Cinezik : Pour commencer, pouvez-vous nous parler de votre carrière musicale, votre formation, vos références musicales...?
Daniel Pemberton : J'étais assez jeune quand j'ai commencé à créer de la musique. Je devais avoir 13 ans environ. À cet âge j'écrivais des musiques pour un magazine de jeux vidéos en Angleterre, ce qui, en y repensant, est assez étrange pour un adolescent de 13 ans. J'ai donc gagné de l'argent qui m'a permis de m'acheter un synthétiseur, un bon synthétiseur avec lequel j'ai commencé à créer de la musique. J'apprenais à faire d'étranges environnements sonores. J'ai fait un premier enregistrement à 16 ans intitulé "Bedroom", basé sur un genre d'électronique allemand obscure. J'ai ensuite rencontré un réalisateur de télévision qui a beaucoup aimé cet enregistrement et m'a demandé de créer des musiques pour son émission. J'étais encore à l'école, donc je travaillais pour son émission en dehors de mes horaires scolaires. Cette expérience a été mon éducation musicale. J'ai continué à travailler de plus en plus. J'avais de brefs cours de piano à l'école, mais j'ai réellement appris tout seul. Je me disais toujours en travaillant "qu'est-ce que je pourrai apprendre encore et encore ?". Depuis, j'ai travaillé pour des centaines et des centaines de productions TV, et j'essayais à chaque fois de créer quelque chose de différent, j'essayais d'en apprendre plus sur les instruments, l'orchestration et la production. Donc, j'ai finalement appris en travaillant, en observant et en m'influençant... et je m'étonne d'être devenu un vrai compositeur.
Vous évoquez les programmes pour la télévision, c'était votre spécialité avant de travailler pour le cinéma ? Que représentait ce travail pour vous ?
D.P : J'aime composer de la musique. Ce que j'ai aimé dans le travail des musiques pour la télévision était le fait de pouvoir être tous les mois un artiste différent. Dans un groupe de musique, on est obligé de créer toujours le même genre : rock, jazz... mais moi, je suis capable de créer un genre de musique différent tous les mois ! Je peux créer une musique jazz ce mois-ci, puis composer des musiques pour quatuors à cordes le mois prochain. Le travail pour la télévision m'aide à avoir des idées, à apprendre, à expérimenter, à faire des erreurs et continuer à tenter des choses nouvelles. J'aime beaucoup travailler pour la télévision même si les productions ne sont pas forcément toutes d'une excellente qualité. J'ai souvent travaillé pour de très bons programmes mais je me suis toujours concentré sur la musique. Avant, les gens pensaient que je travaillais pour la télévision simplement pour l'argent, on pensait que ce travail ne serait pas permanent et qu'il ne m'intéressait pas vraiment. Mais je suis vraiment intéressé par ce que je fais et j'ai tout donné pour la musique. J'ai eu toutes ces opportunités parce qu'on a vu l'amour que j'ai pour ce travail. Que ce soit pour une émission de cuisine, pour un excellent feuilleton dramatique, ou pour un étrange programme comique, j'ai toujours donné tout ce que je pouvais pour créer le meilleur travail possible.
Donc pour vous, être un compositeur de musique de film, c'est être éclectique ?
D.P : Pour moi oui, je cherche à ne pas me répéter. J'aime le fait qu'on ne sait pas quelle musique je finirai par créer. Mes compositeurs préférés sont ceux pour qui je me pose la question "que va-t-il faire ?" ou "comment va-t-il le faire?", puis j'écoute leur musique et je la trouve super ! Je cherche toujours à me surprendre moi-même et j'espère pouvoir surprendre d'autres personnes. C'est plus passionnant quand on se renouvelle. Avec le temps, si on refait toujours la même chose, on finit par perdre l'enthousiasme et la passion. Donc on est toujours plus excité de créer quelque chose de nouveau et voir ce dont on est capable, même s'il reste une sorte de limite à la réalisation. Il y a quelques années, je travaillais pour une émission de télé réalité intitulée "Lab Zombie" où l'on remontait aux années 50. Ils n'avaient pas assez d'argent et je n'ai donc pas pu présenter mes musiques. Alors, j'ai proposé d'utiliser un Kazoo et j'ai créé des breakbeat avec cet instrument. C'était super, c'est d'ailleurs un des moments duquel je suis le plus fier parce que c'était une musique inhabituelle, plus intéressante qu'une musique orchestrale, c'était différent.
Est-il possible d'être expérimental à la télévision ?
D.P : Oui, tout dépend des personnes avec qui l'on travaille. Si l'on est entouré de bonnes personnes, tout devient possible. Quand le travail prend une grande ampleur commerciale, c'est le cas de la télévision depuis ces 10 dernières années, les gens recherchent la sécurité et demandent alors des genres de musique qu'ils connaissent déjà. Je trouve cela ennuyant, je n'aime pas ça, j'essaye toujours de travailler de façon différente.
