romer,betes-sud-sauvage, - Interview Dan Romer : De la Country aux Bêtes du sud sauvage. Interview Dan Romer : De la Country aux Bêtes du sud sauvage.

romer,betes-sud-sauvage, - Interview Dan Romer : De la Country aux Bêtes du sud sauvage.

- Publié le 18-08-2015




Le compositeur américain Dan Romer évoque son travail sur LES BÊTES DU SUD SAUVAGE, revient sur ses origines Country, indique son souci du mixage, et révèle qu'il a "toujours voulu devenir une rock star."

Interview intégrale de Dan Romer :

Concernant LES BÊTES DU SUD SAUVAGE (2012), le réalisateur Benh Zeitlin participe à la BO en composant également de la musique pour son film. Quelle est sa connaissance de la musique ? Comment s'est passée cette collaboration ? 

Dan Romer : En effet, il était chanteur dans un groupe de grunge au lycée et il joue de la guitare. Il n'a jamais étudié le solfège. Nous avons tous les deux écrit le même nombre de mélodies pour le film et nous avons composé ces mélodies en passant par la guitare. Il grattait quelques notes dessus et j'essayais de comprendre ce qu'il voulait exprimer pour le retranscrire. Nous avons chacun nos forces que nous mettons en commun et cela nous permet de collaborer de manière très équilibrée.  

Le premier film pour lequel j'ai composé la musique, je l'ai écrite avec Benh Zeitlin, quand j'avais 20/21 ans. C'était DEATH TO THE TINMAN (court-métrage de Ray Tintori, 2007). Je ne faisais que de la pop à ce moment là. Et puis mon ami Ray Tintori, que je connais depuis que j'ai 7 ans, m'a demandé à la fin de l'université de lui composer la musique de son court-métrage. Je n'avais jamais composé de musique de film. Il m'a dit que son ami Benh pourrait m'aider et m'apprendre, mais lui non plus n'avait jamais composé de musique de film. On s'est donc retrouvés et on a appris ensemble. Alors aujourd'hui, c'est complètement naturel pour nous de composer ensemble ! 

D'où vient votre inspiration pour ce film ? Les personnages, le scénario ou les images elles-mêmes ?

D.R : Tout le film est tourné du point de vue du personnage principal, Hushpuppy. Parfois nous avons essayé de composer en nous plaçant du point de vue du public mais cela ne fonctionnait pas du tout. Quand nous avions des séquences d'action, si nous essayions de composer dessus comme nous l'aurions fait pour un film d'action, alors le résultat était ridicule, ça ne fonctionnait absolument pas. Et nous ne voulions pas avoir une espèce de musique d'aventure. Donc on a vraiment réalisé que la musique devait venir des pensées de Hushpuppy.   

Il y a beaucoup de tonalités ethniques dans cette musique. Quel est votre lien avec la musique traditionnelle ? 

D.R : La folk américaine est à la base de tout cela. Je jouais de l'accordéon dans un groupe de country quand j'étais à l'université. Le groupe s'appelait "The Woes" et on était environ 40 en tout. Le chanteur principal envoyait un email à chaque fois en demandant « qui peut venir à tel ou tel concert ? » et 10 musiciens répondaient présents pour chaque concert. La composition du groupe était différente à chaque fois. Donc j'ai joué beaucoup de folk music et de country durant l'université et un peu après. C'est le genre de musique vers lequel je me tourne le plus spontanément quand je me retrouve entouré d'instruments. Dans le film, j'ai d'ailleurs joué tous ces instruments moi-même comme le banjo, la guitare, l'accordéon.

Quand vous jouiez de la pop, quel était le type de films que vous aimiez en tant que spectateur ? 

D.R : Mon film préféré de tous les temps est "Harold and Maude" (de Hal Hashby, 1971). Cat Stevens a composé la musique de ce film, il n'y a que ses chansons. C'est un film magnifique, très émouvant, c'est vraiment mon film préféré. 

Et quelles sont vos impressions quant aux musiques de films ? 

D.R : Pour moi la musique est très importante dans les films. C'est un élément central. Peut-être que certains compositeurs aiment les bandes-son très épurées, moi j'aime quand la musique est très présente, très émouvante, qu'elle a vraiment une place centrale. Par exemple, dans "There will be blood" (2007), la bande son (de Jonny Greenwood) est vraiment un élément clé du film. 

Comment avez-vous appris à écrire la musique ? 

