Cinezik : Quelle a été votre formation musicale avant d'écrire pour le cinéma ?
Alexei Aigui : J'ai fait à 7 ans une école de musique pour la pratique du violon. J'ai poursuivi comme violoniste au Conservatoire de Moscou. J'ai commencé à écrire de la musique pour l'image à ce moment-là. Après des court-métrages et des films muets, j'ai signé la musique de mes premiers long-métrages en 1998 ("Les silencieuses" de Valeri Todorovski et "Retro vtroyem" de Pyotr Todorovski). Je suis arrivé en France en 2006 pour JE PENSE À VOUS de Pascal Bonitzer. En parallèle, je faisais de la musique dans un groupe (l'Ensemble 4'33'') que j'ai fondé en 1994 et qui joue toujours. Il s'agit d'une musique moderne minimaliste fusionnant les styles : de la musique classique contemporaine russe, du jazz, de l'électro et de la pop.
Votre groupe intervient-il sur vos musiques de films ?
A.A : Il m'est arrivé d'employer le groupe pour jouer mes musiques de films. Les films de Pascal Bonitzer nécessitent l'orchestre, mais quelques musiciens comme un pianiste ont participé. Il m'arrive de jouer avec le groupe en amont, pour trouver l'inspiration. L'envie de jouer précède l'envie d'écrire. La musique de film permet tout, de convoquer un orchestre, de l'électronique, un duo basse/batterie... Tout est possible. J'aime ce métier car je suis intéressé par des choses différentes. Je ne suis pas enfermé dans un style unique, même si je préfère tout de même utiliser l'orchestre.
Comment avez-vous rencontré le réalisateur Pascal Bonitzer ?
A.A : Par hasard. Il est venu me voir en concert lorsque je jouais dans un petit bar parisien. Il a aimé ma musique, a acheté le CD, puis m'a demandé si faire la musique de son film m'intéressait.
Quel réalisateur est-il pour un compositeur dans la mesure où ses films sont assez littéraires et laissent peu de place à la musique ?
A.A : Pour son premier film, JE PENSE À VOUS (2006), il n'y avait pas besoin de beaucoup de musiques mais il a utilisé au montage ma propre musique en référence. Il m'a alors demandé d'être fidèle à cette musique qu'il avait appréciée. Sur LE GRAND ALIBI (2008) et CHERCHER HORTENSE (2012), on avait déjà travaillé ensemble alors j'ai commencé assez tôt, sans références. J'ai pu faire des essais avec les rushes, proposer des thèmes...
Il vous laisse carte blanche ou est-il directif ?
A.A : Ce n'est pas une carte blanche, mais je demeure assez libre dans le choix des thèmes et du style. Je fais des maquettes pour lui faire entendre mes thèmes. Il me les valide ou pas, il me demande une musique plus gaie ou plus triste, mais il n'en dit pas plus. Il n'est pas davantage impliqué. Par exemple, il n'assiste pas à l'enregistrement. La contrainte majeure repose sur la durée des musiques. C'est lui qui décide de la durée et de l'emplacement de la musique, avec la monteuse et moi. On est un trio.
A quel moment intervenez-vous ?
A.A : Parfois j'écris à partir du scénario, parfois la musique doit être jouée dans le film donc je l'écris avant le tournage, mais la plupart du temps j'écris la musique avec un premier montage. Ce sont les images qui m'inspirent. Je préfère travailler avec l'image.
Comment êtes-vous rentré par la suite dans la filmographie d'autres réalisateurs comme Raoul Peck (ASSISTANCE MORTELLE, documentaire, 2013) et Marina de Van (LE PETIT POUCET, 2011) ?
A.A : Raoul Peck et Marina de Van appartiennent au cercle de Pascal Bonitzer. C'est donc grâce à Pascal que je les ai rencontrés. Pour l'instant, en France, ce sont les réalisateurs qui sont venus vers moi car ils aimaient ma musique. Je n'ai pas encore démarché. Il le faudrait car j'aimerais faire plus de films encore.
Quelles sont vos influences ?
A.A : Je suis violoniste de concert à l'origine, donc mes influences sont classiques au départ. Puis je me suis dirigé vers le rock. Donc mes influences sont éclectiques, à la fois Stravinsky/Prokofiev et Zappa/King Crimson. Parmi les musiques de films, je ne connais pas suffisamment le sujet et j'ai très peu vu de films américains en Russie, mais parmi les films français, on connaît bien en Russie les musiques de Vladimir Cosma. Il ne s'agit cependant pas d'une influence personnelle. En général, je préfère trouver un son particulier pour chaque film, sans référence précise.
Vous considérez-vous comme un mélodiste ?
A.A : On dit de moi en Russie que ma musique n'est pas assez accessible par absence de thèmes, pas grand public. Mais en France, on me considère comme mélodiste. C'est amusant. En tout cas, pour CHERCHER HORTENSE, Pascal m'avait demandé un thème à employer comme Leitmotiv, reflétant ce qui se passe dans la tête du personnage.
Quel a été votre travail pour la compilation publiée par le label Music Box Record (3 décembre 2014) ?
A.A : J'ai choisi 5/6 morceaux de chaque film, et le label a trié pour faire entrer les musiques dans un CD. Je suis ravi que ces musiques soient enfin disponibles car certaines n'étaient jusqu'à ce jour jamais sorties.
Quels sont vos projets ?
A.A : J'ai terminé en 2014 un nouveau film de Raoul Peck pour Arte (MEURTRE À PACOT) qui était présenté au Festival de Toronto en septembre 2014 et sera diffusé sur Arte en 2015. Un morceau de 6' est d'ailleurs disponible sur la compilation. J'ai aussi fait des films russes mais ils ne sortent malheureusement pas en France, hormis le film "Dostoïevski" réalisé par Vladimir Khotinenko (sur Arte en 2013), et auparavant "L'Eté d'Isabelle" de Nurbek Egen (co-production Kirghizstan-Russie-France avec Natacha Regnier, sur Arte en 2005), mais sinon les films russes sont invisibles ici.
Pour finir, parlez-nous de votre activité de ciné-concert...
A.A : J'ai commencé la musique de film par le cinéma muet. Le réalisateur est mort alors il ne peut rien dire, et il y a besoin de plus de musique que dans un film actuel. Le premier film muet que j'ai fait, en 1995, c'était pour "Metropolis" de Fritz Lang. Et depuis je continue ce type de création. J'ai écrit la musique pour deux films de Boris Barnet : "La Maison de Place Trubnaia" et "La Jeune femme à la boîte", puis pour "Bonheur" de Medvekine, à l'occasion des 100 ans de la naissance du réalisateur. J'ai aussi fait "Nosferatu" et "Caligari" pour le Goetheinstitut.
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