s'inscrire dans les tendances du moment mais de manière un peu originale, vraiment à ma façon. Au delà de ça, mon seul but était de faire en sorte que cela fonctionne bien pour le film et pour l'histoire car au bout du compte, pour un compositeur de musique de film, c'est la seule chose qui importe. Le plus important est de mettre en valeur la ligne narrative par une bande son qui ne nous impose pas un certain ressenti mais qui nous permette de vivre au mieux les émotions qui nous touchent le plus au fil de l'histoire du personnage. C'est vraiment intéressant quand on a la chance de pouvoir créer une bande son adaptée au personnage. On compose celle-ci avec des thèmes, des tonalités, des mouvements, sans nécessairement avoir recours à une mélodie en particulier. Cela peut se faire avec certaines choses qui se passent dans la musique et nous connectent au personnage. Dans CONQUEST 1453, il y avait une trame musicale puissante, clairement connectée à certains personnages, il y avait énormément d'action. Ce réalisateur créait des scènes extraordinaires de 9 min de combat, impliquant 50 000 figurants, des tonnes de cascades avec des explosions dans tous les sens. C'était particulièrement excitant de travailler sur la bande son dans ce contexte. Tout était énorme. Je me suis vraiment beaucoup amusé!
Le réalisateur vous a t'il donné des références?
B.W : Il y avait des références mais je demande toujours au réalisateur quelle est l'émotion qu'il veut transmettre, ce qu'il veut que j'exprime avant tout. Quand on essaie de faire comme la référence, comme la musique temporaire, juste pour coller à ce avec quoi ils travaillaient jusque là, parfois cela peut fonctionner et cette référence peut vraiment aider à trouver des idées, mais j'essaie généralement de sortir un peu de cela et de poser la question du pourquoi ils ont choisi cette référence en particulier et pourquoi ils pensent qu'elle fonctionne, de comprendre quelle a été leur motivation et l'émotion qu'ils avaient en tête. C'est important d'essayer de nouvelles pistes car il y a tant de possibilités différentes, des possibilités infinies. Et il n'y en a qu'une ou deux qui fonctionnent vraiment et trouver celles-ci s'avère parfois un processus très compliqué. On doit vraiment aller en profondeur, voir les idées qui nous semblent les plus adaptées. Et parfois nos meilleures idées ne sont pas forcément adaptées au film donc on doit aller de l'avant et continuer à chercher jusqu'à ce que l'on trouve ce qui fonctionne, ce qui nous touche vraiment. On m'a donné des références en terme d'émotions, de personnages, d'histoires et c'est ce qu'il me faut. Mon travail consiste à essayer de trouver des idées qui surprennent le réalisateur, dans le bon sens.
Est-ce que vous écrivez votre musique à partir du scenario avant le montage du film et ensuite le réalisateur utilise votre musique pour le montage? Ou est-ce que vous composez pendant le montage en suivant le rythme imposé par le film?
B.W : Cela dépend de chaque projet. Si on est impliqué dans un projet dès le début avant le montage alors bien-sûr ils utiliseront notre musique pour le montage et pour donner un rythme. C'est vraiment super quand on peut être impliqué à l'étape du scenario car on participe en même temps à la construction du film. J'ai travaillé sur un film qui s'appelle HOURS (Eric Heisserer, 2014), un thriller avec beaucoup de suspense qui se déroule en Nouvelle-Orléans. Ce film parle d'un homme, joué par Paul Walker, qui tente de maintenir son bébé en vie dans un hôpital alors que l'ouragan Katrina frappe au-dehors. C'est un film très touchant. J'ai été impliqué dans ce projet environ trois mois avant le début du tournage, on m'a donné le scenario et j'ai travaillé avec le réalisateur sur le développement de cette bande son qui a vu le jour 7 mois plus tard. Il y a vraiment eu cette belle compréhension entre nous, à propos de l'esthétique du film, de ce qu'il voulait exprimer. Ils ont utilisé ma musique dans le montage et très peu de musique temporaire car on avait déjà beaucoup parlé de ce qu'on essayait d'atteindre musicalement. C'était vraiment génial. D'autres fois, je suis arrivé sur des projets beaucoup plus tard, alors que le réalisateur avait déjà utilisé des musiques temporaires mais voulait que j'approfondisse. Chaque film a son propre fonctionnement. Souvent d'ailleurs, on est appelé à la fin du projet et on a parfois entre 2 et 8 semaines pour vraiment trouver la musique d'une bande son et la créer.
Quels sont vos gouts en musique de manière générale? Vos influences?
