Sharunas Bartas a construit une oeuvre forte, contemplative et mutique, à l'environnement sonore aussi important que la composition plastique. Que ce soit dans les paysages lointains de FEW OF US ou dans le huis-clos d'une maison dans HOUSE, il s'agit toujours de rendre compte de l'isolement d'un personnage central et son incommunicabilité.
Pour PEACE TO US IN OUR DREAMS (sorti le 10 février 2016), il retrouve le compositeur Alexander Zekke après "Indigène d'Eurasie" (2010).
La rétrospective intégrale Sharunas Bartas au Centre Pompidou (Paris) se tient du 5 février au 6 mars 2016. Pour compléter cette rétrospective, le Passage de Retz installé dans le 3ème arrondissement de Paris propose de découvrir son travail photographique qu'il a toujours pratiqué à côté du cinéma.
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Cinezik : Comment travaillez-vous la musique de vos films ?
Sharunas Bartas : Il est difficile pour moi de trouver la bonne musique pour un film. Je n'utilise pas de musique illustrative, cette musique qui est uniquement là pour illustrer, pour renforcer les émotions à travers des images qui n'arriveraient pas à transmettre des émotions toutes seules. Je n'aime pas ce genre de choses. Pour moi, la musique est importante dans un autre sens. La musique pour une certaine image donnée va créer avec le son une troisième chose qui n'est plus séparable et qui devient un élément à lui seul. C'est ce que j'essaie de faire dans mes films. La musique doit être en harmonie avec l'image, elle ne doit pas s'entendre comme un élément séparé de l'image.
Vos films mettent en scène des individus en rupture, repliés sur eux-même, exprimant une incommunicabilité, et la musique va favoriser le lien avec leur environnement...
S.B : La musique est plus proche de la sensation, du côté émotif, que du cerveau, du côté cérébral, c'est pour cela qu'elle crée un lien.
Comment communiquez-vous vos intentions musicales aux compositeurs ?
S.B : Ma collaboration avec les compositeurs dépend de la personne, si c'est la bonne personne on peut se comprendre très facilement, si ce n'est pas la bonne personne on aura beau expliquer ce qu'on a envie de faire, ça ne passera pas. Là on parle de la musique qui a été écrite pour un film, car parfois la musique est issue du répertoire classique. Mais quand il s'agit d'une collaboration, dans le cas où il y a un lien avec un compositeur, on a même plus besoin de se parler, on peut s'exprimer en geste.
Il est toujours mieux que le compositeur puisse d'abord faire ce qu'il veut, ce dont il a envie et seulement dans un deuxième temps on peut orienter la personne, lui donner une impulsion. Car si on a déjà décidé à l'avance, qu'on assoit la personne face à des plans préétablis, alors on ne pourra pas échapper au côté illustratif, alors que si on lui donne la liberté, c'est seulement à ce moment-là que l'on peut approcher ce dont je vous parlais, ces trois choses qui réunies font une chose unique.
Je peux citer cette phrase de Nino Rota qui disait à Fellini : "Arrête de me montrer ton film, ça me dérange, je vais te jouer mon petit truc, et si ça te va tu le prends, sinon ce n'est pas grave."
Comment estimez-vous la necessité et le placement de la musique ?
S.B : Pour moi l'important c'est l'harmonie, si je n'ai pas besoin de musique à un endroit, il n'y en aura pas. Car ce qui prime c'est l'harmonie dans un film. Et pour moi le son est aussi important que la musique, les sons que j'enregistre sont aussi une sorte de musique. Même si je n'ai pas besoin de musique en elle-même, je passe beaucoup de temps à travailler sur les enregistrements sonores, le son crée aussi pour moi une sorte de musique qui n'est pas forcément des notes. Mais c'est le même travail que j'effectue pendant le montage son, la musique est régit par les lois de la nature, comme le son et comme l'image. L'important est de trouver ce fil, et d'arriver à le nouer .
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