Cinezik : Tout d'abord présentez-nous l'association, quels sont les objectifs de l'UCMF aujourd'hui ?
Patrick Sigwalt : L'UCMF est la seule organisation représentant la musique à l'image en France, qu'elle soit pour la fiction, le documentaire, l'animation, la publicité, le jeu vidéo... Elle a trois vocations : d'une part de valoriser et promouvoir la musique de film auprès des organisations professionnelles et des institutionnels. Elle a ensuite une action professionnelle et défend des dossiers pour les compositeurs de musiques de films vis-à-vis des pouvoirs publics, de la Sacem, de tous les organismes, producteurs, diffuseurs, etc... Et enfin, elle a une action pédagogique en créant des cursus de musiques de films dans les conservatoires nationaux, régionaux, municipaux... et organise des ateliers dans les écoles. Par ailleurs, elle crée des manifestations pour valoriser la musique de film vers le grand public.
Ceux qui perçoivent l'UCMF comme un syndicat ont-ils raison de le penser ?
P.S : Non, car ce n'est pas un syndicat. C'est une union de tous les compositeurs passionnés qui veulent bien se mettre ensemble pour réfléchir à leur métier. C'est aussi simple que cela. J'ai rejoint l'UCMF parce que j'en ai eu assez du repli sur soi. Dans ce métier, on doit travailler avec des musiciens, des arrangeurs, des compositeurs, des ingénieurs du son... mais depuis une quinzaine d'années, on se retrouve à travailler seuls dans nos caves avec nos ordinateurs. On est devenus complètement individualistes, avec nos banques de sons. Cela ne me va pas du tout ! Ce n'est pas dans ma nature. J'ai d'ailleurs créé avec un confrère, il y a plusieurs années, une société de composition de musique originale pour l'image, avec un pool de compositeurs. A l'UCMF, c'est pareil : l'idée est de réunir des compositeurs, ensemble, se poser et réfléchir à notre métier. On n'est pas fort tout seul. Quand on a un diffuseur ou un producteur en face de nous, il vaut mieux aujourd'hui être plusieurs. On arrive à créer une synergie entre nous, à discuter et échanger sur nos problèmes récurrents. Entre ceux qui font de la musique pour le cinéma, ceux qui font de la fiction, du docu, du jeu vidéo..., il y a des sujets communs sur lesquels on peut réfléchir ensemble pour trouver des solutions communes. On est sur beaucoup de dossiers en ce moment qui servent l'ensemble de la communauté des compositeurs pour l'image.
Est-ce que l'UCMF a un objectif de résultat, en agissant concrètement pour améliorer les conditions du métier (auprès des producteurs...) comme peut justement le faire un syndicat, ou alors il s'agit uniquement d'une antenne de réflexion ?
P.S : Elle a pour vocation d'être force de propositions. On est confrontés aux problèmes de la production, de la diffusion... on est donc un interlocuteur privilégié pour ceux qui veulent faire les lois dans les domaines de la propriété intellectuelle, du droit d'auteur, de la diffusion, de la production... Par ailleurs, l'UCMF, en tant qu'association loi 1901, fait partie d'un syndicat (le SNAC - syndicat national des auteurs-compositeurs) en tant que personne morale. Le SNAC est notre bras armé pour défendre des dossiers d'un point de vue syndical. Nous ne sommes pas un syndicat, mais en faisant partie du SNAC, on permet à nos membres d'avoir un conseil juridique et de pouvoir poser des questions sur leurs droits.
Il y a quelques mois a été créé au sein du SNAC, à l'initiative de l'UCMF, un groupement musique à l'image afin de défendre la spécificité de nos dossiers.
Dans la mesure où un certain nombre de décisions politiques concernant les compositeurs se prennent au niveau européen, en quoi cette force de proposition auprès du SNAC peut agir en dehors du territoire national ?
P.S : L'UCMF est à l'origine d'une fédération des compositeurs de musiques de films européens : FFACE (Federation of Film and Audiovisual Composers of Europe), qui elle-même est un pilier d'ECSA (l'alliance européenne des compositeurs de 27 pays européens) qui est le plus grand lobby à Bruxelles pour défendre les intérêts des compositeurs dans leur ensemble.