B.W : On est vraiment gâtés en tant que compositeurs en terme d'influences. Si je remonte un peu, je dirais que mes influences ont été des gens comme Beethoven, Bach, Stravinsky, Prokofiev, Bartok, Messiah et Ligeti. Ces derniers sont vraiment mes héros en terme de musique. Mais peut-être qu'en terme de musique de films cela n'a pas vraiment d'importance car eux font de la musique pour la musique tandis que dans la musique de films, on travaille de manière complètement différente où le but est de servir l'histoire. Cependant, il s'agit quand même de composer des musiques de qualité comme John Williams qui est mon plus grand héros et qui est une référence pour beaucoup de gens de ma génération qui ont vécu les années 80 alors qu'il était au sommet. Il écrit toujours des choses incroyables. Et je me souviendrai toujours de ce moment, j'avais 4 ans je crois, je voyais E.T. pour la première fois, et je ne comprenais pas très bien car j'étais trop petit mais c'était une histoire extraordinaire et très triste. J'ai grandi dans une famille de musiciens dans laquelle la musique est vraiment quelque chose de très important, pas seulement quelque chose qu'on entend à la radio mais une activité physique. A cet âge-là, on absorbe ces choses et on les intègre comme étant la norme. Ainsi, on devient plus sensible à la musique dans la vie en général. A cette époque, je jouais du piano et j'énervais tous mes professeurs de piano car j'étais infernal, je n'apprenais jamais ce qu'ils me demandaient d'apprendre, j'aimais expérimenter. Je n'aimais pas ce qu'ils m'enseignaient et j'étais vraiment frustré donc j'ai arrêté. Quelques années plus tard, quand j'avais 9 ou 10 ans, j'y suis revenu. C'était quand je commençais alors à vraiment m'intéresser au fait de devenir musicien. Ce souvenir de E.T. est vraiment crucial pour moi car si on enlève la musique pendant les 15 dernières minutes du film, alors l'expérience est totalement différente. C'est quasiment la même chose pour tous les films aux bandes son célèbres. La musique a tellement une grande influence sur le film. J'écoute en permanence ce qui se fait ici et là et comme je l'ai déjà dit, je pense qu'on est à une époque très intéressante pour la musique de film.
Aujourd'hui, il y a une sorte de standardisation de la production avec le son « Hans Zimmer » qui a moins de mélodie et plus de texture. Que pensez-vous de cela?
B.W : J'ai beaucoup d'admiration pour ce que fait Hans et ce qu'il réussit à créer: les idées, l'approche, la narration. C'est toujours puissant, viscéral et parfait pour le film. J'ai vraiment beaucoup d'admiration pour lui et je pense qu'on a tous été très influencés par lui, en bien. On écoute des bandes son comme celle d'Inception et on se dit que rien d'autre ne fonctionnerait en dehors de cette musique très spécifique qui a été vraiment clairement étudiée et je pense que c'est une erreur de généraliser en disant que c'est un « son Hans Zimmer» car toute bande son est vraiment unique. Tout bande son a un processus particulier qui l'a construite et je n'ai qu'admiration et respect pour Hans qui m'inspire beaucoup.
Vous êtes anglais. En quoi cela contribue à vous singulariser aux Etats-Unis?
B.W : Je ne pense pas que cela fasse vraiment une différence que l'on soit anglais ou américain. Ce qui compte vraiment, du moins je l'espère, c'est la musique que l'on fait et notre capacité à bien communiquer avec nos collaborateurs. C'est ainsi que ces derniers reviennent vers nous et nous font confiance. Quand ils nous donnent un brief, ils savent que nous allons le respecter et également le dépasser pour les surprendre positivement. C'était un avantage pour moi de commencer ma carrière au Royaume-Uni car j'ai pu travailler sur des films indépendants qui ont su considérer ce jeune homme inconnu de 24 ans que j'étais. J'ai eu l'opportunité de travailler avec Lars Von Trier et Thomas Vinterberg sur DEAR WENDY quand j'avais 23 ans et déjà à l'époque je trouvais cela super, et encore maintenant, avec du recul, je trouve cela extraordinaire. Je me demande pourquoi ils m'ont engagé. En fait c'était grâce à ma musique orchestrale qui leur a été présentée et j'ai eu une chance incroyable de pouvoir participer sans avoir de références au préalable et ils m'ont embauché. Tout ce qu'on a, en tant que compositeurs, c'est notre capacité à avoir des idées et à développer une collaboration vraiment constructive avec les réalisateurs et les producteurs, ainsi que de bien comprendre pourquoi on fait de la musique sur tel ou tel film : comprendre quel est le but de la bande son et trouver la meilleure manière de raconter une histoire. J'adore être basé à Los Angeles car c'est le centre de l'industrie du film et c'est un endroit très stimulant. Je retourne à Londres de temps en temps pour enregistrer des musiques, pour des concerts et pour voir ma famille mais je me sens vraiment chez moi aujourd'hui à Los Angeles.
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