D.R : J'ai suivi des cours de comédie musicale classique et d'opéra durant le lycée et cela m'a ensuite mené à m'intéresser aux chorales de Bach. Bach m'a beaucoup influencé. J'ai étudié le solfège seul quand j'avais entre 10 et 13 ans et quand je suis arrivé au lycée, je me suis rendu compte que les classes de solfège qui y étaient proposées reprenaient les mêmes choses que ce que j'avais déjà fait donc j'ai supplié mon prof de faire des cours de solfège d'un plus haut niveau. On a choisi tout un tas de chorales de Bach et il m'a appris à les analyser. Il m'a dit que c'était ce que je devais apprendre. Je suis alors devenu obsédé par la conduite des voix, les modulations, etc. Cette partie de la musique est vraiment importante pour moi. J'ai commencé en chantant dans un groupe de rock quand j'étais au lycée et à l'université. J'ai toujours voulu devenir une rock star, comme David Bowie. Mais ensuite à l'université, j'ai étudié les arrangements de la musique pop et cela incluait également un apprentissage de l'enregistrement. J'étudiais cela afin de pouvoir enregistrer ma propre musique. Ensuite, j'ai commencé à rencontrer d'autres artistes qui ont voulu que j'enregistre leur musique. Mon groupe s'est séparé et je faisais tellement de production musicale à cette époque et de composition pour d'autres artistes que cela m'est apparu comme la voie la plus naturelle à suivre. Je ne me suis jamais vraiment considéré comme un preneur de son mais c'est ce que j'ai fait car je devais en passer par là. Cependant, je dois dire que cela me convient tout à fait aujourd'hui que d'autres personnes se chargent de la prise de son de ma musique. 

Dans votre manière de composer la musique de films, le travail du son a une grande importance. Par exemple dans LES BÊTES DU SUD SAUVAGE, dans la scène du feu d'artifice, le mélange de la musique et du son est très intéressant.

D.R : On a passé beaucoup    de temps sur cette scène. Cette scène est très importante dans le film. J'ai mixé la musique de cette scène dans le studio dans lequel on l'avait enregistré et ensuite on l'a amené à New York pour le grand mix final. La manière dont nous avons enregistré cette musique était assez précaire car on a enregistré les musiciens un à un avec un seul micro. La fin du film a des centaines de violons superposés mais nous n'avions jamais plus d'un instrument qui jouait à la fois. Donc dans ces conditions-là, le mix est très important afin de permettre au morceau d'avoir un bon son. Je ne sais pas trop où est la limite parfois entre la composition et le mixage. J'ai grandi avec la musique pop dans laquelle le rôle du mixage est si important. Vous savez la pop musique moderne, sans le mixage, elle n'est plus rien ! Donc personnellement, quand je compose, je mixe aussi au fur et à mesure. Tout ce que je compose, je le mixe moi-même. Un morceau peut en être quasiment au mix final même si l'enregistrement n'est pas encore complet. En quelque sorte, pour moi, la composition et le mixage sont en fait un peu la même chose au final. 

Voulez-vous maitriser toutes les étapes de la composition ? L'écriture, l'orchestration et puis enfin le mixage ? 

D.R : Oui, toutes ces étapes peuvent se produire dans n'importe quel ordre en fait. Avec Benh, il nous est arrivé d'écrire de la musique après que le mixage n'est été fait. Une fois que nous avions mixé le morceau, nous nous sommes dit, prenons telles parties du morceau pour telles parties du film et faisons-en une nouvelle musique. Vous savez, j'écris à toutes les étapes. J'écris pendant l'enregistrement des musiciens, je mixe avant même d'enregistrer quoi que ce soit parfois. Ca devient juste une sorte de matière amorphe qui sert la création musicale. 

Pouvez vous évoquer votre travail en 2014 pour deux documentaires : THE LAST SEASON et TOMORROW WE DISAPPEAR ? Est-ce que le documentaire vous intéresse particulièrement ? 

D.R : Cela m'intéresse toujours de travailler sur des documentaires. Je trouve cela très beau. Ces documentaires sont très particuliers, ils sont tous deux à des échelles bien différentes : l'un raconte une très belle histoire personnelle tandis que l'autre est un film à plus gros budget. J'ai adoré travaillé sur ces projets. Cela a été un travail très différent sur les deux. Avec TOMORROW WE DISAPPEAR, j'ai travaillé seul dans une pièce dans les studios du réalisateur. Tandis que pour THE LAST SEASON, j'ai réuni les membres de l'ancien Blue Grass Band, je suis allé à New York et nous avons fait un album de musique folk avant de redécouper les chansons et d'en faire une bande son. 

THE LAST SEASON est un documentaire sur la guerre, c'est un sujet triste. Pour vous en tant que compositeur, est-il difficile de gérer la musique sur des sujets comme ceux-ci ? 