Dans quel cadre se font les réunions de réflexion de l'association ? Les membres de l'UCMF sont-ils conviés dans leur ensemble ?
P.S : Il y a plusieurs types de membres. On peut entrer en tant que sociétaire professionnel ou définitif à la Sacem (dans ce cas la cotisation est de 100 € pour devenir membre professionnel de l'UCMF). Les autres membres paient une cotisation moins chère (60 €, ou 30 € pour les étudiants). Tous les membres de l'UCMF peuvent venir assister aux conseils d'administration (environ tous les mois), il suffit d'en faire la demande. C'est là que les discussions sont possibles. Ils peuvent intervenir s'ils ont des choses à dire ou des suggestions. Nos membres sont les bienvenus pour venir nourrir le débat du conseil d'administration, même si ce dernier reste bien sûr souverain au sein de l'association. Mais plus on est nourri d'infos, plus on est content.
Où va l'argent ainsi récolté par les cotisants ?
P.S : Tout l'argent que l'UCMF récolte par ses cotisations et par ses subventions va à nos actions. Hormis notre déléguée générale et notre chargée de communication externe, personne n'est payée, c'est du bénévolat.
En quoi l'UCMF peut intéresser les passionnés de musique de film, loin de toutes ces considérations professionnelles ?
P.S : C'est justement l'objectif de cette saison. Nous avons modifié les statuts de l'UCMF . On l'a appelé l'UCMF 2.0 . Le réglement intérieur et l'organigramme ont été eux aussi modifiés. L'objectif est d'avoir plus de visibilité vers le grand public. On a créé un comité d'honneur dans lequel il y a pour le moment 12 illustres compositeurs : Michel Portal, Jean-Claude Petit, Laurent Petitgirard... Et j'ai laissé mon poste de président à un président issu de ce comité d'honneur, Jean-Claude Petit. Je continue à diriger le conseil d'administration avec le titre de secrétaire Général.
Fallait-il absolument, pour avoir ces noms de prestige au sein de l'UCMF, en passer par un comité d'honneur ? Ne voulaient-ils pas être mêlés aux autres membres ?
P.S : En acceptant de faire partie de notre comité d'honneur, ils soutiennent nos actions.
Aussi, certains de nos membres d'honneur sont également membres de l'UCMF et paient leur cotisation. On a voulu par la constitution de ce comité spécial avoir une visibilité vers le public, comme le fait de proposer la présidence à Jean-Claude Petit, qui n'a pas une vocation exécutive mais avec qui on peut avoir des rapports de conseil en le consultant et il peut nous faire des propositions sur des dossiers à défendre. Le conseil d'administration reste souverain mais on échange avec lui en permanence sur nos actions. Il peut aussi, s'il le souhaite, se déplacer dans des manifestations pour représenter l'UCMF.
N'y a-t-il pas le risque, médiatiquement, que les gens ne retiennent que Jean-Claude Petit au dépend de tous ceux qui font le métier plus humblement parmi les membres ?
P.S : Il n'y a aucun problème à ce niveau-là. C'est bien pour tout le monde. C'est bien pour notre président et pour tous les compositeurs. Je trouve extraordinaire que des gens qui ont de la notoriété la mettent au service de leur métier.
Les jeunes compositeurs qui galèrent, dont le seul souci est d'avoir du travail, peuvent-ils espérer rejoindre l'UCMF pour avoir plus de projets ?
P.S : Ce n'est pas la peine de venir nous voir pour ça. On ne va pas leur donner du travail. En revanche on va leur donner un réseau. Ils vont être entourés d'autres professionnels, d'autres compositeurs, et nous savons bien que dans nos métiers les rencontres sont essentielles.
Le marché peut s'avérer impitoyable, avec l'augmentation des mises en concurrence, des castings... il peut y avoir parfois des rivalités entre compositeurs... Comment une union des compositeurs peut se faire dans la totale sérénité alors que le marché est assez tendu ?
