Cinezik : Comment s'est produite votre rencontre avec Robert Zemeckis ?
Alan Silvestri : J'ai rencontré Robert Zemeckis d'une manière assez intéressante. Après que la série CHIPS (1979-1983) se soit terminée pour moi, j'ai passé un an sans travail. Et un soir, je reçois un appel de Tom Carlin, le monteur musique de Chips. Il travaillait alors sur un film et cherchait de la musique mais ne trouvait pas vraiment ce qu'il voulait. Il m'a donc demandé si j'accepterais d'écrire quelque chose à partir de leurs spéculations. J'ai bien-sûr accepté. Il a voulu me passer un autre homme au téléphone afin qu'il me dise ce à quoi il pensait. Cet homme prend alors le téléphone et me dit "bonsoir, c'est Bob à l'appareil, j'ai une scène avec un homme et une femme qui courent à travers la jungle, il pleut, ils ont des machettes à la main, la police leur tire dessus... Seriez-vous d'accord pour composer un morceau de 3 minutes qui soit adapté à cela ? Et si oui, nous pouvons nous rencontrer demain matin".
J'avais commencé à installer un studio chez moi et je me suis attelé à mettre en place un modèle rythmique. Je suis resté éveillé presque toute la nuit, j'ai du dormir 20 minutes avant de me lever pour aller au studio de cinéma à Hollywood. J'avais une petite cassette avec moi et le monteur musique a invité Bob à se joindre à nous pour l'écouter. Ce dernier a souri, m'a remercié pour cela et est parti. C'était un samedi matin et le dimanche soir qui a suivi le téléphone a sonné, c'était Mickael Douglas qui voulait m'embaucher. Ce film était A LA POURSUITE DU DIAMANT VERT (1984). C'est ainsi que j'ai rencontré Bob.
Votre inspiration venait du script, de vos discussions avec le réalisateur ou des images ?
A.S : Il n'y avait pas d'images, la maquette originale a été conçue simplement à partir de ce coup de téléphone. A la suite de cela bien-sûr, quand j'ai été embauché, alors nous avons parlé du film de manière plus conventionnelle. C'était le début de notre relation et en ce sens, il nous fallait trouver les bons mots pour communiquer entre nous, surmonter différents obstacles. Quand le film est sorti, il a eu beaucoup de succès, et heureusement pour moi quand le tournage de RETOUR VERS LE FUTUR a commencé, Bob m'a invité dès le deuxième jour, et aujourd'hui on en est à notre 19e film ensemble avec THE WALK.
Comment Robert Zemeckis est-il en tant que réalisateur pour un compositeur ? Vous laisse t-il assez libre ou est-il très directif?
A.S : Un peu les deux. La particularité de Rob Zemeckis c'est qu'il maîtrise très bien le timing de ses films, pour le meilleur. Il commence avant toute chose par faire son travail et vous remettre un film déjà génial. Il a beaucoup à dire car il vous indique vraiment ce qu'il veut. Puis il laisse le compositeur réagir, amener des choses. Il ne commence pas par dire ne fais pas ci, ne fais pas ça, fais comme-ci, fais comme-ça. Même lorsqu'il y a de la musique temporaire sur le film, ce qu'ils sont obligés de faire pour montrer leur film aux studios, il dit bien qu'il met juste cette musique pour pouvoir montrer le film mais qu'il ne faut pas y prêter attention, que l'on doit faire comme on l'imagine. Cependant si ce que vous pensez ne correspond pas à ses attentes, il sait se montrer très clair et incisif là-dessus. Il va dire, je ne suis pas sûr que nous sommes là où nous devrions être. Il n'est pas dans l'hésitation. Il connaît le coeur de ses films et il sait très clairement ce qu'il veut transmettre. Et après 33 ans, nous arrivons à trouver des réponses bien plus rapidement.
Avec Bob, il faut toujours éviter les raccourcis trop simples et il faut savoir prendre des risques. C'est ce qu'il fait tout le temps. Et quand vous prenez des risques, il se peut que ce ne soit pas toujours à la hauteur. Je ne lis pas dans ses pensées mais on commence à comprendre que l'on voit les choses de la même manière et cela revient presque à de la télépathie à certains moments.