D.R : Dans un documentaire, on veut faire attention à ne pas devenir trop manipulateurs avec la musique. Nous avions composé beaucoup de musique très émouvante pour THE LAST SEASON que nous n'avions pas vraiment utilisé avant la fin du film. On ne veut pas que cela pousse les gens à ressentir le film d'une certaine manière, on veut que chacun puisse ressentir des émotions qui lui sont propres. 

Que pouvez-vous nous dire sur WALTER (de Anna Mastro, 2015) ?  

D.R : C'est une comédie sur un homme qui est le fils de Dieu et travaille en tant que placier dans un cinéma. Et soudainement, il se retrouve à devoir décider si les gens vont en enfer ou pas. C'était vraiment très drôle de travailler sur ce film. J'ai adoré. J'ai dû composer une sorte d'hymne. J'ai fait tout un tas d'enregistrements de chœurs pour cela.

Avez-vous également joué certains des instruments de cette bande son ? 

D.R : Oui, dans la plupart des bandes son que je compose, je finis par jouer pas mal d'instruments. Je passe la plus grande partie de mon temps assis dans une pièce à jouer des instruments, à les enregistrer moi-même, donc cela me semble naturel de jouer. J'aime particulièrement jouer les instruments à cordes. Il faut d'ailleurs absolument que j'apprenne à jouer du violon au plus vite. La plupart des bandes son que je compose ont de la guitare, du piano, du banjo et de l'accordéon comme base. 

Quelle est la BO la plus orchestrale que vous ayez faite à ce jour ? 

D.R : Pour LES BÊTES DU SUD SAUVAGE, on avait l'ambition de faire une bande son totalement orchestrale, on ne pensait pas finir avec cette musique folk. Cependant, à la dernière minute avant le mixage, on s'est repassé toute la musique en ajoutant par-dessus un banjo, une guitare, un accordéon, et on a un peu improvisé de la folk. 

A quel moment préférez-vous intervenir sur un projet ?

D.R : J'adore être au tout début d'un projet. Je préfère cela plutôt que d'arriver à la dernière minute. Avec LES BÊTE DU SUD SAUVAGE, je savais que j'allais écrire la musique avant même que le film ne commence. Benh et moi parlions de la musique avant même que les images ne soient filmées. J'adore cela, être tout au début d'un projet. Malgré tout, je préfère voir à quoi le film ressemble avant de commencer vraiment à jouer. Le son utilisé doit être en parfaite adéquation avec les choix cinématographiques du réalisateur. LES BÊTES DU SUD SAUVAGE a été filmé sur des pellicules de film et donc simplement cela m'a mené à imaginer une partition un peu sombre qui correspondait au grain de l'image.

Pensez-vous qu'en composant de la musique de film comme vous le faites aujourd'hui, un métier de l'ombre, vous pouvez encore devenir une rock star ? 

D.R : Non, je pense que j'y ai renoncé depuis un moment. Mais bon vous savez, ce sont des moments différents de votre vie durant lesquels vous voulez des choses différentes. Quand la plupart des gens me demandent comment je suis devenu compositeur de musique de film, je réponds toujours la même chose : "ne vous focalisez pas seulement sur la composition de musique de film, focalisez vous sur le fait de devenir un musicien, faites ce qui vous semble cool, peu importe ce que c'est. Si quelqu'un vous demande de faire les arrangements pour un groupe de rock par exemple, et que vous refusez car vous voulez seulement faire de la musique de film, alors imaginez si un jour ce groupe de rock devient super célèbre, si vous aviez fait les arrangements alors cela vous ouvrirait tellement de portes, jusqu'à la musique de film si ça se trouve. Ou peut-être pas, mais si vous aimez réellement la musique, alors je pense que vous devriez être ouverts à toutes les possibilités et saisir les opportunités dans n'importe quel genre de musique.

Avez-vous déjà joué vos musiques de film en concert ? 

D.R : Oui, on a joué deux fois la musique des BÊTES DU SUD SAUVAGE, au Barbican à Londres. On l'a fait une fois à Brooklyn et dans le Massachussetts. J'adore faire cela. Pour ces représentations, je jouais de l'accordéon et Benh le réalisateur jouait du banjo. 

Continuez-vous aujourd'hui à faire de la musique en dehors du cinéma ?

D.R : Oui complètement. Je continue à faire de la pop, j'en ferai toujours je pense. J'écris des musiques de films tout en continuant à faire de la pop à côté. En ce moment, je suis en train de travailler sur un album dont j'écris les chansons. C'est un genre d'écriture totalement différent. Mes BO et mes chansons sont vraiment deux choses très distinctes. 

Interview réalisée à Gand le 23 octobre 2014 par Benoit Basirico
Dans le cadre des World Soundtrack Awards de Gand
Traduction par Lorraine Reinsberger

 

 


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