P.S : Par intelligence peut-être... Je suis souvent à titre personnel en compétition avec des confrères, ce n'est pas pour autant que je les hais, au contraire, je les respecte. C'est une niche, on se connaît tous bien et on se respecte. Le seul problème, c'est si un compositeur se comporte mal. L'esprit de l'UCMF repose sur le collectif. Ce que je vais faire comme action en tant que secrétaire général de l'UCMF va servir l'ensemble du métier donc moi aussi. Si on arrive par exemple à sauver le droit d'auteur au niveau européen, cela va m'aider personnellement. Si on arrive à avoir un prix de la musique de film à Cannes, ce que j'appelle de mes vœux, et ce sur quoi nous travaillons en ce moment beaucoup, cela va aider toute la profession. Il y aura un respect pour notre métier, et quand il y a respect, il y a budget. Quand le travail d'un réalisateur, d'un scénariste, d'un compositeur.. est respecté, les gens sont payés. On arrête de les payer le jour où on ne les respecte pas. Et on ne les respecte pas quand ils se conduisent mal. On travaille donc à l'UCMF au respect de ce métier. J'enseigne depuis 20 ans au conservatoire national où j'ai initié avec l'aide de l'UCMF le cursus de musique de films et j'explique l'éthique à mes élèves. C'est possible d'en vivre si tu as une éthique, si tu agis correctement avec tes confrères, si tu n'écrases pas les autres pour y arriver, si tu ne dénigres pas, si tu travailles simplement correctement, que tu livres dans les délais, que tu es sérieux, que tu travailles et que tu mets les choses en œuvre dans les règles de l'art...
Quels moyens l'UCMF met en oeuvre pour que le métier de compositeur s'ouvre sur les autres métiers confrères (monteurs, mixeurs, producteurs, réalisateurs, scénaristes...) afin d'instaurer le dialogue et la bonne entente ?
P.S : Au travers de la pédagogie. C'est-à-dire que les élèves du conservatoire national, pour parler de ce que je connais, travaillent avec les élèves réalisateurs de la Femis et d'autres écoles de cinéma. On a réussi à les faire se parler dans les écoles. Je suis ravi quand ils se parlent. Je me dis que dans les générations qui vont venir, on aura des réalisateurs plus enclins à considérer la musique de film plus tôt dans le processus cinématographique.
J'ai aussi demandé aux élèves-réalisateurs de la Femis de venir faire leur musique au CNSM et aux élèves-compositeurs du CNSM de faire des petits films à la Femis, de façon à ce que chacun soit confronté aux problèmes de l'autre, de façon à ce qu'ils puissent se comprendre. Le réalisateur se méfie en général du compositeur. Le compositeur, son rôle, c'est de bien savoir que le chef d'orchestre, c'est le réalisateur, et qu'il doit se mettre au service d'une histoire. On est en train d'élargir ces opérations au niveau professionnel et de réunir toutes les professions autour de l'image pour penser à des actions communes. Dans un avenir assez proche, je pense que les choses vont évoluer dans ce sens là.
Quelles actions l'UCMF entreprend pour la promotion de la musique de film auprès d'un public large ?
P.S : On fait le "B.O Concert" qui est directement dirigé vers le public. On va le pérenniser en en faisant un tous les deux ans. On va multiplier les rencontres vers le public pour expliquer ce qu'est la musique de film et la faire comprendre, aussi bien vers le public adulte que dans les écoles. On va avoir des ateliers qui vont se mettre en place pour sensibiliser les jeunes à la musique de film.
La Sacem dépense énormément d'argent pour la promotion de la musique de film (dans les festivals, les conférences, les prix...). Comment l'UCMF, avec un moindre budget, se positionne ?
P.S : Depuis juin 2014, mon travail quotidien a été d'inciter la Sacem à s'appuyer sur nous. La musique audiovisuelle représente plus de 30 % des rentrées d'argent de la Sacem. Elle nous subventionne. Mais au-delà de nous subventionner, nous siégeons ensemble dans toutes les organisations (SNAC, AFDAS, FCM...). La Sacem comprend bien que quand elle veut s'occuper de musique à l'image, elle peut compter sur l'UCMF. Elle nous considère comme un partenaire. Nous sommes en discussions constantes avec l'action culturelle.
Qu'en est-il de vos relations avec le CNC qui a commandé en 2011 à Marc-Olivier Dupin un rapport sur la musique à l'image ? L'UCMF étant l'organe de réflexion sur la musique de film que vous présentez aurait-elle du être consultée ?
