avril,betises, - Interview B.O : Rose & Alice Philippon et Fred Avril, LES BÉTISES Interview B.O : Rose & Alice Philippon et Fred Avril, LES BÉTISES

avril,betises, - Interview B.O : Rose & Alice Philippon et Fred Avril, LES BÉTISES

INTERVIEWS RÉALISÉES À PARIS EN JUILLET 2015 PAR BENOIT BASIRICO - Publié le 23-07-2015




Fred Avril signe la musique du premier film des soeurs Rose et Alice Philippon, comédie burlesque et sentimentale réussie (on rit et on s'attendrit) dans laquelle Jérémie Elkaïm incarne François, lunaire et maladroit, enfant adopté. Pour rencontrer sa mère biologique, il s'introduit dans une fête organisée chez elle, se faisant passer pour le serveur. On pense à THE PARTY, et la musique s'oriente vers l'influence de Henry Mancini. Rencontre.

1- Interview de Rose et Alice Philippon
2- Interview de Fred Avril


1- Interview de Rose et Alice Philippon

Cinezik : Quel rapport entretenez-vous avec la musique au cinéma ?

Rose Philippon : On a toujours aimé la musique dans les films. Notre rêve serait de faire un jour une comédie musicale. On n'est pas musicienne, mais on aime particulièrement la musique. Quand on était jeune et qu'on avait le désir de faire du cinéma, on faisait des compilations de musique de film. On a été marqué par la musique de "Mulholland Drive" de David Lynch, par Alberto Iglesias dans les films d'Almodovar. On aime aussi beaucoup les musiques de "The Big Lebowski", de "Magnolia", "In the mood for love"... J'aime aussi Hans Zimmer, et les BO de Nick Cave.

A quel moment la musique intervient dans votre travail ?

R.P/A.P : En écrivant, on pense déjà à la musique. Mais les musiques auxquelles on pense lors de l'écriture ne se retrouvent pas forcément dans le film. Pour LES BÉTISES, on avait eu des idées de musiques qui ne collaient pas avec le montage final. Il y a aussi la question des droits.

Sur LES BÉTISES, vous avez utilisé des musiques comme référence pour votre compositeur Fred Avril ?

R.P/A.P : On a utilisé des maquettes et Fred devait s'en inspirer. Mais au final, il a fait ce qu'il voulait. Par exemple, pour la première scène, avec l'enfant qui se balade de bras en bras, on avait mis la chanson "Moon River" du film "Diamants sur canapé" de Blake Edwards. Quand on a vu que cela marchait si bien, on lui a demandé de faire une chanson un peu berçeuse qui s'en inspirait.

Blake Edwards était-il une référence pour le film ?

R.P/A.P : On aime beaucoup Blake Edwards, notamment "The Party", et "La Panthère rose" avec l'inspecteur Clouseau. Cela nous a forcément inspiré. On pensait aussi beaucoup aux films colorés de Jacques Demy, comme "Les Demoiselles de Rochefort". Cela a teinté le film de cette touche "rétro".

Comment est intervenu le compositeur Fred Avril ?

R.P/A.P : C'est un film qu'on imaginait très musical et très festif, avec peu de silences, donc on avait l'angoisse de trouver le bon compositeur. Quand on nous a présenté Fred, on nous a dit que c'était quelqu'un de très éclectique, ce qui nous a plu. De plus, on avait aimé sa musique jazz pour "Sparrow". On a rencontré Fred sept mois avant le tournage. Il a commencé à travailler très tôt et a fini de travailler très tard. C'est un investissement colossal pour lui. Sans avoir été à temps plein tout le temps, il a passé un an sur le film. Il a composé avant le tournage, il est venu sur le plateau pour gérer les acteurs qui allait faire du play-back pour qu'on ait le sentiment qu'ils jouent bien. Il a coaché Jérémie Elkaïm.

Lui avez-vous laissé Carte Blanche ?

R.P/A.P : Fred est quelqu'un de très théorique, il avait une très précise de ce qu'il voulait. Il voulait que le piano soit lié à la mère. Mais il n'avait pas pour autant Carte Blanche. On était assez directives. C'est une vraie collaboration à trois. C'est très dur de travailler avec un compositeur de musique. Il propose des choses, et quand on n'est pas convaincues on doit dire non, alors qu'en soi ce serait de la bonne musique pour un autre film.

