La rencontre a débuté par la projection d'un florilège préparé par Gérard Dastugue de scènes de films représentatifs de la carrière d'Eric Demarsan, qui a permis au public de découvrir ou de se remémorer son esthétique polymorphe, tantôt classique, tantôt teintée de jazz voire de musique de variétés.
Se rêvant d'abord chanteur, écumant les piano-bars puis arrangeur pour les disques Vogue, Eric Demarsan fait remonter le début de sa carrière réelle de compositeur de musique de film à sa collaboration avec Michel Magne dont il fut l'assistant deux ans durant, et de qui il dit avoir appris « les ficelles du métier » - il cite notamment l'exemple des instruments à éviter sous un dialogue -.
C'est grâce à lui qu'il rencontrera François de Roubaix, pour qui il assurera l'orchestration, les arrangements et la direction de l'orchestre sur « Le samouraï ». Cette séance d'enregistrement sera capitale : il y rencontre un Jean-Pierre Melville qui lui lancera à la cantonade « Monsieur Demarsan, on se reverra ! ». En effet, environ un an plus tard en 1969, Melville le recontacte pour lui confier la partition de « L'armée des ombres », puis à nouveau en 1970 pour « Le cercle rouge », après le refus de la musique de Michel Legrand. Demarsan s'explique ce refus par la dimension probablement trop « hollywoodienne » au regard de l'esthétique Melvilienne de la musique d'un Legrand alors au coeur de sa période américaine. Le temps étant compté, Melville donne alors à Demarsan comme référence la musique de John Lewis sur « le coup de l'escalier », interprétée par le Modern Jazz Quartet. S'appropriant l'esthétique jazz et adoptant le vibraphone, Demarsan y ajoutera cuivres et cordes afin d'enrichir la partition.
La poursuite de Vogel dans les bois par les gendarmes, célèbre scène du « Cercle rouge », a donné à Eric Demarsan l'occasion d'expliciter sa stratégie créative. Il affirme avoir écrit toute cette scène d'une seule traite à la suite d'une laborieuse étape préliminaire de découpage et de collage des images des différents plans le long de sa partition « timecodée ». Il qualifie cette approche de quasi « mathématique », où son écriture suit de très près le montage, où telle tenue de cordes fait se rejoindre deux plans, pendant que la batterie de Daniel Humair monte en intensité, le tout imbriqué dans un long crescendo où l'orchestration se développe, presque de manière « virale », de plans en plans.
Eric Demarsan a également manifesté son bonheur d'avoir eu l'occasion de collaborer avec quelques-uns des meilleurs musiciens sur le sol français, parmi lesquels le batteur Daniel Humair ou le saxophoniste Archie Shepp (dans la série TV « Pigalle la nuit » diffusée dès 2009 sur Canal plus). Il affirme par ailleurs avoir appris de Michel Magne la manière de tirer le meilleur des musiciens durant les enregistrements, notamment quand ceux-ci sont de grands improvisateurs : en trouvant le juste équilibre entre indications sur la partition et espaces de liberté. Le musicien est dès lors à même de sublimer la volonté du compositeur et ses capacités d'écriture tout en respectant ses intentions.
Enfin ont été abordées les collaborations plus récentes avec Guillaume Nicloux (« une affaire privée », « Cette femme-là », « le concile de Pierre »...) et Hervé Hadmar (les séries « Pigalle la nuit », « Les oubliées », « Signature »...) deux « héritiers » de Jean-Pierre Melville pour qui Eric Demarsan a signé des musiques, pour le cinéma d'un côté et pour la télévision de l'autre ; ). Il explique notamment comment dans « Une affaire privée », la musique diégétique de « L'armée des ombres » se retrouve à sortir de l'écran de télévision puis à retourner progressivement à la partition originale du film de Nicloux. Une habile mise en abîme musicale évoquant discrètement plus de 40 ans de carrière au service de l'image.
Par Gérard Dastugue.
Interview biographique de Eric Demarsan
Interview de Eric Demarsan / Hervé Hadmar (PIGALLE LA NUIT)
Interview B.O : Uèle Lamore (Les Femmes au balcon, de Noémie Merlant)
Panorama B.O : Noël dans le cinéma américain [Podcast]