Nous avons récemment rencontré Philippe Clair (interview à venir sur Cinezik) pour lequel vous avez écrit une musique (PAR OÙ T'ES RENTRÉ? ON T'A PAS VU SORTIR - 1984). Il en garde un très bon souvenir !
A.S : Quand j'ai rencontré Philippe, j'avais fait A LA POURSUITE DU DIAMANT VERT mais je n'avais pas encore fait RETOUR VERS LE FUTUR. J'avais cependant travaillé sur un petit film qui s'appelait FANDANGO réalisé par un des protégés de Steven Spielberg qui s'appelait Kevin Reynolds, qui est par la suite devenu un réalisateur célèbre. C'était l'un de ses premiers films, un projet d'école. Steven Spielberg le soutenait beaucoup. Je n'étais pas encore réellement en contact avec le monde de Spielberg à cette période. J'ai tellement de bons souvenirs de ces moments avec Philippe. Je l'ai d'ailleurs revu avec sa femme Mallory il y a deux ans, après tellement d'années, c'était un très bon moment.
Quel rapport aviez-vous avec les producteurs à Hollywood ?
A.S : La règle générale qui s'applique alors est qu'à la télévision, le producteur avait le pouvoir tandis qu'au cinéma, c'était toujours le réalisateur. Et je pense que si vous travaillez sur un film pour lequel le producteur a le plus grand pouvoir, alors ça devient difficile. C'est comme diriger un voilier : si vous avez deux personnes en même temps qui se disputent la barre et que vous, vous êtes un membre de l'équipage en train d'essayer de positionner la voile, il devient très compliqué de savoir dans quelle direction aller. J'ai été sur ce type de voiliers, sur ce type de films, où l'on reçoit des messages opposés de la part du réalisateur et du producteur. Je pense que dans la bonne hiérarchie, le réalisateur doit réaliser, le producteur doit interagir avec le réalisateur et c'est le réalisateur qui interagit avec l'équipe dont fait partie le compositeur.
Que pensez-vous de l'évolution de la musique à Hollywood depuis les années 80 ? Aujourd'hui il y a moins de thèmes comme celui de RETOUR VERS LE FUTUR. Que pensez-vous de cela ?
A.S : Vous savez, les films viennent des personnes qui les font et ils évoluent avec ces personnes. Et vous avez raison, il y a eu ce mouvement où l'on s'est éloigné des thèmes musicaux. Mais c'est une vague qui monte et qui descend. C'est un cycle. J'ai le sentiment que ce cycle pourrait revenir. Je l'entends autour de moi et j'ai été embauché ces deux dernières années sur des projets où l'on me demandait spécifiquement de composer un thème musical identifiable. Je n'avais pas entendu cela depuis 10 ou 15 ans. Donc peut-être que cela revient.
Pour finir sur THE WALK, votre dernier film avec Robert Zemeckis : quelle était l'intention musicale ?
A.S : C'est une histoire incroyable sur un homme incroyable qui a fait une chose incroyable. Une histoire très compliquée avec une grande variété d'émotions et vous savez, pour ce qui est de l'intention, c'est toujours la même, c'est d'aider le réalisateur musicalement et de le soutenir dans ce qu'il fait. Dans ce cas, c'était Robert Zemeckis et j'ai bien suivi ce qu'il a fait, je suis sûr de ne pas avoir fait trop d'erreurs. (rires)
La partition est un vrai mélange de styles... entre le jazz et l'orchestral...
A.S : Oui un énorme mélange. Mais Philippe Petit est un grand mélange à lui tout seul, il y a beaucoup de choses à l'intérieur d'un seul homme. Ainsi, pourquoi la musique du film ne serait-elle pas également comme cela puisqu'elle parle de lui ?
En tant que compositeur, vous êtes un peu caméléon ?
A.S : Oui on pourrait dire ça ! Je suis lié à ce sur quoi je travaille et je me connecte à cela, j'y réponds. Je ne vais pas juste dans une direction en ignorant le chemin qui m'est donné. Je dois vraiment être en accord avec le film. Vous pouvez dire que cela revient à être un peu caméléon mais je préfère dire que je suis « en collaboration » avec le film, je me déplace avec lui, c'est le film qui décide et qui doit décider.
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