Vous discutiez aussi des emplacements de la musique ?

R.P/A.P : Au moment où les invités entrent déguisés, il y a une ouverture de porte assez explosive. Fred voulait absolument de la musique à ce moment-là. On n'en n'était pas convaincu au départ, mais il a composé une chose et on a été séduites. En général, on savait quand on voulait ou pas de la musique, mais parfois Fred nous faisait changer d'avis.

Le film est une comédie, en quoi la musique permet d'y contribuer ?

R.P/A.P : On voulait éviter le Mickey-mousing (mettre une musique sur chaque effet visuel). On testait les musiques sur les images et on avait à cœur de ne pas souligner l'effet comique. Parfois c'est très synchrone et ça marche aussi. Ce n'est pas si tranché.
Aussi, on voulait que la musique raconte quelque-chose, que ce ne soit pas qu'une nappe. Lorsque le personnage fait des bêtises, la musique est guillerette pour accentuer le comique. Même lorsqu'elle paraît en retrait, la musique a toujours une fonction.

 On entend aussi des chansons dans le film, que soit celle de Sabine Paturel "Les Bétises" interprétée par l'acteur, que la chanson finale de Christophe...

R.P/A.P : La chanson des BÉTISES se retrouve à un moment-clé, aux deux-tiers du film. Il fallait qu'elle soit bien. Les paroles ont un écho avec l'histoire bien qu'elle ne soit pas écrite pour le film. Son arrangement a été conçu avant le tournage puisqu'elle se joue sur le plateau. La chanson de Christophe est quant à elle originale. Elle a été écrite à la toute fin du montage. On l'a même découverte au mixage. On n'avait pas l'argent pour s'acheter la chanson qu'on voulait au départ, on a alors demandé à Fred de faire une chanson. Le directeur de production a proposé d'avoir un chanteur. Fred a alors proposé Christophe qu'il connaissait déjà. On est très fan de Christophe alors quand il a proposé son nom on était ravies. C'était une sorte de rêve !

 

2- Interview de Fred Avril

Cinezik : Dans quel univers musical évoluiez-vous avant d'écrire pour le cinéma ?

Fred Avril : Les musiques que j'ai aimées quand j'étais adolescent étaient Jimi Hendrix et Janis Joplin. Ensuite, quand j'ai commencé à composer pour moi, mes musiques étaient déja très orientées "musique de film", avec des références issues des années 70, que ce soit Michel Legrand, Herbie Hancock ou John Barry. Puis j'ai eu la chance de travailler pour Johnnie To, d'abord en tant que guitariste, puis ensuite j'ai fait de la composition, notamment pour la scène des parapluies de "Sparrow" (2008) qui dure 10 minutes. C'est un vrai bonheur. "Sound of noise" (2010) que j'ai fait peu de temps après, c'était génial ! Les réalisateurs suédois (Ola Simonsson et Johannes Stjärne Nilsson) m'ont pris dans leurs bras à Cannes. J'étais sur ce projet grâce à dès quotas de production. Le film étant co-financé par la France, il devait employer des artistes français. Ce fut le cas pour "Mad Détective" (de Johnnie To), mais plus pour "Sparrow".

Qu'aimez-vous dans la composition musicale pour le cinéma ?

F.A : J'aime le cinéma car c'est une exploration constante avec des schémas toujours nouveaux, des déclinaisons nouvelles, une cartographie des sons et des époques que j'explore au maximum. Ce n'est pas un métier facile, d'autant que je ne fais pas de maquettes, je propose toujours des choses très abouties dés le départ.

Vous venez avec LES BETISES et CONNASSE d'enchaîner deux comédies...

F.A : L'idée avec ce genre-là est de tirer le film vers quelque chose d'atypique, quelque chose de frais, en évitant les clichés harmoniques ou les sons trop faciles. J'ai du mal avec l'aspect industriel de la comédie française. On continue de m'appeler sur ce type de films car j'ai ce côté artisanal. Quand je pose mon nom sur un film j'ai envie que ce soit vraiment bien. Que ce soit de la comédie française ou autre chose, j'ai envie de tirer les films vers quelque chose d'original, sans contrainte de styles, sans formatage. L'aspect industriel typique c'est "vous avez trois jours pour faire la musique". C'était le cas sur CONNASSE où j'ai eu trois semaines pour faire la musique en entier alors qu'il y a 45 minutes de musique.