P.S : Absolument, mais c'est du passé. Aujourd'hui, je pense que ça ne se passerait pas ainsi. J'ai été voir le CNC avec un membre du conseil d'administration. On leur a posé des questions, parce qu'ils sont en train de travailler sur les aides à la musique originale. Ils ont fait un super boulot, il faut le reconnaître, en allouant (depuis janvier 2015) des aides pour la musique à des oeuvres exigeantes, à des documentaires... avec en plus une majoration si elles sont fabriquées en France. On va dans la même logique. Cette aide que le CNC a mis en place va vraiment nous aider, et aider tous les compositeurs.
En tant que compositeur, quelle évolution du métier regrettez vous le plus ?
P.S : Quand j'ai démarré ce métier, on était tous motivés par l'envie, l'envie de faire de la musique. Aujourd'hui, on est tous motivés par la peur. Quand je vais composer, je vais avoir peur des 10 confrères qu'on va me mettre en face sur un appel d'offre. Une fois que je vais être choisi, je vais travailler avec un réalisateur qui va avoir peur de la musique. Et puis le réalisateur va avoir peur du producteur, le producteur ne va défendre ni le réalisateur ni le compositeur puisqu'il a peur du diffuseur, et le diffuseur a peur de l'audience. On est dans une chaîne de la peur, qui fait que l'artistique là-dedans n'a pas sa place. Il faut qu'on change cela ! Il faut remettre l'artistique au centre du processus !
Est-ce que tout compositeur qui fait la musique d'un film est un compositeur de musique de film reconnu par l'UCMF ? Est-ce que Daft Punk qui a fait une musique de film, par exemple, a sa place dans l'association ?
P.S : Pour moi, tout médecin qui est capable de faire une chirurgie à cœur ouvert est chirurgien cardiaque. Tout compositeur capable de faire une musique de film devient à un moment donné compositeur de musique de film. Il n'y a pas LE compositeur de musique de film, ça n'existe pas. Enfin, il y a des gens qui ne font que ça, mais de grands compositeurs pour le cinéma ont aussi fait de la chanson. On est tous compositeur avant d'être compositeur de musique de film. C'est-à-dire qu'on sait faire une mélodie, un thème, et on sait les orchestrer.
Que pensez-vous de l'essor des "synchro" (les musiques preéxistantes) ? L'UCMF doit-elle aussi s'entretenir avec les labels et les éditeurs qui souhaitent placer leurs chansons dans les films ? Et les superviseurs musicaux (ce nouveau métier chargé des synchros d'un film) ont-ils leur place dans l'UCMF au même titre que les compositeurs ?
P.S : Contrairement à ce que pensent certains compositeurs, je pense à titre personnel que ces métiers sont complémentaires. Ce n'est pas du tout la même chose de faire une musique originale à l'image et de faire une synchro. Ce sont deux métiers différents. Mais ces deux métiers peuvent se retrouver sur le même film, donc il faut qu'on se parle et il faut que chacun ait sa place. Aujourd'hui, la condition sine qua non pour faire partie de l'UCMF, c'est d'être compositeur. Cette union est ouverte à tous les gens qui sont susceptibles d'avoir quelque chose à dire sur une image. Mais les superviseurs musicaux pourraient avoir leur place en tant que partenaires de l'UCMF dans une entité que j'appelle de mes vœux et qui regroupera les métiers de la musique à l'image. On pourra ainsi travailler ensemble sur beaucoup de dossiers communs.
L'UCMF est à l'origine d'un manifeste sur la relocalisation en France des enregistrements... (voir les détails ici)
P.S : On travaille sur plusieurs fronts, on discute avec les éditeurs sur le contrat d'édition, on discute avec le ministère sur la propriété intellectuelle, et on vient en effet de lancer un appel pour relocaliser les enregistrements de musique de film en France et arrêter d'aller à Sofia ou à Prague. On cherche à cet effet des partenariats avec des orchestres français, à Paris mais aussi en région. Ce sont des milliers d'emplois en jeu. Si on arrive à faire cela, on va redynamiser toute la filière, on va refaire vivre les studios, les ingénieurs son, les musiciens, etc... C'est bon pour tout le monde, pour la musique de film française en général.
C'est une idée qui avait été portée par l'UCMF en 2005 et qui n'avait pas abouti. Il faut se mettre autour de la table avec les bonnes personnes, cela ne nécessite pas d'argent, mais une grande volonté.
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