Votre premier travail pour le cinéma était pour le film d'horreur THE AWAKENING (de Nick Murphy, 2011) ?
D.P : C'était un grand pas en avant puisque je n'avais encore jamais travaillé pour le cinéma. Nick Murphy, le réalisateur, est fantastique. On a beaucoup travaillé pour la télévision et la plupart de mes meilleures créations étaient lorsque je travaillais avec lui, comme la série OCCUPATION (2009) qui a gagné beaucoup de prix, ou une autre série, NAPOLEON (2007), que peu de monde a vu il me semble, mais que je considère tout de même comme l'une de mes meilleures compositions. Il y avait un grand orchestre qui m'a inspiré. Et je savais qu'avec Nick, j'étais capable de créer de bonnes musiques, parce qu'il me faisait avancer plus loin. Pour THE AWAKENING, comme je n'avais encore jamais travaillé sur un film entier, j'ai cherché à apprendre comment créer de la musique effrayante en essayant d'éviter les clichés. J'ai appris à créer des mélodies et des idées à l'aide d'enregistrements numériques car c'est un bon instrument. J'ai donc créé d'étranges textures avec ces enregistrements grâce à quoi j'ai pu réaliser quelque chose de différent, j'espère, pour un film d'horreur. Puis nous avons ajouté la mélodie avec des orchestres et des choeurs en espérant avoir pu créer une musique originale, car je suis sûre que beaucoup de personnes ont créé des musiques pour film d'horreur et ils étaient meilleurs que moi. J'ai donc cherché à créer quelque chose de différent pour être le meilleur, juste pour une semaine.
Aviez-vous des références ?
D.P : Non, j'essaie toujours de ne pas en avoir. C'est toujours différent mais j'essaye souvent de travailler la musique avec le réalisateur, donc j'ai des tonnes d'idées au début, j'essaye d'en avoir autant que possible parce qu'à cet instant, on est totalement libre, on n'est pas contraint pas l'image. En lisant le scénario, mes idées surgissent et je les écris tout de suite dans la salle d'édition. Même si plusieurs d'entre elles ne marchent pas, il y en a toujours une qui réussit. Et là, tout devient intéressant car on arrive vraiment à créer une composition unique, au lieu d'avoir une composition qui se nourrit d'une autre puis d'une autre et qui finissent par toutes se ressembler. Donc j'essaie de travailler ainsi pour, j'espère, arriver à quelque chose de nouveau et de différent.
Concernant Ridley Scott, comment vous a-t-il choisi pour créer la musique de son film CARTEL (THE COUNSELOR, 2013) ? A-t-il fait un casting ou vous a-t-il réellement choisi vous ?
D.P : C'était surprenant, c'était un évènement qui a changé ma vie, j'étais vraiment chanceux. J'avais déjà travaillé avec son monteur Pietro Scalia, un monteur absolument formidable qui a gagné deux oscars (Ndlr : pour JFK - 1991 et Black Hawk Down - 2001) et qui a travaillé pour "Gladiator". Il a vraiment une oreille musicale. C'est lui qui avait décidé pour "Gladiator" d'utiliser le talent de Lisa Gerrard. J'avais déjà travaillé avec Pietro sur un court-métrage intitulé GHOST RECON: ALPHA (2012) avec les français François Alaux et Hervé de Crécy (Ndlr : réalisateurs de "Logorama", Oscar du court-métrage en 2009). Puis un jour, Ridley est arrivé, il avait vu THE AWAKENING qu'il a beaucoup aimé. Peu de personnes avaient vu ce film mais la personne qui a fait une différence dans ma vie l'avait vu, c'était Ridley. Il s'est exprimé sur combien il appréciait ce film et Pietro lui a annoncé qu'il connaissait le compositeur de la musique et qu'il devait faire sa connaissance un jour. Donc un jour, j'ai eu la chance de connaître Ridley Scott. Je ne savais pas vraiment comment le rencontrer mais je l'ai fait. Nous avons eu une discussion à propos du cinéma, de la création et de la créativité. Et en partant, il m'a dit une chose importante : avant d'entrer dans le business du cinéma, il avait passé des années dans la publicité pour apprendre comment faire des pubs, Il avait fait ses 10 000 heures de garage, car la publicité était son "garage". Puis il a ajouté que j'ai moi-même fait mes 10 000 heures de "garage" pour la télévision. Deux semaines plus tard, j'ai appris par téléphone que Ridley voulait que je travaille sur son film. J'étais étonné, je me suis dis "vraiment ?", puis une heure plus tard on m'a confirmé qu'il voulait bien que je travaille sur son film. C'était une expérience formidable, travailler pour Ridley était un rêve. Nous nous sommes retrouvés sur le téléfilm THE VATICAN (2013). J'ai donc travaillé sur deux projets de Scott, ce qui est fou, je n'arrive pas à y croire moi-même.