Quelle a été votre collaboration avec les soeurs Philippon sur LES BÉTISES ?

F.A : Les réalisatrices m'ont d'abord parler de la chanson "Les bêtises". C'était une épine dans le pied pour moi car reprendre un standard classique c'est très lourd. Je n'étais pas sûr d'y parvenir. En plus, les contraintes du scénario disaient que le titre devait aller crescendo. J'ai ainsi arrangé le titre au piano, d'abord comme une polka russe pour la faire évoluer faire de la rumba et finir vers quelque chose à la Kusturica. Je suis allé sur tournage pour m'imprégner de l'ambiance, guider les musiciens sur scène, car j'avais travaillé plein de point de synchro pour le live lorsque Jérémie Elkaïm chante.

Il y a une autre chanson (interprétée par Christophe en italien) qui est celle-ci originale, que vous avez écrite ?

F.A : "Basta Cazzate" est une sorte de réponse masculine au tube féminin "Porque te vas" enregistré par Jeanette et révélé par le très beau "Cria Cuervos" (Carlos Saura), film sur des enfants. Dans LES BÉTISES, j'ai pensé à la figure paternelle cherchée par Elkaïm : un père dont on ne sait rien, sauf ce qu'en dit Anne Alvaro : qu'il a la "beauté des hommes italiens" (c'est pour ça que j'ai fait chanter Christophe Bevilacqua en italien). "Basta Cazzate" signifie "arrête tes bêtises" - je pensais aussi à un morceau d'Yves Simon "abandonne tes journaux aux nouvelles d'hier. Prends vite ton manteau, dans les trains y a de l'air" et en italien c'est devenu "Fini les bêtises - il y a un train qui t'attend mais il faut faire vite, ou il partira sans toi." J'imaginais ce qu'aurait pu lui dire ce père rêvé, je cherchais cette empathie-là, et ironie du sort, après avoir enregistré le titre, je devenais moi-même père

Aviez-vous des références pour la partition ?

F.A : À part Henry Mancini qui avait été acté dés le départ, tout le reste de la partition est partie d'aucune référence. On parlait surtout de couleurs sonores. On me disait par exemple qu'il fallait que ça fasse rouge...

Considérez-vous vos musiques de films comme aussi personnelles que vos albums ?

F.A : Je ne suis pas sûr que la notion d'artiste libre soit aussi fondateur qu'on le prétend. Je crois qu'une commande est un prétexte, et une chance de développer un univers propre avec des contraintes. Aujourd'hui, même dans les musiques pop, indie, électronique, il y a des formats très strictes, c'est très sage. Au cinéma, quand je sens que je n'ai pas de place pour m'exprimer, je refuse le film. J'aime le côté caméléon de mon métier, c'est le voyage qui compte, la destination est secondaire.

Bien souvent, sur un premier film, le réalisateur est fébrile et accorde peu de confiance à un autre artiste comme le compositeur. L'avez-vous ressenti sur LES BÉTISES ?

F.A : Les réalisatrices m'ont fait entièrement confiance. Elles étaient contentes des musiques que je leur avais proposées avant le tournage, ce qui peut être le secret d'une relation de confiance : elles ont eu le temps d'appréhender la musique. Elles n'étaient pas au pied du mur. Avoir le temps d'écrire une partition est un confort pour le compositeur, mais aussi pour le réalisateur. Mais c'est vrai que sur certains premiers films, les gens peuvent être très méfiants, plus angoissés. J'ai pu entendre cela de la part de certains collègues. De mon côté, les réalisatrices ont le talent de savoir bien s'entourer, et de tirer le meilleur des gens avec lesquels elles travaillent.

Quels sont vos projets immédiats ?

F.A : Je suis en ce moment sur une série d'animation adaptée d'une BD de Bastien Vivès, "Lastman". Cela va me prendre pas mal de temps car c'est une série. Jérémie Périn fait cette série pour Netflix et France Télévision. C'est une sorte d'univers extraordinaire, mélange de SF et de film de bagarre. Je vais aussi travailler sur une autre série avec Philippe Monthaye (Prophet).


 

INTERVIEWS RÉALISÉES À PARIS EN JUILLET 2015 PAR BENOIT BASIRICO

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