C'était si impressionnant de travailler avec Ridley Scott ?
D.P : Oui, j'ai eu ce moment où j'ai été pétrifié à l'idée de travailler avec Ridley au début. J'ai regardé beaucoup de vidéos en ligne à propos de gens qui parlaient de lui. J'ai alors découvert une blague de Jerry Goldsmith qui était fâché que Ridley ait finalement changé la musique d'ouverture de "Alien". Il avait créé une musique grandiloquente et Ridley lui avait demandé de la changer pour une musique qu'il avait écrite en cinq minutes, ce qu'il trouvait absurde. Nous savons tous que cette ouverture est l'un des plus grands moments du cinéma. Quel morceau ! Et je n'aime pas vraiment le dire mais, le compositeur avait tort et le réalisateur avait raison. Durant le travail, Ridley et moi avions eu un débat concernant une scène dans le film et je lui ai dit "Essaye ça", mais il n'aimait pas, alors j'ai essayé autrement, j'ai vraiment poussé mon idée pour une fois. Il m'a dit "tu sais, j'ai déjà eu ce problème il y a quelques années sur le film Alien". Il ignorait que je connaissais déjà cette histoire et je lui ai répondu "Ok, tu as gagné". Je me suis senti instantanément dans la peau de Jerry Goldsmith qui est un compositeur fantastique !
Quand vous avez commencé à travailler avec lui, le montage du film était déjà terminé ?
D.P : Non, je travaillais en même temps que le montage. Ils montaient et j'écrivais, j'étais fluide. Ils voulaient soudainement qu'on tente autre chose concernant l'ouverture, ils étaient même sur le point de retourner à Los Angeles. J'avais peur de devoir changer toute la musique du film. J'ai donc demandé à quelle heure ils devaient se rendre à Los Angeles, ils m'ont répondu à 6h, j'ai vu alors qu'il était 1h. J'ai pris mon vélo, je suis rentré chez moi le plus vite possible. C'était de la folie, je rentrais chez moi pour réécrire la musique d'ouverture d'un film de Ridley Scott. J'ai travaillé dessus pendant 3h et je suis revenu en leur tendant la nouvelle composition. Et ils m'ont dit : "Super, on la garde pour le film". Cette composition est devenue la bande originale de CARTEL. Donc, parfois, cette pression de folie est une bonne chose.
Quelle est votre première inspiration pour composer une musique de film? Le scénario, les discussions avec le réalisateur ou les images ?
D.P : J'aime parler du film mais quelques réalisateurs n'aiment pas cela. J'aime aussi lire le scénario, puis me mettre sur mon piano et écrire toutes les idées qui me viennent. J'aime m'impliquer à la lecture du scénario parce que mon esprit est riche, dés qu'on regarde les images, on voit les choses différemment, alors qu'en lisant le scénario, on pense au film, à l'histoire et à ce qu'on veut dire.
Vous pensez que la musique dans un film doit avoir un rôle principal ou doit-elle rester discrète ?
D.P : Cela dépend du film, je dirais que la musique est comme un acteur. Il existe des films où l'on veut que la musique nous frappe à la figure, comme un acteur principal, comme Tom Cruise ou autre. Et il y a d'autres films où la musique serait un peu plus proche de Philip Seymour Hoffman, qui se cacherait dans un coin. Donc tout dépend du film. On choisit ce dont le film a besoin. On peut briser cela pour faire quelque chose d'inhabituel, mais généralement on choisit ce qui convient au film.
Le réalisateur sait généralement ce qu'il veut ou vous laisse-t-il faire ce que vous voulez ?
D.P : Aucun réalisateur ne vous laisse faire ce que vous voulez. J'aime les réalisateurs qui ont une idée claire de ce qu'ils veulent et qui comprennent facilement ce qu'une musique peut apporter au film. Mais il y a aussi des réalisateurs qui ne savent pas vraiment ce qu'ils veulent. Chaque projet est différent de l'autre, le plus important, c'est le résultat final.
Parlez-nous de votre expérience en tant qu'acteur. Vous avez joué le rôle d'un guitariste ivre dans "Blood" (de Nick Murphy, 2012).
D.P : Oui, c'était une blague du réalisateur pour une scène de fête. Je ne pense pas que ma carrière en tant qu'acteur va vraiment décoller. Nick Murphy a trouvé drôle de me donner ce petit rôle.
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